Le négateur
Émile Cioran pensait que le bouddhisme n'était pas pessimiste. Mais pas
optimiste non plus. « C'est comme tout, disait-il ; le bouddhisme, je
veux dire. »
C'est d'abord
dans les rues de Greenwich Village (à la fin des années 60), puis dans
les couloirs méandreux de la maladie mentale (au début des années 70),
que Phil Ochs erra. Du disulfure de carbone fut injecté dans ses
racines, mais cette solution s'avéra extrêmement longue et coûteuse pour
le viticulteur. Finalement, le 9 avril 1976, le pauvre Phil en eut
assez et se pendit. Il avait trente-cinq ans.
Pendant
longtemps, on a cru que seuls mouraient ceux qui « ne savaient pas y
faire », c'est-à-dire tout le monde sauf soi. Mais on commence à avoir
de sérieux doutes sur sa propre capacité à y faire. Et si soi aussi on
allait y passer, en fin de compte ?
Chez le poëte
hippie Richard Brautigan, tout nous irrite : sa moustache, son chapeau,
et surtout ses poëmes. Mais il s'est suicidé alors tout lui est
pardonné.
Le négateur
Émile Cioran dit que pour entrevoir l'essentiel, il ne faut exercer
aucun métier, juste « rester allongé et gémir ». Très bien, mais à force
d'entrevoir l'essentiel, ne risque-t-on pas d'attraper des escarres ?
Voire quelque chose de pis ?
En 1957,
Maurice Merleau-Ponty propose à ses collègues philosophes un moratoire
sur la création de concepts. Il trouve que les amis de la sagesse
produisent chaque année un nombre effarant de concepts qui pour la
plupart ne servent à rien. « Arrêtons ces outrances qui nous font passer
pour d'absurdes polichinelles », leur dit-il dans sa lettre. Faut-il le
préciser ? Son appel fut ignoré et la production continua comme devant.
Être ou ne
pas être. Mon royaume pour un cheval. Si vous nous piquez, est-ce que
nous ne saignons pas. Voilà. C'est à peu près tout. Il n'y a pas de quoi
en faire un fromage. À moins que... quelque chose ne nous échappe ?
Chez William le Pompeux ?
Il était
écrit que ce serait Zapruder et nul autre qui ferait le fameux « film de
Zapruder ». On n'imagine pas ce film s'appeler autrement que « film de
Zapruder ». Ce serait énormément « malaisant ».
Même en
donnant un sens très élastique à cette expression, il nous est
impossible de nous décrire comme un « jolly good fellow ». Ce n'est donc
pas la peine, vous autres, de mentir en prétendant que (version
anglaise) c'est ce que tout le monde dit ou que (version américaine)
personne ne peut le nier. Nous sommes un contempteur futile et
pathétique de soi-même, voilà ce que nous sommes. Mais en aucun cas un
« jolly good fellow ».
Si un jour
nous mourons — il faut tout envisager —, nous aimerions être enterré
dans une cave où il y a du bon vin. Dans la mesure du possible, les
deux pieds contre la muraille et la tête sous le robinet. C'est noté,
les croque-morts ?
On a bien sûr
le droit de rapprocher telle chose de telle autre, et les poëtes ne se
gênent pas pour le faire, mais dire du Rien qu'il est « un colossal
voilier pourvu d'une brigantine cousue sur des lattes en bambou », c'est
passer un peu les bornes !
La vie vous
découpe en rondelles selon la tactique dite « du salami hongrois », et
vous, tout ce que vous pouvez faire, c'est écrire quelques aphorismes
pour dire que vous n'êtes pas content.
Frappé par un
malheur, le fataliste se dit que « c'était écrit » quand le nihiliste,
lui, se réfugie dans l'idée que « rien n'est ». Mais qu'on soit
fataliste ou nihiliste, il y a des choses qui sont quand même dures à
avaler, par exemple quand un salop de pigecaille défèque sur votre
véhicule.
Le
mathématicien Kronecker disait que l'infini n'était rien d'autre qu'un
« canular surréaliste », et cela énervait beaucoup son collègue Cantor
(c'était d'ailleurs le but — les deux ne pouvaient pas se blairer).
Quand, dans
la même journée, on rencontre Dieu successivement dans un morceau de
reblochon, dans des pédicelles de cerise et dans le vocable strapontin,
les choses sont claires : on fait une crise de panthéisme.
Quand la
conversation s'épuise, c'est le moment de déclarer qu'on ne sait pas de
plus belles sculptures que les lunaires et silencieuses sculptures
précolombiennes.
Du Rien, on
peut dire tout ce qu'on veut, même qu'il est en forme d'ellipsoïde. Oui,
en vérité nous le disons : le Rien est en forme d'ellipsoïde — et
nous vivons à l'intérieur.
Quand il
était tenaillé par l'insomnie, le négateur Émile Cioran tirait de son
placard une boîte de croquignoles confiturées qui lui tenait compagnie
jusqu'à l'aube.
Comme le
Tasse, la plasticienne Unica Zürn manquait terriblement de bol : en plus
d'être atteinte de schizophrénie et d'une grave dépression, elle
souffrait d'un problème de cohabitation avec un Bellmer envahissant.
Parce qu'on a
entendu dire que cuisiner éloigne les peurs, on mitonne des côtelettes
d'agneau persillées, accompagnées de cocos de Paimpol. Mais c'est un
échec. Il n'y a rien à faire : on peut cuisiner tant qu'on voudra, aussi
longtemps qu'on sera en vie, on aura les chocottes.
On se livre à
l'action élémentaire de beurrer une biscotte, et soudain, les amarres
du réel sont rompues : le beurrier n'est plus un beurrier, c'est un pot
de stupeur ontologique !
Les ceusses
qui se vantent d'avoir descendu des fleuves impassibles et disent ne
s'être plus, à un moment donné, sentis guidés par les haleurs, ces
ceusses mériteraient d'être fessés pour « frime » aggravée.
« Dictes-moi
où, n'en quel pays, ont disparu Gérard Saint-Paul, Régis Faucon et
Ladislas de Hoyos ? Où s'en sont-ils allés ? Et où sont les neiges
d'antan ?
— Les neiges d'antan ? Elles sont dans ton cul, les neiges d'antan ! Hé, ballot ! »
Depuis qu'il
est descendu du singe, l'homme n'a fait que des sottises. Il ferait
beaucoup mieux d'y remonter. Et jusqu'à l'amibe, tant qu'à faire. Au
foraminifère !