jeudi 26 septembre 2024

Ultime pince-fesse

 

Misanthrope comme on l'est, on tient les pince-fesses en une telle horreur que si ça ne tenait qu'à soi, on n'irait pas à son propre enterrement. On se ferait porter pâle ou on dirait qu'on doit aller au dentiste ou au coiffeur. Certes, on est si populaire qu'il est probable que personne ne viendra, mais attention : le risque zéro n'existe pas.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Bonne compagnie

 

Schopenhauer n'eût-il écrit que son apophtegme du porc-épic qu'il mériterait déjà de figurer au panthéon de la Pensée universelle (en compagnie de Raymonde-Élise Doise et de ses immortelles Vacances à Plomenez).
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

mercredi 25 septembre 2024

Philosophie et agronomie

 

Columelle dit qu'il faut qu'un jardinier et un laboureur ne soient guère moins savants en philosophie que Démocrite et Pythagore. Et de fait, pour s'occuper d'arbustres ou faire pousser des navets, il faut maîtriser certains concepts, ne serait-ce que celui de durée (Bergson) — vu que les navets, c'est comme les scorsonères, ça met un certain temps à arriver à maturité — et celui d'abritement (Heidegger) — en cas de risque de gelée. On pourrait aussi mentionner le concept husserlien d'intentionnalité anticipatrice mais ça suffit : on a compris, astheûre.

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Oxymel

 

Lorsque la fièvre saisit une personne avant qu'elle ait fait la grosse commission, ou immédiatement après qu'elle ait mangé, elle doit se tenir en repos jusqu'à ce que les aliments soient descendus dans les intestins inférieurs, et boire en même temps de l'oxymel. C'est Hippocrate qui le dit. Il ne faut surtout pas oublier de boire de l'oxymel, c'est excrêmement important. L'oxymel est un sirop aigre-doux à base de vinaigre de cidre et de miel, aux vertus expectorantes et diurétiques. C'est aussi un incroyable basifiant de l'organisme — quoi que cela puisse vouloir dire.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

« Nous voulons être des barbares... »

 

Les Gélons buvaient le lait de leurs cavales, mais les Sicambres, eux, c'était pis : ils étaient carrément enfoncés dans leurs marais. Quant aux Alains, c'est encore autre chose, ils habitaient le Caucase. Une vraie bande de peigne-culs, ces barbares. Ça ne donne pas envie. On a bien fait de lire Sidoine Apollinaire, ça nous a évité de faire une connerie.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Awareness au néant de soi

 

Les gens, dans leur immense majorité, ne sont pas « aware ». Toi, tu es « aware » ; tu sais que tu n'existes pas, mais eux... Ils ont tout l'air de posséder une « personnalité ». Une « personnalité » qu'ils se sont donnée on ne sait pourquoi. Enfin, c'est ainsi... On ne va pas les refaire, hein. Si ça leur plaît d'être cons...
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

mardi 24 septembre 2024

Vin de Capoue

 

Polybe dit qu'il naît à Capoue un vin excellent de l'anadendron, et qu'on ne saurait rien lui comparer. Cette phrase, « il naît à Capoue un vin excellent de l'anadendron et on ne saurait rien lui comparer », vous pouvez la répéter en vous-même quand tout va mal. Même si vous n'allez jamais à Capoue, même si votre vie est un vrai désastre, même si votre bonne femme s'est barrée avec un garagiste de La Bourboule, vous savez qu'au moins, là-bas, à Capoue... Là-bas, à Capoue, ce n'est pas pareil. Là-bas, il n'y a pas de garagistes, en tout cas pas de La Bourboule. Là-bas, le soleil brille. Là-bas naît un vin excellent de l'anadendron. Oh bon Dieu de bon Dieu !...
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Régime du paysan polonais

 

Ce n'est pas qu'on ait tellement envie de savoir ce que mange le paysan polonais mais parfois, alors qu'on lit un livre qui parle de totalement autre chose, on tombe sur un passage décrivant le régime du paysan polonais et il faut y passer. Alors voilà. La nourriture ordinaire du paysan polonais (au début du XIXe siècle) se compose de différentes espèces de grains mondés, de pois et de pommes de terre. Il consomme aussi une quantité incroyable de choux, de carottes qu'il acidifie, de sauerkraut et d'autres antiseptiques. Par contre, pour ce qui est des aliments tirés du règne animal, que tchi ou presque que tchi. Voilà, on est content — façon de parler. La culture, « comme même » !...
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Festin de pierres

 

L'allotriophagie est une dépravation de l'appétit qui porte à manger des substances non destinées à l'alimentation : terre, craie, sable, papier, cendre, etc. Le poëte Nerval, c'étaient les pierres. Il en avalait journellement une grande quantité. Ses amis lui disaient : « Alors Gérard, quoi, on bouffe des pierres ? » Mais ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Il se fichait de ce que les gens pensaient de lui. Déjà qu'il écrivait des poëmes et que son luth constellé portait le soleil noir de la mélancolie, alors une bizarrerie de plus ou de moins...
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Rire seul

 

Émile Cioran disait qu'il était excédé par tous, mais qu'il aimait rire et ne pouvait rire seul. De même, on peut être charmé de la narration de Tite-Live, de la pénétration de Salluste et de l'exactitude de Tacite, mais ne pouvoir rire en lisant la Vie d'Agricola ou la Conjuration de Catilina — tout simplement parce que ce n'est pas du tout poilant.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

lundi 23 septembre 2024

Tout pour plaire

 

Aussi lâche que cruel, Commode laissa égorger ses ministres dans des séditions. Il fit tuer sa sœur Lucilla, sa femme Crispina et le grand jurisconsulte Salvius Julianus. C'était un vrai dégueulasse. En plus de ça, il était doté de larges tiroirs où l'on pouvait ranger du linge ou des objets divers. Il était muni de traverses et reposait sur des montants droits ou galbés. Il disposait d'un abattant pour son modèle dos d'âne et était parfois doté d'un plateau en marbre. Il avait tout pour plaire, quoi.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un après-midi aux courses avec Bukowski

 

Le seul avantage d'avoir du succès dans les arts ou les lettres est qu'on a alors les moyens d'engager un majordome ou une gouvernante pour s'occuper de tout à votre place — en particulier de faire les courses. Mais à part ça, zéro.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Œil et homicide de soi-même


Pour se renseigner sur le mauvais œil et les animaux fascinateurs, le mieux est encore de se référer à l'ouvrage célèbre de Seligmann, Der böse Blick und Verwandtes, Berlin, 1910 (surtout le tome deux, page 469). Si par contre on s'intéresse à l'utilisation apotropaïque de l'œil, on consultera avec profit le Negotium perambulum in tenebris de Perdrizet (Publ. de la Faculté des Lettres de Strasbourg, fasc. 6, Strasbourg, 1922). Mais si ce qu'on veut c'est en finir avec l'existence, on avalera du taupicide. On peut aussi se jeter dans un puits busé, remarquez.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Traité de Montcuq

 

En 1214, l'un des principaux barons du Quercy, Déodat de Barasc, seigneur de Béduer, vint à la rencontre de Simon de Montfort et conclut avec lui, non loin de Montcuq, un traité par lequel il promit de démolir toutes les fortifications de ses domaines. D'après Georges Duby, c'était un traité comme on n'en voit guère — un traité au poil ; le traité au poil de Montcuq.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

dimanche 22 septembre 2024

Trop tard

 

Le silence du corps (pas celui de Ceronetti, le nôtre), c'était le bonheur et nous ne le savions pas. Insensé que nous étions, de nous dire malheureux ! Parce que le désespoir métaphysique, comparé aux rhumatismes... hein...
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Projet de loi

 

« Quiconque jette de son cerveau aucuns roman, sonate, tableau de peinture, par lesquels il gâte ou souille l'esprit des passants, le passant peut en justice exiger, et demander double réparation, et restitution du dommage par lui supporté dudit jeteur, laquelle double restitution lui doit être adjugée. »
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Il est passé par ici

 

Avoir longtemps cru que le bois dans lequel court le furet s'appelait le bois Mesdames alors qu'il y a une virgule... la gênance ! Et la vie est pleine de telles chausse-trapes. La vie, c'est gênance sur gênance.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Mort d'Ajax

 

Plus fort que la saleté mais vaincu par le destin, Ajax se suicida sur une plage de Salamine, ainsi que le raconte Sophocle.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

samedi 21 septembre 2024

Mortalité de l'être mortel

 

La certitude où il est de devoir mourir un jour communique à tout ce que fait l'homme une saveur âcre, très désagréable et qu'il est extrêmement difficile d'éliminer. Peut-être vaudrait-il le coup d'essayer avec du vinaigre, ou du jus de citron, ou de l'eau bouillante légèrement alcalisée ?
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Trémelliforme

 

La réalité empirique, si on l'observe bien, ressemble de façon étonnante à une trémelle, ce champignon fongicole basidiomycète à réceptacle gélatineux qui pousse en hiver sur les branches mortes. Elle a, comme la trémelle, des basides cloisonnées, sauf que ses cloisons à elle sont longitudinales. Comme la trémelle, elle est peu résistante, si peu résistante qu'elle se laisse facilement diviser à la simple pression d'une pointe. C'est sans doute de là, de cette fragilité de la réalité empirique, que venait le gouffre qui partout accompagnait Pascal, que le philosophe fût stationnaire ou « en situation de mobilité ».
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un piège à choses

 

Ne pas avoir de vie — exemple : Spinoza —, c'est encore en avoir une. Il semble qu'à part être mort, il n'y ait pas de solution. On le savait déjà pour les élections, mais il paraît que le fait d'exister est lui aussi est un piège à choses.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Axiomes

 

Selon Charles Reyneau, qui s'exprime ainsi dans sa Science du calcul des grandeurs en général, « on doit admettre pour vraies, sans preuve, les propositions qui expriment des choses qu'on aperçoit avec une entière évidence : “le tout est plus grand qu'une de ses parties”, “la vie est une grosse tourte de m...”, et cætera. Ces sortes de propositions s'appellent des axiomes. »
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

vendredi 20 septembre 2024

L'affaire du kinkajou

 

Animal étrange même pour les autochtones des contrées où il vit, le kinkajou est longtemps resté inclassable. Heureusement, grâce à la ténacité du commissaire Pellegrini, le mystère a pu être résolu. Ce n'est pas un primate, ce n'est pas un lémurien, ce n'est pas un viverridé, ce n'est pas un plantigrade d'un genre à part, c'est un procyonidé. Il se croyait fortiche mais il a fini par se mettre à table, comme les copains. Un vrai dur, hein ?
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Extermination de possible

 

À chaque instant, nous pourrions faire au bas mot un milliard de choses autres que celle que nous sommes en train de faire. Par exemple, au lieu de se gratter le nez, on pourrait se gratter le fiak. Et si nous sommes en train de ne rien faire, c'est pareil puisque nous pourrions faire un milliard de choses autres que rien. Il n'y a pas à en sortir, à chaque seconde on est condamné à exterminer du possible. Vivre, c'est exterminer du possible. Le moins compromettant est quand même de ne rien faire — déjà, c'est moins fatigant.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Culte de la paresse

 

Paresse, chez les Romains, était une divinité allégorique, fille du Sommeil et de la Nuit. Elle fut métamorphosée en tortue pour avoir écouté les flatteries de Vulcain. La plupart des gens font peu de cas de cette divinité, ils lui consacrent tout au plus une journée de temps en temps, mais nous, c'est toute notre vie que nous avons placée sous son auspice de Beaune. Avec pour résultat que tout nous est passé sous le nez. Oh, cette cosse !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Gnothi seauton

 

Quand on a la tête déprimée, le corps couvert de grandes écailles minces qui se détachent facilement, l'angle supérieur des ouïes marqué d'une grande tache noire, l'iris gris-argent, la bouche petite et dénuée de dents, la mâchoire inférieure projetée au delà de la mâchoire supérieure mais moins que le hareng, on peut être sûr à quatre-vingt-dix-neuf pour cent qu'on est un pilchard.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

jeudi 19 septembre 2024

Prénom

 

Émile Cioran, que rien ne satisfaisait et qui passait son temps à tout critiquer, trouvait que le prénom Émile faisait garçon coiffeur. Il aurait préféré s'appeler Fernand. Simone Boué n'était pas d'accord, elle trouvait que Fernand Cioran ne sonnait pas bien. Il y avait, disait-elle, trop de « an ».
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Éons

 

Contrairement à ce que s'imagine sottement l'homme de la rue, les éons ne sont pas que des personnifications de concepts ; ils sont aussi des univers à part entière, infinis et éternels, reproduisant le schéma général du Plérôme inengendré suprême !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Vous avez dit bizarre

 

Dans l'ouvrage de Jean-Marie Dupain intitulé Étude clinique sur le délire religieux, il est question d'une secte russe appelée Khlisti, dont l'une des coutumes est de faire chabrot. Les assistants se réunissent, récitent une brève prière, puis la soupière est mise sur la table ; les fidèles chantent en dansant frénétiquement tout autour ; les lumières sont alors éteintes et il se passe, selon l'auteur, « des choses indicibles ». Ces choses indicibles, on le devine à demi-mot, consistent en ceci que les adeptes ajoutent du vin rouge dans leur assiette pour diluer le fond de soupe qui y reste, portent l'assiette à leur bouche et avalent à grandes goulées !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)