Solipsisme

 

« Le Moi individuel constitue toute la réalité ! Les autres Moi n'ont pas plus d'existence que les personnages des rêves ! Nous sommes seuls, mon vieux Milou ! » — Cette attitude mentale, souvent présentée comme une conséquence logique du caractère idéel de la connaissance, est appelée solipsisme par les philosophes, selon une source policière.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

La mer et la mort

 

Le peintre Nicolas de Staël s'est donné la mort à Antibes le 16 mars 1955. Il s'est jeté par la fenêtre. Selon ses voisins, son âme était de longue date « voilée d'une onctueuse et terrible noirceur ». Ils poursuivent (car ils sont véritablement intarissables) : « Son âme était envahie par deux images obsédantes : la mer et la mort. Comme celle de la poétesse Alfonsina Storni, un peu. Vous voyez ? »

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Happening kierkegaardien

 

Sortir sur son balcon ; y attacher une corde ; se la passer autour du cou puis se mettre à hurler : « Du possible ! Du possible, sinon je saute ! »

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Koan

 

Pour provoquer le satori (un genre d'illumination soudaine), la méthode la plus courante chez les bouddhistes zen est l'emploi du koan, qui consiste à poser une question et à lui faire une réponse absurde. Ainsi, à la question : « Quelle était la couleur du cheval blanc d'Henri IV ? », on peut répondre : « Le cyprès dans le jardin. » Les bouddhistes zen, un rien les amuse, un rien les illumine. Ce sont de vrais « mongolitos ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Bébert et Frédo parlent de Kierkegaard

 

« Dans Crainte et tremblement, Kierkegaard dit qu'il a un problème de foi.

— Une cirrhose ?

— T'es fou, il buvait presque pas. Non, il arrivait pas à faire le grand saut. À cause de Régine Olsen, cette pochetée.

— Ah, merde. »

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Alchimie pseudo-lullienne

 

Le pseudo-Lulle, dans son De secretis naturæ seu de quinta essentia, explique que le vin — le « pinard » — peut réparer les désordres des qualités élémentaires au sein du corps humain. Parmi les sectateurs les plus enthousiastes du pseudo-Lulle, on peut citer l'écrivain américain Bukowski.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

L'exécrable pêchu

 

Victor Hugo voulait dire que Jean Valjean était en forme et énergique mais il ne trouvait pas le bon mot. « Plutôt mourir qu'employer l'exécrable pêchu », dit-il à Sainte-Beuve qui passait par là. « T'as qu'à dire qu'il est dynamique », répondit celui-ci.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Réminiscence de Salluste

 

Un quidam qui traite sa bonne femme de grosse vache nous fait penser à l'historien Salluste et à sa merveilleuse brièveté de style.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Prise de confiance du monstre bipède

 

L'être humain agit comme s'il était immortel. Au lieu de dire : « À demain si je suis toujours vivant », ce qui serait logique vu sa précarité, il dit simplement : « À demain ». Il ne manque pas d'air, le pot de pisse. Il a « pris la confiance ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Un irritant précurseur

 

Plus d'une fois, on a eu envie de dire à Lautréamont de se la carrer dans le fiak, sa machine à coudre. Avec son parapluie et sa table de dissection en prime. Petit malin, va ! « Précurseur des surréalistes » !

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Hypersensibilité de l'existentialiste chrétien

 

L'existentialiste chrétien, il en faut peu pour l'impressionner : un vol de canards, des moineaux sur la neige, une phrase de Jaspers ou de Gabriel Marcel, et l'absolu le terrasse !

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Adieu, élan vital

 

Surchargé de concepts, Bergson peinait dans les montées. Il fit l'acquisition d'une mule puis, sur le conseil d'un fallacieux bourrelier de l'endroit, décida de troquer son « élan vital » contre une sellette en cuir munie de courroies afin d'y attacher ses autres concepts (intuition, durée, etc.) et une large gourde en peau.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Blanc nié noir

 

« Tout est blanc nié noir nous vénérons le rien », dit Salabreuil dans un de ses poëmes. Et c'est cela ! C'est exactement cela ! Nous vénérons le Rien ! Et peut-être aussi que tout est blanc nié noir, mais cela, nous ne le comprenons pas (ce doit être une façon de parler).

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Un « accro » au jeu : le frénétique Vissarion

 

Les victimes de l'histoire, du hasard, de la superstition, de l'inquisition de Philippe II, oui, d'accord, mais elles n'empêchaient pas le critique Biélinski de jouer au « préférence » avec ses « sauces », et toute la nuit s'il vous plaît.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Pas Jean Grenier

 

Quoi qu'il puisse prétendre, tel qui se suicide avec un fusil de chasse n'est sûrement pas le philosophe Jean Grenier puisque celui-ci s'est toujours déclaré adepte d'une contemplation proche du Wou-Wei (non-agir), l'un des préceptes du Tao.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Quête infructueuse

 

Le sens de l'existence, Nicolas Bouvier l'a cherché partout, jusqu'à Ceylan et en Afghanistan, mais il est resté aussi introuvable que le « possible » de Kierkegaard. C'est-il qu'il refuserait de se montrer aux cornichons qui parcourent le monde en Fiat Topolino ? Astheûre ? 

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Devancement

 

Quand le Dasein décide d'être lui-même en faisant face à la possibilité de sa mort, il a souvent l'air non seulement soucieux mais « devançant ». Il ne faut pas s'en inquiéter plus que ça. Le devancement n'est pas une rumination morbide de la fin, mais plutôt, selon l'expression de Christian Dubois, « la finitisation même de l'existence de l'être humain qui se donne à lui-même dans sa totalité singulière ». Rien d'alarmant, donc.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Pim fortuit

 

Le pachynihil est beau comme le « pim ! » fortuit que fait un parapluie (variante : une machine à coudre) en tombant sur une table de dissection.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Oxygène du possible

 

Dans Le Trésor de Rackham le Rouge, lorsque les Dupond-Dupont oublient de pomper, la situation de Tintin rappelle celle de George Floyd : he can't breathe.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Cézannisme géométrique

 

Sur les conseils d'un psychanalyste lacanien qui lui avait vanté l'art comme « un élément médiateur face à une souffrance presque indicible », Kierkegaard se mit au cézannisme géométrique, mais cela ne donna rien. Il avait toujours son « écharde dans la chair ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Indices

 

Certains écrits laissés par le poëte argentin Leopoldo Lugones, où il compare le monde à un « margouillis exophtalmique » (una alcantarilla exoftálmica) et la vie à une « indicible rémoulade » (una indecible salsa mayoneza mezclada con mostaza, pepinillos, alcaparras y finas hierbas) ont orienté les enquêteurs vers la piste du suicide.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Relativité générale et homicide de soi-même

 

En se défenestrant, Gilles Deleuze voulait évidemment se donner la mort, mais il se peut qu'il ait aussi cherché à vérifier expérimentalement un principe de la théorie de la relativité générale, selon lequel la gravitation n'est pas une force mais une « déformation riemannienne de l'espace-temps ». Dans cette interprétation, un objet en chute libre décrit simplement une géodésique de l'espace-temps.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Proverbe chinois

 

Il vaut mieux manger des lipides avec Li Po que des glucides avec Wang Wei — ou que faire le dingue avec Tou Fou.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Porosité du Dasein

 

S'il faut en croire Heidegger, le Dasein ressent la présence d'une absence, d'un vide, d'un creux, donc d'une porosité au sein de son être. Cette porosité est liée à la conscience qu'a l'étant existant de son être-pour-la-mort. On peut l'évaluer en calculant le rapport entre le volume du vide et le volume total du Dasein. Les ontologues distinguent trois types de porosité : tubulaire, texturale et structurale, selon la nature des pores. En pratique, la mesure s'effectue par la méthode de « sommation des fluides », qui implique d'enrober le Dasein dans de la paraffine.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Acosmisme

 

Les suicidés philosophiques nous aident dans notre traversée du « désert de Gobi de l'existence ». Ce que Karl Jaspers appelle leur « acosmisme », autrement dit leur perte du monde, nous éveille à la précarité de la vie. Alors merci, les « sauces ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Homme de l'ombre

 

Sergueï Essénine et François de Grossouvre ont en commun d'être de très équivoques suicidés. Mais l'empreinte qu'a laissée Essénine sur la poésie russe du XX^e siècle est beaucoup plus profonde que celle de de Grossouvre. Essénine a fondé le mouvement imaginiste (avec les poètes Marienhof, Cherchenevitch et Ivnev) tandis que de Grossouvre...

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Héros de la négativité

 

Le philosophe Karl Jaspers rapproche le suicide de l'ascèse monastique. Ce sont, dit-il, deux modalités de « négation inconditionnée » du monde. Le suicidaire et l'ascète sont « deux héros de la négativité » en quête d'éternel. La seule différence entre les deux est que l'ascète « a plus tendance à puer des pieds ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Proverbe russe

 

Il vaut mieux manger une pastèque avec Pasternak qu'avoir maille à partir avec Maïakovski.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Lectures nocives

 

Pour le chat, vivre consiste à faire de longues siestes au soleil et à dévorer de succulentes croquettes Canaillou, tandis que pour l'homme, ainsi que l'a noté le « romancier de l'absurde » Albert Camus, la vie est faite d'ennuyeuse monotonie, de paroles superflues et de solitude. Pourquoi ? Le chat n'a pas lu Dostoïevski ni Schopenhauer ni Fernando Pessoa, voilà pourquoi.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)