« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mardi 10 mars 2020
Descente aux enfers
Très tôt survient, chez l'homme du nihil, la conscience de l'insigne précarité du réel et de l'inquiétante incertitude du vocable. Cette lucidité pessimiste ruinera la santé du poëte et le conduira à l'enfer du renoncement ; elle nourrira la mémoire mélancolique qui le fait soupirer après la douceur de « l'infini infundibuliforme » ; elle sera l'aiguillon qui le dresse contre lui-même et le pousse à dilacérer l'« odieux Moi » ; elle ira jusqu'à noircir et déformer l'« autrui » du philosophe Levinas, sarcastiquement rebaptisé « monstre bipède ». Daumier et Goya ! Elle poussera l'homme du nihil en lui-même, d'étape en étape, toujours plus douloureusement, jusqu'à ce jour de septembre 1948 où, se découvrant « fait de viscères », il décide que « trop c'est trop » et se supprime en avalant du taupicide. Ainsi finit, logiquement, cette vie « spectrale », effarée de se découvrir matérielle alors qu'elle s'était toujours cru consubstantielle au Rien !
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
lundi 9 mars 2020
Machine à broyer
S'il ne se retenait — mais prudence est mère de sûreté ! — l'homme du nihil dirait de l'existence ce que l'écrivain Thomas Bernhard dit de la justice autrichienne, à savoir qu'elle est « une machine catholico-nationale-socialiste à broyer les hommes ».
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
dimanche 8 mars 2020
Sièges
Qu'il soit assis sur la banquette de la salle Bordone ou sur un affreux et inconfortable tabouret de Loos ou encore dans un affreux fauteuil ottowagnérien, l'homme du nihil ne peut échapper à cette vérité qu'il est seul, que tout est vide, et que lui-même est complètement vide.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
samedi 7 mars 2020
Définition
Après un nombre effarant de « petits verres » de muscadet, cette magnifique définition de sa destinée surgit sous la plume de l'homme du nihil : « Traqué de toute part, subissant le joug de l'haeccéité, tu souffres persécution, en ta nature exténuée par la formidable pression du Rien. »
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
jeudi 5 mars 2020
Haut et bas
Le « système du monde » de l'homme du nihil est une cosmogonie irréductible du haut et du bas : au ciel — assimilé au Grand Indéfini d'Anaximandre — règne un démiurge baroque, le « pachynihil » ; dans les enfers — identifiés à la réalité empirique —, sévit le fameux « autrui » du philosophe Levinas. Entre les deux, le Dasein erre à la dérive, rongé, chahuté, ruminant la fatidique question « pourquoi y a-t-il en général de l'étant et non pas plutôt rien ? » Mais personne ne répond.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
mercredi 4 mars 2020
Indémodable
« L'homicide de soi-même ! Quelle œuvre merveilleusement dense, qui triomphe avec sûreté du temps et des modes ! Et le suicidé philosophique ! Quel extraordinaire modèle il offrirait au romancier d'une destinée solitaire, crispée sur ses alarmes et ses élans ! » (Edmond Chassagnol, Théorie du trop-plein)
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
mardi 3 mars 2020
lundi 2 mars 2020
Au fou !
À l'étrangeté maximale de l'homme du nihil, répond une distance également maximale — de terreur, d'admiration et de répulsion. Quand l'homme du nihil dit que rien n'est, l'homme de la Nature et de la Vérité évoque aussitôt le drame de la folie et feint de ne pas comprendre, ou bien il confie l'éclaircissement de cette « parole folle » à des experts en psychiatrie. — Mais qui dans cette affaire est le fou ?
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
dimanche 1 mars 2020
Dépossession
L'homme du nihil, ainsi que l'affirme Georges Charbonnier, est bien « retranché » et ne peut que constater ce retranchement. La dépossession dont il souffre ne concerne pas le seul langage (ou plutôt, elle le concerne aussi, comme en témoigne son usage fantasque du vocable reginglette, mais secondairement), elle est d'abord dépossession du monde et de soi : « Quand j'essaie de fixer ma pensée sur un objet, va te faire fiche, tout ce que j'arrive à capter, c'est de l'absence, de l'impensable et de l'indicible. Si ce n'est pas à devenir maboul ! »
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
vendredi 28 février 2020
Le silence du taupicide
Grand lecteur des poëtes maudits, l'homme du nihil se reconnaît frère de Crevel, Essénine, Nerval. Mais celui qu'il chérit entre tous, c'est le légendaire « Mômo », dont l'énergie agressive et blasphématoire, la créativité proliférante lui donnent « des frissons presque partout ». Son œuvre, par contraste, est d'une concision qui équivaut à un refus, à une fin de non-recevoir : « Se taire, se figer, s'emmurer, se momifier dans le silence du taupicide ». Son unique poëme, composé de cette seule phrase, est aussi sa lettre d'adieu.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
mercredi 26 février 2020
mardi 25 février 2020
Pensée
Lancé à la poursuite de son « être intellectuel » qui ne cesse de se dérober, l'homme du nihil fait une découverte majeure : il n'y a pas plus de « pensée » que de beurre au prose ! Toute cette histoire de « pensée » n'est qu'une vaste fumisterie ! L'existence mentale de l'homme n'est garantie par rien ! — « Ô bon sang de bonsoir, mon Pierrot, on s'est bien fait avoir dans notre jeune temps ! »
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
dimanche 23 février 2020
Cratyle
L'homme du nihil ressent douloureusement l'une des lois fondamentales du langage, celle de l'arbitraire du signe. Ainsi, la fascination qu'il éprouve pour le vocable reginglette se double d'une horreur plus grande encore, car il sait que derrière ces quelques syllabes se cache le redoutable pachynihil.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
jeudi 20 février 2020
Désarroi
« Nous ne croyons pas, nous ne croyons plus qu'il y ait quelque chose qui se puisse appeler le réel, nous ne voyons pas à quelle chose une telle dénomination s'adresse. Une confusion terrible pèse sur nos vies. Nous sommes, nul ne songerait à le nier, au point de vue spirituel, dans une époque critique. Heureusement, il y a le taupicide ! » (Lettre de l'homme du nihil à Georges Ribemont-Dessaignes datée du 13 novembre 1926)
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
mardi 18 février 2020
lundi 17 février 2020
Pour la cause
L'homme du nihil s'obstinant à répéter que « rien n'est », une flopée de médecins, dont le docteur Toulouse, pensant avoir affaire à une « neurasthénie aiguë », lui firent des piqûres d'hectine, de Gabyl, de cyanure de mercure, de novarsénobenzol et de Quinby. En vain. Le gaillard ne voulut jamais en démordre. Il exhibait comme un titre de gloire les cicatrices qu'il portait sur tout le corps et se prétendait un « martyr du pachynihil » !
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
dimanche 16 février 2020
Baroud d'honneur
Le cri de l'homme du nihil — comme celui d'Edvard Munch — part des « cavernes de l'être ». Le prophète du Rien hurle de désespoir, car le « Grand Tout » l'a vaincu, mais avant de s'effondrer, il accomplit un dernier coup d'éclat, et c'est dans le « cu » de la réalité empirique qu'il plante son oriflamme calcinée.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
jeudi 13 février 2020
Polyglottisme levantin
Selon Gragerfis, si l'homme du nihil emploie quelquefois, pour dire le Rien, des mots grecs ou latins — mêdén, nihil —, c'est que sa petite enfance a été imprégnée du polyglottisme levantin durant les grandes vacances qu'il a passées à Smyrne.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
mercredi 12 février 2020
mardi 11 février 2020
Voie de conséquence
L'exécration qu'il voue à l'haeccéité condamne l'homme du nihil à demeurer sur place, dans un désespoir immobile assez semblable à celui de l'escarbot.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
dimanche 9 février 2020
Soleils noirs
Les soleils noirs de l'homme du nihil sont ceux de « l'absolu ténébreux », de « l'infini infundibuliforme », d'une vérité tragique, d'une marche fatale vers le Rien, la hantise de la mort, le vide, la nuit, la séparation d'avec soi-même : « Taupicide ! Ton bec inexorable crève les yeux du grand jour ! Je lis ton nom : tu es MOI-MÊME. »
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
jeudi 6 février 2020
Mieux que rien
Quel soutien apporter à un homme — celui dit « du nihil » — dont le mal-être résulte d'une incompatibilité fondamentale entre son « conscient intérieur » et la réalité empirique telle qu'elle est — c'est-à-dire fétide, froide et visqueuse ? Après plusieurs démarches ayant abouti à des échecs, l'insistance de son ami Gragerfis finit par lui obtenir, comme « secours d'urgence », six cents francs de la Caisse des Suicidés Philosophiques.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
dimanche 2 février 2020
Une idée tenace
Si la pensée de l'homicide de soi-même s'enracine dans une démarche surréaliste, il est frappant de constater qu'elle accompagne l'homme du nihil toute sa vie, même lorsqu'il ne se définit plus comme surréaliste.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
jeudi 30 janvier 2020
mardi 28 janvier 2020
The last straw
S'il est vrai que nous ne pouvons penser qu'à travers le langage et que, comme le soutenait Wittgenstein, toute interrogation philosophique peut être vue comme une interrogation sur la signification des mots, alors la situation de l'homme du nihil est véritablement désespérée et il ne lui reste plus qu'à se pendre (mais c'était son intention de toute façon).
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
vendredi 24 janvier 2020
Dîner artistique
L'homme du nihil, un jour qu'il était en verve, compara la vie à un dîner artistique : en entrée, une soupe de pommes de terre (qu'il n'aime pas) ; ensuite, un véritable sandre du lac Balaton ; et pour finir, en guise de dessert, un nègre en chemise, comme cela s'appelle. Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
lundi 20 janvier 2020
Non au joug du désespoir
La pluie, le vent, l'obscurité, la folle poignance du pachynihil... Oui, tout cela est vrai, mais... « nous n'acceptons point le joug du désespoir ».
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
dimanche 19 janvier 2020
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