Il
était écrit que ce serait Camillo Golgi et nul autre qui découvrirait
l'appareil et lui donnerait son nom. Appareil de Golgi : cela sonne
vrai. Beaucoup plus vrai qu'appareil de quelqu'un d'autre.
À
quoi bon lire du Pessoa ou du Luc Pulflop, puisque tout ce qu'ils
disent, on l'a déjà constaté par soi-même ? Ils le disent de façon
amusante, c'est vrai, mais enfin... c'est seulement si on a du temps à
perdre.
Maurice Blanchot : Georges ! T'as vu ? On dirait la gapette au père Bugeaud !
Georges
Bataille : Bon Dieu mais t'as raison ! Regarde-moi ça, elle est faite
avec du poil de chameau ! Pour être originale, elle l'est, ça je te le
jure.
Maurice Blanchot : Pas la peine de jurer, je te crois. D'ailleurs, je la vois aussi bien que toi.
Le
philosophe Heidegger accusait l'animal d'être « pauvre en monde », et
c'était peut-être vrai, mais l'animal ne trompait pas sa bonne femme
avec la fille Arendt, lui.
C'est
le dernier après-midi de Socrate. Il reçoit ses amis dans sa cellule,
sachant qu'il va bientôt être exécuté. Il les reçoit tous sauf un. Dans
le Phédon où il décrit la scène, Platon note : « Platon, je crois, était
malade. » Et nous qui lisons ça, nous lui demandons : « Comment ça, tu crois ? Tu ignores si tu y étais ou non ? Tu te fiches de nous ou quoi ?
Merde ! »
En
septembre 1923, Frank Ramsey rend visite à Wittgenstein à Puchberg, le
village d'Autriche où l'auteur du Tractatus exerce le métier
d'instituteur. Wittgenstein dit à Ramsey qu'il ne veut plus aller à la
pêche aux concepts — c'est ainsi qu'il appelle la philosophie — car
les gens de la ville lui ont pris son panier (die Leute der Stadt haben
seinen Korb genommen). Ramsey est effondré.
Maurice
Blanchot a vécu sa vie en vain. Il a produit une couple de livres
effrayamment fastidieux, il a promené son Moi à droite et à gauche, il a
un peu fait le « golmon » avec Georges Bataille, et puis il est mort. Que
reste-t-il de lui aujourd'hui ? Rien. Absolument rien. C'est comme s'il
n'avait jamais existé. Sa vie a été fausse de bout en bout. Il aurait
mieux fait de ne pas naître.
Manquer
put sa patrie au grand Osuna, mais non à sa défense ses exploits (nous
dit Quevedo). Le nihilique, c'est différent. Sa patrie, c'est le Rien,
et elle ne lui a jamais fait défaut. Quant aux exploits... il n'en a pas
réalisé des masses, si ce n'est celui de vivre, jour après jour, une
minute après l'autre. Et il n'en est pas fier, oh non — bien le
contraire, plutôt.
Les
gnostiques alexandrins niaient l'humanité corporelle du Christ. Ils ne
pouvaient admettre qu'il fût soumis aux misères de la physiologie —
production de matière fécale, largage de « caisses » consécutif à
l'ingestion de flageolets ou de choux de Bruxelles, etc. Et comme ils
rangeaient la crucifixion parmi ces « misères de la physiologie », ils
allèrent jusqu'à déclarer qu'un fantôme avait été crucifié à sa place.
D'après
Shakespeare, nous sommes faits de la même matière (ou des mêmes deux
matières) que les rêves, à savoir — c'est un peu embarrassant à
répéter — le pipi (« wee-wee ») et le caca (« doo-doo »).
Quand
on a passé la moitié de sa vie à dormir et l'autre moitié à attendre
que ça se passe, mourir ne devrait pas poser de problème. Et pourtant
si. C'est plus fort que soi, on a les jetons.
Chez
les bouddhistes, les deux véhicules de pompier (le grand et le petit)
ont en commun les trois caractéristiques de l'être (impermanence ou
fugacité, souffrance et irréalité du Moi), les quatre nobles vérités, la
transmigration, le karma et la voie moyenne. Le plus grand des deux
véhicules se distingue par son idéalisme absolu (derrière les
apparences, il n'y a rien ; l'univers est une illusion ; vivre est la
même chose que rêver) et par son klaxon à cinq trompes qui joue La
Cucaracha.
Les
gnostiques et les kabbalistes croient que l'univers est l'œuvre d'un
dieu déficient, dont la fraction de divinité est proche de zéro. C'est
ainsi qu'ils justifient l'existence du mal, et celle d'énergumènes aussi
odieux que les garagistes de La Bourboule.
Pour
se libérer du monde des apparences et — tant qu'à faire — du
samsara, le « négateur universel » Émile Cioran engloutissait d'énormes
quantités de tarte aux poireaux. Il voyait bien que ça ne marchait pas,
mais il continuait quand même, poussé, disait-il, par son « démon de la
perversité ». Il en offrait parfois à Ionesco et à Beckett, mais eux non
plus ne parvinrent jamais à se libérer du monde des apparences (ni, pour
autant que l'on sache, du samsara).
Hermann
Oldenberg observe que les bouddhistes conçoivent le nirvana comme un
lieu où les êtres libérés se reposent, un genre de « canapé-lit
métaphysique » comportant une « housse amovible ».
Dans
sa pièce Roméo et Juliette, le dramaturge William Shakespeare fait
déclamer à son héros que sa chair est lasse du monde, qu'elle subit le
joug des néfastes étoiles, et cætera. C'est terrible à dire, mais
Shakespeare ne pouvait pas parler normalement. Même pour demander qu'on
lui passe la rhubarbe ou le séné, il fallait qu'il soit pompeux. C'était
aussi le cas de son contemporain Christopher Marlowe, qui ne
s'exprimait qu'en pentamètres iambiques.
Hospitalier
et fidèle en son reflet, où à n'être qu'apparence s'accoutume la
matérielle existence, tel est le vocable zingibéracé. Il projette une
douce lumière, il éclaire sans aveugler. Il est comme un clair de lune
dans la pénombre.
Le
nihilique a été initié aux mystères du Rien, comme Roger-Patrice Pelat
fut au rachat de Triangle par Péchiney en 1988. Mais contrairement à
Pelat, ça ne lui a rien rapporté (qu'un accablant sentiment de
solitude).
Lovecraft
dit que si l'être humain, à de certains moments, se précipite aux
doubles-vécés, c'est pour répondre à un impérieux « appel de Cthulhu » ;
et qu'il se livre, derrière les murs de l'édicule, à un « rituel hideux ».
Matérialistes
dialectiques, personnalistes mouniériens, empiristes logiques,
sceptiques grecs, existentialistes chrétiens, tous ces amis de la
sagesse ont une chose en commun. Ils sont tous du Puy-de-Dôme. Ils sont
tous de La Bourboule.
Dans
Crime et châtiment, quand Catherine Ivanovna Marmeladova dit à Loujine
qu'elle l'a vu glisser cent roubles dans la poche de Sonia, le
colocataire de Loujine, Lebeziatnikov, suffoque d'indignation. Il est
comme George Floyd : he can't breathe.
Quand
Carducci écrit « le silence vert des champs », il pousse un peu le
bouchon. Ce sont les champs qui sont verts, pas le silence. Nous savons
bien que le langage est un fait esthétique, mais « comme même » !
Tout
jeune déjà, Jean-Paul Sartre affirmait à qui voulait l'entendre
que « l'en soi n'a pas à être sa propre potentialité sur le mode du
pas-encore ». Ses parents en étaient gênés et lui disaient qu'il était un « serin ».