mardi 3 août 2021

Sensibilité du nihilique

 

Comme le gorille, l'homme du nihil est d'humeur sociable très ombrageuse. S'il est brutalisé — s'il doit subir, par exemple, la vue d'un « monstre bipède » en survêtement —, il devient triste, ne mange plus et se laisse périr de nostalgie. Il est en outre terriblement impressionnable au froid. Habitué à la douceur du climat du pachynihil, il est bientôt pris, quand on le plonge dans la glaciale « réalité empirique », de coryza et de bronchite mortelle.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 24 juillet 2021

Question d'habitude

 

L'ennui, ce « monstre délicat » dont parle Baudelaire dans le premier poëme des Fleurs du mal, est toute la vie de l'homme du nihil. Mais s'il faut en croire ce dernier, « on se fait à tout, même à se faire chier ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 23 juillet 2021

Cauchemardesque

 

Gragerfis raconte que l'homme du nihil, ayant aperçu de l'étant alors qu'il promenait son chien, se sentit envahi par une sorte de purpura inflammatoire avec accompagnement de frissons et de fièvre : il avait le visage écarlate. Il prit avec abondance du thé alcoolisé et acidulé de citron et en fut quitte le lendemain après plusieurs selles fétides.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 19 juillet 2021

Être absolu


À une époque, l'homme du nihil se mit en tête de devenir un être absolu, c'est-à-dire indépendant de toute relation extrinsèque. Hélas ! sa tentative fit long feu, car malgré qu'il en eût, il restait une personne, et dès lors, il sentait dans le temps, et pensait de même. Courroucé et déconfit, il dut accepter son échec et se contenter de vivre une existence relative, comme tout un chacun.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 17 juillet 2021

Cartes postales

 

L'homme du nihil voit la « réalité empirique » comme un immense marché aux puces. Quand il n'a rien de mieux à faire — quand il n'est pas occupé à méditer sur l'haeccéité, la temporalité du temps, la mortalité de l'être mortel —, il y déambule à la recherche de cartes postales, qui sont souvent chez lui l'amorce d'un désir violent de se détruire.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 16 juillet 2021

En peau de lapin

 

Le Français se flatte volontiers d'être, comme le cinéaste Buñuel, un anarchiste aigu, perceptif et libre. Mais — conséquence de son éducation jésuitique ? — dès qu'une bourrelle lui crie « les patins  ! », ou un tyranneau « le vaccin ! », il obtempère avec une obéissance loyolesque, perinde ac cadaver, « avec la servilité d'un cadavre ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Herméneutique du On

 

Quand un pouvoir despotique prétend lui injecter dans le corps une substance qui risque de le transformer, à plus ou moins long terme, en cheval, en crocodile ou en femme à barbe, l'homme du nihil ne peut que ressentir, comme avant lui Heidegger, l'urgence d'une herméneutique de la vie facticielle — à laquelle il appartiendra « de défaire l'explication reçue et dominante, d'en dégager les motifs cachés, les tendances et les voies implicites, et de pénétrer, à la faveur d'un retour déconstructeur, aux sources originelles qui ont servi de motifs à l'explicitation ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 14 juillet 2021

Mystères

 

Même si l'on admet que l'homme du nihil — ce solipsiste invétéré — est bien ce qu'il prétend, à savoir « celui qui est », on ne peut échapper à la question : pourquoi est-il ? Et que faisait-il dans son être avant qu'il lui plût de créer la « réalité empirique » ? À quoi s'occupait-il, dans le silence éternel d'un espace vide ? Et quelle mouche l'a piqué ? Pourquoi a-t-il décidé de créer l'univers, et cet univers plutôt qu'un autre ? Autant de mystères, autant d'abîmes... Autant de questions auxquelles l'homme du nihil lui-même est bien en peine de répondre. D'après Gragerfis, sa seule défense est : « Ça s'est fait comme ça, désolé. Je devais être un peu patraque. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 13 juillet 2021

Live free or die


« Vous avez entendu ce qu'ils ont dit ? Si vous ne vous vaccinez pas, ils buteront un otage toutes les trente secondes. Alors vaccinez-vous, bande de salops !
— Ce vaccin nous protégera-t-il de la sensation de vivre isolé dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort ? Non. Alors va te faire cuire un œuf.
— Je ne m'en mêle plus.
— Et tu fais bien ! »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 10 juillet 2021

Charogne

 

Gragerfis dit que l'homme du nihil ne veut pas être aimé, mais qu'il voudrait être compris et qu'il exige d'être respecté et considéré comme une exception ou encore mieux comme une « charogne ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 9 juillet 2021

Conjuration

 

Le vocable reginglette, ce vocable que, selon l'homme du nihil, « chacun répète en soi-même jusqu'à la fin », est — s'il faut en croire le même — « le seul moyen de s'arracher à ce ressassement mélancolique, à cette rumination morose sur l'haeccéité, à cette aversion pour l'existence qui empoisonnent la vie de toute créature pensante ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 5 juillet 2021

Jours vides

 

La vie de l'homme du nihil est pleine de jours vides, de ces jours qu'on pourrait appeler médicinaux. Mais il y a aussi les jours critiques, qui sont ceux dans lesquels se font les crises — les fameuses « attaques de pachynihil ». Et les jours contemplatifs, qui indiquent ou qui annoncent que la crise sera parfaite (et généralement elle l'est).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 4 juillet 2021

Memento excrementori

 

La nécessité où se trouve l'homme d'expulser quotidiennement des excréments devrait l'inciter à quelque modestie et le dissuader d'infliger des souffrances morales à ses semblables (par exemple en les trompant avec un garagiste de La Bourboule). Cette accointance avec la matière excrémentitielle devrait aussi, s'il avait un peu de pudeur, le retenir de « créer des concepts » et de concevoir aucune « pensée élevée ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 3 juillet 2021

Discussion de comptoir

 

« Quand on est mort, on est tranquille. On est d'autant plus tranquille qu'il n'y a plus de "on". Pas, Mimile ?
— C'est ben vrai, astheûre ! Crévindiou ! »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 2 juillet 2021

Dépossession existentielle

 

Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis note — en ayant l'air de s'en réjouir — que « l'existentialiste Martin Heidegger, qui a noirci tant de pages sur l'être et le temps, se trouve maintenant dépossédé de l'un et de l'autre, ayant été avalé par le pachynihil ». — Et de fait, depuis le 26 mai 1976, Heidegger est réputé ne plus exister — il est, comme on dit, « décédé ». Quant à savoir ce qu'il faut en conclure...

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 1 juillet 2021

Un merveilleux remède

 

La connaissance des propriétés médicales du taupicide remonte à la plus haute antiquité, et la vénération religieuse que les anciens druides avaient pour cette substance se rattachait pour une bonne part à ses merveilleuses vertus pour la guérison des maladies — en particulier celle d'exister.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 29 juin 2021

Temporalité

 

Sous des dehors débonnaires, le temps est un vrai salop. Vous vous promenez cueillant des mûres dans un chemin creux, vous êtes jeune, en bonne santé, insouciant, jouissant des gazouillis du bouvreuil et de la bergeronnette, vous voyez « la vie en beau », et soudain, en moins de temps qu'il n'en faut pour cuire des asperges, c'est la sénescence, la caducité, la décrépitude et finalement la mort. Avant que vous ayez eu le temps de dire ouf, vous êtes, comme on dit, « décédé ». Bon diousse de bon diousse !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 24 juin 2021

Dictyosome


Pour combattre l'angoisse d'exister, le psychologue américain John Tussord recommande au sujet pensant de se plonger dans des manuels de biologie. En plus d'assommer le Moi, cela permet d'apprendre, par exemple, que « le dictyosome est un corpuscule en forme de bâtonnet, d'écaille ou de vésicule entrant dans la composition de l'appareil de Golgi » — ce qui, d'après Tussord, est « toujours bon à savoir ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 21 juin 2021

Rectification


Selon l'homme du nihil (propos de table rapporté par Gragerfis), « la vie n'est pas, comme l'a cru naïvement Shakespeare, une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien, mais tout simplement une grosse tourte de m... ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 19 juin 2021

Un ectoplasme satanique

 

Tout le mal du monde — à l'exception peut-être de celui provoqué par un panaris — prend sa source dans la sinistre coquecigrue qu'on appelle le Moi. Arrière, le Moi ! Du balai ! Aux doubles-vécés !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 16 juin 2021

Irréalité

 

Conscient de l'irréalité du monde, l'homme du nihil tente, à l'aide du vocable reginglette, de produire une œuvre qui soit plus réelle que la prétendue « réalité empirique » et qui dénonce avec vigueur le caractère fictif de celle-ci. — Mais c'est un terrible fiasco.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 15 juin 2021

Guindé

 

« Je porte avec orgueil la honte d'avoir un Moi » répondit un jour l'homme du nihil à Gragerfis qui lui demandait pourquoi il était aussi guindé en société.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 14 juin 2021

Népenthès

 

Quand l'homme du nihil recherche l'oubli de soi-même — « Car mon âme frémit de regarder dans l'urne », confie-t-il un jour à Gragerfis —, c'est d'un « soi » qui se confond pour lui avec l'homme actuel, contradictoire et déchiré, avec ses déchéances mystérieuses (il souffre alors d'un cruel panaris) et ses amertumes dues notamment aux vilenies d'une « bourrelle ». L'urne, selon Gragerfis, contenait « un genre de minestrone à base de taupicide foudroyant Moulin ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 12 juin 2021

Humilité de l'homme du nihil

 

L'homme du nihil dédaigne les biens de la terre et « est humble dans son genre » (Gragerfis). D'après Froissard, ce dédain et cette humilité le distinguent du comte Robert de Genève (futur pape Clément VII), connu pour s'entourer d'un « éclat ambitieux ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 11 juin 2021

Moment d'abattement

 

Alors qu'il venait de rendre ses derniers hommages à un proche inopinément « décédé », l'homme du nihil déclara à Gragerfis que « la vie n'est certes pas quelque chose d'amusant, mais la mort... cela n'a pas l'air fifou non plus ». Gragerfis dit dans son Journal qu'il en resta « comme deux ronds de flan ». Entendre parler ainsi le chantre infatigable de l'homicide de soi-même ? La mort, « pas fifou » ?!

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 10 juin 2021

Folle témérité du nihilique

 

« C'est une entreprise hardie, celle où s'est lancé le nihilique, qui consiste à aller dire aux hommes qu'ils ne sont que de grotesques "monstres bipèdes" et que, par-dessus le marché, "rien n'est". — Mais le moyen de réfuter ces assertions ? »
(Bossuet, Sermon sur la mort. Pour le vendredi de la IVe semaine de Carême 1662)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 9 juin 2021

Calamité

 

Selon Gragerfis, le seul moyen de supporter une relation de longue durée avec une personne du sexe est de voir en cette dernière une « calamité naturelle » — comme une inondation, une nuée de sauterelles, etc. — à laquelle il est impossible d'échapper. « Mais pour ça, précise-t-il, il faut être sacrément fataliste. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 8 juin 2021

Défense conceptuelle

 

« Par le concept de reginglette, nous nous défendons contre le monde. » (Otto Weininger, Sexe et caractère)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 4 juin 2021

Misanthropie

 

D'après Louyer-Villermay 1, « il n'existe aucun médicament propre à guérir la misanthropie » car « les affections de l'âme et les maladies de l'entendement sont très peu accessibles aux puissances pharmaceutiques ». — « Je t'en foutrai des maladies de l'entendement, moi, tuouaouar ! », réplique l'homme du nihil.

1. Dictionnaire des sciences médicales, Tome trente-troisième, Paris, Panckoucke, 1819.

(Fernand Delaunay, Glomérules)