dimanche 15 mai 2022

Hypocrisie du monstre bipède

 

L'homme du nihil en a fait la remarque à maintes reprises : le monstre bipède est à la fois « faux comme un jeton » et « franc comme un âne qui recule ». Puisqu'il en est ainsi, pourquoi avoir pris la peine de donner un nom à cette qualité introuvable qui s'appelle la sincérité ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Parler aux oiseaux

 

« Au Jardin des Plantes, j'ai regardé longuement un flamant rose qui, dans sa cage, allait et venait le long du mur, parcourant à quelques centimètres près la même distance, c'est-à-dire au maximum deux mètres. Ayant en horreur les volucres — et tout particulièrement ceux qui marchent de façon monotone —, je l'ai traité de “salop” mais il a continué comme si de rien n'était. Je l'ai alors traité de “nerf sciatique” et il a arrêté. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 14 mai 2022

Blague dans le coin

 

Si l'on demandait à l'homme du nihil pourquoi il ne s'est pas encore tué, il répondrait probablement que c'est par apathie, par horreur de l'action. Il pourrait ajouter, après Cioran, que n'ayant aucune raison de vivre, il n'en a pas plus de mourir. Mais il ne le fera pas, car contrairement au satiriste roumain, il déteste les « mots ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Avoir une vie

 

Il serait consolant, au moment de « décéder », de pouvoir se dire qu'on a tout de même eu, dans quelque mesure, une « vie ». Mais on peut s'agiter dans tous les sens, on peut écrire Guerre et Paix, découvrir le bacille de Koch ou descendre l'Indus et le Brahmapoutre en pirogue, rien n'y fait. Il est tout simplement impossible d'avoir une « vie ». Il n'y a pas plus de « vie » que de beurre dans le placard. Il n'y a que des cochonneries répugnantes de bêtise. Oh, bon Dieu !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Vers le Rien

 

Le 23 août à trois heures du matin, l'homme du nihil décide de mettre fin à sa pondéreuse existence. Il écrit : « Je puis assurer que l'initié le plus dévot à Cérès n'a jamais éprouvé un transport aussi vif que le mien... Je m'avance vers le Rien avec une espèce de plaisir qui m'ôte le pouvoir de la réflexion. » — Combien d'autres ont, par la suite, éprouvé la même émotion ! 1

1. C'est le cas par exemple de l'écrivain ex-dadaïste René Crevel.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aveuglement salutaire

 

S'il était donné au monstre bipède de contempler en face les horreurs de l'existence — la maladie, la vieillesse, la mort, le philosophe Michel Serres —, il deviendrait fou de terreur. Heureusement, la « civilisation » dissimule ces abominations derrière les murs épais de la logique formelle, ce qui évite au monstre bipède le risque de « mal délirer » et lui permet de donner libre cours en toute ingénuité à son tempérament festif.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Crise de kakon

 

De longues explorations dans les diverticules de la réalité empirique ont permis à l'homme du nihil d'acquérir cette douloureuse certitude : dans le réel, tout est faux. Le monde n'est qu'une collection de simulacres. L'idéalisme allemand, le temps, les phénomènes, les organes, les voyages, la permaculture, Héraclite, Spinoza, Hegel, les « lieux de culture », tout. Sa conclusion ? Aux chiottes ! Aux doubles-vécés ! Pour qui nous prend-on, à la fin ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 13 mai 2022

Ultimatum

 

« Abjure ! Renonce à l'idée du Rien !
— Sinon ? »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Lieux de culture

 

L'homme du nihil ne fréquente pas les « lieux de culture ». Il n'a jamais aimé les « lieux de culture ». Il va même jusqu'à dire qu'il se les colle au prose, les « lieux de culture ». Jusqu'ici, la culture ne lui a apporté que des ennuis. Il aurait de beaucoup préféré être un « homme préhistorique » (comme les ancêtres de l'écrivain pragois Franz Kafka).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aux chiottes Épicure

 

Il n'y a pas de « carpe diem » possible pour celui qui sait qu'il va clamecer. Je t'en foutrai du « carpe diem », moi, tuouaouar. Salop !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 12 mai 2022

Saumure philosophique

 

« Nouvelle tentative de lire du Spinoza, vite abandonnée. Comme d'habitude, à la place du cerveau, sensation d'un bocal de cornichons. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Self-pity

 

L'homme du nihil ne voit pas ce qu'il y a de mal à s'apitoyer sur soi-même. Ça ne gêne personne, c'est une façon comme une autre de passer le temps, et ça entretient l'esprit dans une négativité de bon aloi.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 11 mai 2022

Le dernier des hommes

 

L'homme du nihil est peut-être « un pou, l'image même de la déchéance », mais il ne reconnaît à personne le droit de le juger — pas même au « pape François » ou à la reine d'Angleterre.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Vouloir

 

Il y a une certaine bassesse d'âme à vouloir quelque chose, ne fût-ce qu'un vulgaire pot de moutarde ou — horresco referens — de séné.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aïeux embarrassants

 

Aussi incroyable que cela puisse paraître, et quelque effort qu'il ait fait pour le dissimuler, l'écrivain pragois Franz Kafka avait dans sa lignée d'ancêtres des hommes préhistoriques !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Infâmes romanciers

 

Le réel fait le désespoir de l'homme du nihil par son caractère de tumeur repullulante. Mais il faut croire qu'il ne repullule pas encore assez au goût de certains scélérats qui trouvent le moyen d'écrire des romans.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 10 mai 2022

Préparation au non-être

 

L'homme du nihil dit que ce n'est pas la peine de se fatiguer à lire Platon ; que pour se préparer à mourir, le mieux est de penser à un point mathématique. Pas forcément tout le temps, mais de temps en temps.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Étapes sur le chemin de la minéralité

 

Jeune, l'homme du nihil était « l'homme qui a peur de tout ». Aujourd'hui, il est « l'homme que tout insupporte » (ce qui ne l'empêche pas d'avoir toujours peur). Bientôt, il sera « l'homme que tout indiffère ». Mais pour atteindre cet état suprêmement désirable, il faut d'abord « décéder » — et c'est plus vite dit que fait !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Fastidieuse haeccéité

 

Quelle patience il faut pour supporter pendant tant d'années d'être une « chose particulière »... Une « chose particulière » toujours semblable à elle-même, à quelques détails près, seulement de plus en plus décrépite... Comment se fait-il que si peu de gens semblent fatigués d'être ce qu'ils sont ? Il n'est quand même pas possible qu'ils aiment ça ? — Oh, bon Dieu ! Ils aiment ça, les salops !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 9 mai 2022

Autrice, triste était mon âme !

 

Ce que l'homme du nihil reproche aux écrivants contemporains — auteurs et autrices confondus —, ce n'est pas l'immondice de leurs idées (iels n'en ont pas), c'est le lourd badigeon de leur gros style. En comparaison, même l'inapte Zola fait figure d'orfèvre.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Nulle part

 

Le seul endroit qui corresponde exactement à la définition de la Pologne que donne Alfred Jarry, c'est... la mort. Mais oui !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Que faire ?

 

On aimerait savoir comment il faut vivre pour être le moins « malheuleux » possible. — Mais personne ne vous dit rien !
 
(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 8 mai 2022

Protiste tératogène

 

L'abbé Protiste du Voyage au bout de la nuit a quelque chose de tératogène, de sordide et de boueusement mortel (comme les véreuses pensées qui brisent aujourd'hui nos résistances et broient l'effort des justes et des sages).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Contre-révolution

 

Dans sa Critique de la Raison dialectique, le pénible Jean-Paul Sartre accuse le sous-sol de Budapest d'être contre-révolutionnaire parce qu'il ne se prête pas à la construction du métro souhaité par le dirigeant communiste Mátyás Rákosi. Pour l'homme du nihil, c'est la « réalité empirique » tout entière qui est contre-révolutionnaire — ou encore pis : « caguante ». Elle ne le laisse rien faire, ni métro ni foutre ni branle. Elle le brime à chaque instant !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Suferinta inutila

 

Peut-on souffrir autrement qu'en vain et mal à propos ? Notons au passage qu'il n'est nul besoin d'être roumain pour cela (pour douiller inutilement et mal à propos) — même si c'est certainement un « plus ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Taxonomie

 

Les hommes se partagent en deux catégories : ceux qui, leur vie durant, anxieusement, fébrilement, cherchent le sens du vocable reginglette, et ceux qui s'en fichent comme de leur première chemise (et qui souvent n'ont même jamais entendu parler de ce mot).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Coup de massue

 

« Il n'y a pas à tortiller, j'ai véritablement un Moi. Je l'ai aperçu dans une glace à la Samaritaine. Après cela, on n'a plus qu'à se jeter dans un égout. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 7 mai 2022

Règle de sagesse

 

Tous les grands sages, de Siddhartha Gautama à André Comte-Sponville en passant par Pyrrhon et Schopenhauer, ont souligné l'importance de ne compter que sur soi-même et de se contenter de ce qu'on a, même si « ça ne casse pas des briques ». On peut synthétiser leurs réflexions dans la règle suivante : « Ne cherche pas dans les autres ce que tu ne trouves pas en toi-même — fût-ce une “mijole” ou des “biberons Robert”. Il t'en cuirait — et pas qu'un peu, même. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Plus court chemin

 

Puisque — censément — la vie est espoir et la mort est oubli, on peut dire sans exagérer que le taupicide est le plus court chemin pour passer de l'espoir à l'oubli.

(Fernand Delaunay, Glomérules)