« Et
maintenant, dit Meaulnes soudain, je vais préparer mon bagage.
Apprends-le, Seurel : j'ai écrit à ma mère jeudi dernier, pour lui
demander de finir mes études à Paris. C'est aujourd'hui que je pars. » — En dépit des apparences, ceci n'est pas une briquette de chondrite
carbonée mais un extrait du Grand Meaulnes d'Alain-Fournier.
Fuyant
l'irrespect des vils, le nihilique se retranche dans une solitude
quadrillée de muretins. Loin des regards de la foule qui trépigne et
jacasse, il s'essaie à l'hédonisme en savourant une biscotte ennoblie
par une vertueuse compote de cognasse. Mais c'est un échec : la biscotte
ne passe pas. Ou peut-être est-ce la compote de cognasse ? En tout cas,
quelque chose ne passe pas.
Certains
esprits simples, sans doute abusés par sa ressemblance avec un rapace,
pensent que le pachynihil est un émouchet mollasson. Mais pas du tout :
c'est un locus consecratus !
Il
y a des gens qui exècrent la vie quand d'autres — par exemple le « philosophe » Michel Serres — l'adorent à l'égal de la croûte en
cothurne et n'hésitent pas à l'appeler une « hypostase de la liesse ».
Selon Robert Férillet, seuls les premiers sont fréquentables.
Si
vous avez un pépin, ne comptez pas sur le Grand Tout pour vous venir en
aide. Il ne lèvera pas le petit doigt. Dire qu'il est cossard est un
euphémisme. C'est « Toto la rame au soleil ».
Se
prend-il pour le scribe Khououiou ? Le nihilique a été vu, à l'angle
des rues de Sèvres et Vaneau, tracer sur les murs forcenés de l'âme
humaine les hiéroglyphes enchantés du renoncement !
Inopinément
on se met à vieillir, et alors, soit on fréquente d'autres « vieux
jetons » — mais on est vite dégoûté de leurs gueules de momies —,
soit on s'entoure de gens plus jeunes — mais alors on a honte d'avoir
une gueule de momie. Heureusement, il y a une troisième possibilité : se
réfugier dans la silencieuse immobilité des aubépines.
Quand
on en a soupé du Rien, étudier la logique mathématique, la philosophie,
les arts, la marine marchande, s'avère relaxant comme une purée de
pommes de terre.
L'unique
façon d'échapper à la férule fastidieuse du désespoir est de se
soumettre à la discipline quasi sidérurgique du Rien. Cet axiome,
paradoxal en apparence, le nihilique peut témoigner de sa véracité.
Contrairement
à ce que pensait Pascal, les espaces infinis ne sont pas absolument
silencieux. Il faut tendre l'oreille pour le distinguer, mais ils
poussent parfois de petits « ouaf » étouffés. Il est donc permis de parler
du « silence aboyant de l'univers ».
Voir
la vie comme un processus visqueux gravitaire — un genre de « coulée
de boue » — est peut-être la seule façon de comprendre cette sensation
commune à tous les hommes d'être pris dans un « écoulement turbide ».
Prenez
un tube à vide modulant une tension à haute fréquence ; mettez-le dans
un état intermédiaire entre le solide et le liquide ; vous avez un
mésomorphe phasitron.
La
vie manque de fleurs aux couleurs chatoyantes. Alors pour compenser, le
nihilique fait appel à son imagination. Et tel un éléphant fou de
mélancolie, il se perd en des rêves somptueux de calcéolaires.
Tôt
ou tard, l'homme comprend qu'en fait de vie, il est enfermé dans un
faitout avec un assortiment de crustacés, promis comme lui à
l'ébouillantement. Ça fait un moment qu'on l'a mis à mijoter : depuis sa
naissance, en fait. Mais il n'est pas encore à point. Comment tuer le
temps en attendant ? Demi-cuit dans sa cochléaire carapace, il trame
toutes sortes d'apothéoses.
Le
nihilique n'est pas fier, mais s'il y a une chose qu'il n'aime pas,
c'est qu'on le compare à un brick pansu. À son estime, il a du cotre la
finesse invertébrée. À ce propos, il raconte qu'un jour, un fort coup de
vent entre les Bermudes et Halifax l'a obligé à mettre en fuite. Un
vent de cinquante-cinq nœuds, opposé au courant, levait une mer
terrible. Des vagues de sept à huit mètres, raides, déferlaient avec
violence.
Le
poëte, ce « médecin-légiste de l'ipséité » selon Luc Pulflop, plonge sa
pince de Kocher dans les entrailles du réel afin d'extraire de ses
visqueuses sécrétions l'image adéquate.
Chacun
se fait sa propre idée de l'aventure. Celle du nihilique est de
parcourir le monde juché sur un dog-cart, un half-track ou un
plum-pudding (suivant les saisons). Il serait « comme l'insecte qui, posé
sur quelque brin d'herbe, flotte au gré d'un fleuve »...