vendredi 24 septembre 2021

Déchéance

 

On a trente ans, puis quarante, puis cinquante, etc., et on se transforme insensiblement en « vieux jeton ». C'est intolérable, il y a de quoi devenir maboul, mais personne ne dit rien. Tout le monde fait « jore ». Oh, bon Dieu !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 23 septembre 2021

Bon à rien

 

Pour agir, il faut une forte dose de fatuité. Un homme sans prétention un homme « à la bonne franquette », qui ne brigue pas le titre glorieux de « Dasein », un homme dans le genre de celui dit « du nihil » — n'est bon à rien. Ou plutôt, il n'est bon à presque rien — car il peut toujours ratiociner sur l'haeccéité, la temporalité du temps, la mortalité de l'être mortel, et cetera, et ça, ce n'est pas exactement « rien ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 22 septembre 2021

What the world needs now

 

L'homme n'est pas fait pour vivre longtemps : il est vite corrompu par la « réalité empirique » et son hideux cortège de « phénomènes ». Le monde n'a besoin que de jeunesse et de suicidés philosophiques.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 21 septembre 2021

La paix maintenant

 

Avez-vous jamais essayé de convaincre une bourrelle de sa vilenie ? Impossible, direz-vous. Et ça l'est en effet. Ce que l'on peut faire, en revanche, c'est mettre un terme définitif à la vilenie de ladite bourrelle en l'amenant à avaler du taupicide. Pour y parvenir, la technique consiste à lui tirer l'oreille pour l'obliger à desserrer la mâchoire. La bourrelle ne récrimine guère, c'est tout juste si elle maugrée vaguement, heureuse de s'en tirer à si bon compte. Son éloquence ravalée avec le pharmakon, elle n'émet que des borborygmes avant de se taire à jamais.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 20 septembre 2021

Contamination langagière

 

D'après Gragerfis (Journal d'un cénobite mondain), l'homme du nihil, de retour d'un bref séjour à Bondy (Seine-Saint-Denis), montrait un comportement des plus bizarres. Il accusait le réel de le « mal regarder », il lui intimait l'ordre de « baisser les yeux », et quand le réel s'exécutait, il s'écriait : « Voilà ! »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 15 septembre 2021

Prière

 

Les êtres nobles aiment rarement la vie, ils lui préfèrent le pachynihil. Ceux qui se contentent de la vie et se livrent avec délices à de coupables exsufflations sont toujours des ignobles. Seigneur ! épargnez-nous de ressembler à l'affreux « monstre bipède » !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 13 septembre 2021

Agression chosesque

 

On se croit complètement désabusé, on pense s'attendre à tout, être revenu de tout, quand soudain surgit... une théière ! Oh, bon Dieu !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 12 septembre 2021

Un imposteur

 

Considérez un homme taraudé incessamment par l'idée du Rien. Pouvez-vous l'imaginer un seul instant se livrer au canotage ? Non. Bien sûr que non. Pourtant, le satiriste roumain Emil Cioran, qui passe pour le champion toutes catégories de la désespérance nihilique, écrit (dans ses Aveux et anathèmes) : « Étang de Soustons, deux heures de l'après-midi. Je ramais. » Je RAMAIS ! — Conclusion ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 11 septembre 2021

Aux chiottes les phénomènes

 

« Le réel est un salop et je le crèverai » aurait déclaré le « penseur privé » Robert Férillet au phénoménologue Edmond Husserl au cours d'une réception pour les soixante-dix ans de ce dernier. Avant d'ajouter : « Aux chiottes, les phénomènes ! » — D'après Karl Jaspers qui assistait à la scène, le philosophe en resta « comme deux ronds de frite ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 10 septembre 2021

Synthèse

 

Pour qui sait lire entre les lignes, tout ouvrage de littérature peut se résumer en une phrase : « Untel est un salop et je le crèverai. » Shakespeare, Cervantes, Dostoïevski, Flaubert, et avec eux tous les écrivains depuis l'Antiquité, n'ont finalement écrit que cela : « Untel est un salop et je le crèverai. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 9 septembre 2021

Accumulation d'opprobres

 

Comme si l'haeccéité, la temporalité du temps, la mortalité de l'être mortel ne suffisaient pas à son malheur, l'homme du nihil habite encore dans des « territoires » situés dans la « France périphérique » et est un « perdant de la mondialisation » (comme l'écrivain portugais Fernando Pessoa, for that matter).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 5 septembre 2021

Réminiscences littéraires

 

Confronté à la vilenie, à la bassesse, à la méchanceté pharamineuse d'une bourrelle qui l'a trahi après l'avoir tourmenté jusqu'à le faire tourner en bourrique, l'homme du nihil ne peut que s'exclamer, comme le rêveur de la fiction de Jean-Paul (la Nuit du nouvel an) : « Vieille bique ! Va te faire voir chez Plumeau ! » Et encore (un ajout de son cru) : « Carogne ! »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 3 septembre 2021

Persécuté

 

Quand on lui demande pourquoi il pense que le réel lui en veut personnellement, l'homme du nihil mentionne ordinairement « les emballages à ouverture dite facile ». Mais il dispose de pléthore d'autres preuves !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 29 août 2021

Anywhere out of this world

 

« Mon royaume, mon royaume 1 pour un cheval-vélo ! »

1. Ce que l'homme du nihil nomme son « royaume » n'est rien autre chose que... le Rien (le pachynihil). Mais oui ! (NdE)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 24 août 2021

Intentionnalité anticipatrice

 

Conscient des dangers de l'intentionnalité anticipatrice husserlienne, l'homme du nihil se garde de concevoir aucun projet grandiose. Celui d'aller faire les courses est déjà assez formidable pour lui, et il s'en passerait avec joie, mais, comme l'a dit René Char 1, « il faut bien becqueter »...

1. Dans un entretien avec Aimé Césaire.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 23 août 2021

Auto-radicalisation

 

Quoi de plus radical que la pensée que rien n'est ? Mais ici, attention : ce n'est pas dans une mosquée de la rue Jean-Pierre Timbaud que l'homme du nihil s'est radicalisé — il ne croit pas à ces deux abstractions (mosquée, rue Jean-Pierre Timbaud), chères au démagogue. Il l'a fait simplement en constatant que la prétendue « réalité empirique » n'est qu'une masse duveteuse, inconsistante, un agrégat d'atomes qui se dispersent comme une fumée dès qu'on prononce devant eux le vocable reginglette.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 18 août 2021

Bilan

Quand l'homme du nihil fait le bilan de sa fastidieuse épopée dans le « désert de Gobi de l'existence », l'expression qui lui vient à l'esprit est « une vie pour rien ». Il a beau refaire l'addition, le total est toujours égal à zéro. Mais pourquoi te frapper, homme du nihil ? Tu sais bien, et depuis longtemps, que toute vie est « pour rien », non ? — Si, si... je le sais, mais... c'est tout de même un peu fort de café ! 

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 17 août 2021

Empaillé !

 

À le voir marcher, parler, se gratter le nez, et cetera, on jurerait que l'homme du nihil est un être vivant, mais non : il est mort depuis belle lurette. Selon Gragerfis, s'il a l'air si vivant, c'est sans doute qu'il a été « naturalisé par Chuck Testa ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 14 août 2021

Inconscience coupable

 

Rigaut, Essénine, Crevel, Garchine, Maïakovski, Crisinel... Cent pour cent des suicidés philosophiques n'étaient pas vaccinés (contre l'odiosité de l'existence).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 13 août 2021

Haeccéité et taupicide

 

Dans son ouvrage intitulé L'Alternative, le philosophe Jankélévitch, avec sa perspicacité habituelle, note qu'« être, c'est encore être ceci ou cela, n'être que ceci ou que cela, selon certaines circonstances de temps et de lieu qui, en nous assignant une place dans l'étendue et une date dans la durée, nous empêchent d'être tout le monde, d'être partout, d'être aujourd'hui et hier à la fois ». Rien n'est plus vrai et c'est bien cela qui, pour l'homme du nihil, constitue la torture suprême, c'est bien cela qui, dans l'être, lui paraît intolérable car exorbitamment grotesque. Et quand Jankélévitch ajoute qu'« ici il faut choisir : ou être en fait, et n'être que ce que l'on est, ou être infiniment, à condition de n'être plus rien », l'homme du nihil ne peut que souscrire à cet éloge discret du taupicide.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 12 août 2021

Ou bien... ou bien

 

« La foi commence précisément où finit la raison », affirme Kierkegaard. Mais que faire si l'une vous est inaccessible et l'autre vous répugne ? Il ne reste qu'à « douiller » à fond — et, comme l'a bien vu Dostoïevski, on « douille » d'autant plus que l'on ne comprend pas. Heureusement, il y a le taupicide — et, peut-être plus précieuse encore, l'idée du taupicide.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 11 août 2021

Fatalitas

 

Face à l'angoisse d'exister dans un monde où le vertige de la liberté — c'est-à-dire du choix de se pendre ou non avec une ficelle qu'on a attachée au portique d'entrée du potager — a de quoi vous rendre maboul, un monde où sévit en outre le terrible « monstre bipède », l'homme du nihil, toujours fataliste, endure le désespoir comme un fardeau constitutif à sa condition d'humain. En cela, il ressemble un peu à l'homme kierkegaardien.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 10 août 2021

Prévention du nihil

 

« Les individus doués d'un tempérament nihilique doivent être considérés comme des personnes malades, ou du moins des sujets dont la constitution engendre sourdement des maladies chroniques, et plus tard mortelles. C'est un principe qu'on ne saurait trop inculquer aux familles, pour qu'elles se mettent en garde et livrent de bonne heure, entre les mains de la médecine préventive, des enfants ancrés dans l'idée que "rien n'est". » (Francis Devay, Traité spécial d'hygiène des familles, Paris, Labé, 1858)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 9 août 2021

Universelle insignifiance

 

L'art, la science, la philosophie, tout est glacial, ou plutôt tout est dérisoire pour l'homme qui a compris que tôt ou tard il allait se changer en cadavre. Pour un tel homme, rien n'échappe à ce sentiment d'universelle insignifiance, pas même le mot zingibéracé.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 4 août 2021

Un sage conseil


« Toi qui entres ici, abandonne toute espérance », aurait déclaré la sage-femme à l'homme du nihil — alors un nouveau-né — quand celui-ci fit ses débuts sur la scène de ce grand music-hall qu'on appelle la « réalité empirique ». — Comme elle avait raison !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 3 août 2021

Sensibilité du nihilique

 

Comme le gorille, l'homme du nihil est d'humeur sociable très ombrageuse. S'il est brutalisé — s'il doit subir, par exemple, la vue d'un « monstre bipède » en survêtement —, il devient triste, ne mange plus et se laisse périr de nostalgie. Il est en outre terriblement impressionnable au froid. Habitué à la douceur du climat du pachynihil, il est bientôt pris, quand on le plonge dans la glaciale « réalité empirique », de coryza et de bronchite mortelle.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 24 juillet 2021

Question d'habitude

 

L'ennui, ce « monstre délicat » dont parle Baudelaire dans le premier poëme des Fleurs du mal, est toute la vie de l'homme du nihil. Mais s'il faut en croire ce dernier, « on se fait à tout, même à se faire chier ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 23 juillet 2021

Cauchemardesque

 

Gragerfis raconte que l'homme du nihil, ayant aperçu de l'étant alors qu'il promenait son chien, se sentit envahi par une sorte de purpura inflammatoire avec accompagnement de frissons et de fièvre : il avait le visage écarlate. Il prit avec abondance du thé alcoolisé et acidulé de citron et en fut quitte le lendemain après plusieurs selles fétides.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 19 juillet 2021

Être absolu


À une époque, l'homme du nihil se mit en tête de devenir un être absolu, c'est-à-dire indépendant de toute relation extrinsèque. Hélas ! sa tentative fit long feu, car malgré qu'il en eût, il restait une personne, et dès lors, il sentait dans le temps, et pensait de même. Courroucé et déconfit, il dut accepter son échec et se contenter de vivre une existence relative, comme tout un chacun.

(Fernand Delaunay, Glomérules)