vendredi 28 février 2025

Plan de Zurich

 

Le 27 août 1911, Franz Kafka écrit dans son Journal : « Achat d'un plan de Zurich ». Évidemment, ce qu'il veut dire, c'est que la vie est un mystère irrésolu, un labyrinthe ; que l'homme est condamné à évoluer dans un monde incompréhensible où il est livré, impuissant, à des forces inconnues. Dans ces quelques vocables, tout ce qui constitue l'humaine condition — tout ce que Malraux exposera laborieusement plus tard — est resserré avec une force et un bonheur d'expression suprêmes. Oui, en vérité, « achat d'un plan de Zurich ».
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Réfutation esthétique de Taine

 

Joséphin Péladan dînait à l'huile, il trouvait cela plus sain que de dîner au beurre. Sa maîtresse Henriette Maillat également. Mais pour le mage, c'était aussi un moyen de réfuter esthétiquement Taine. Ce dernier, en effet, ne jurait en art que par le beurre (Rubens, le Corrège, Boucher, etc.).
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

jeudi 27 février 2025

Arman les collectionne

 

Le plasticien Arman était un vrai benêt. À cause de sa balourdise, il se retrouvait sans cesse dans des situations impossibles, ce qui avait le don d'énerver sa bonne femme. « Tu les accumules », lui lançait-elle (voulant dire les conneries).
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Une difficultueuse traversée

 

La mort est un peu profond ruisseau, sans doute, mais l'homme est mal armé pour le traverser. Faute de bottes en caoutchouc — métaphysiques ! —, il est voué à se mouiller les doigts de pied. Évidemment, ce n'est pas une raison pour calomnier ce ruisseau : après tout, ce n'est pas sa faute.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Aversion bloyenne

 

Évoquant les gars de la campagne, Léon Bloy parle de « l'obtuse bassesse de ces hypocrites fauves ». Il ne peut pas piffrer les gars de la campagne, c'est clair.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Catalogue des nuisances


L'être, c'est le poëte Mallarmé qui en a donné la meilleure définition : un sépulcre solide ou gît tout ce qui nuit — un genre de « tombeau de Théophile Gautier ». Mais dans « tout ce qui nuit », si le débonnaire Mallarmé place — à plus ou moins bon droit — l'avare silence et la massive nuit, il oublie d'inclure les dondons. Et pourtant... Dieu sait.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

mercredi 26 février 2025

Des penseurs

 

Dans ce monde où tout sans exception est ridicule, le comble du ridicule consiste à exprimer une pensée. Les « penseurs » méritent le knout, la chicote, les baguettes, et un bon coup de pied au fiacre.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Un roi de la brocante

 

On trouve de tout, chez Huysmans : et d'obscurs évêques, et d'illucides saints. Pour un peu, on se croirait aux « Puces de Saint-Ouen ».
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Découragement

 

Alors que nous avions formé le projet de nettoyer un peu notre carrée, une intuition bergsonienne — ou camusienne ? — nous annonce que notre avenir sera fait d'ennuyeuse monotonie, de paroles superflues et de solitude — avec la mort au bout. Puisque c'est ainsi, nous passerons plutôt l'aspirateur demain (ou un autre jour).
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

De l'amitié

 

Les gens qui ne vous connaissent pas, vos déboires ne leur font ni chaud ni froid. Il n'y a vraiment que ceux qui vous connaissent pour s'en réjouir. Et tenez-vous bien : mieux ils vous connaissent, plus ils jubilent !
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

mardi 25 février 2025

Un Garcimore du symbolisme

 

Pour amuser les invités qu'il recevait au 89 rue de Rome, Mallarmé avait appris un tour de magie. Il disait « une fleur ! » et, hors de l'oubli où sa voix reléguait aucun contour, en tant que quelque chose d'autre que les calices sus, musicalement se levait, idée même et suave, l'absente de tous bouquets. Oscar Wilde, Maurice Barrès, Paul Claudel, tout le monde était soufflé.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Fausse rumeur


Hygin conteste la rumeur selon laquelle la Pythie de Delphes boulottait en se rendant à ses audiences.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Verdict

 

Constat ayant été fait que l'œuvre de Michel Foucault constitue pour lui une référence ; qu'il a par ailleurs été influencé par Derrida, Guy Debord, Hannah Arendt, Carl Schmitt et l'historien de l'art Aby Warburg ; le sieur Agamben Giorgio est condamné à recevoir les verges « cul nu ».
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Du Le Nain

 

Blanchot et Bataille jouant au trictrac pendant qu'à une autre table Leiris et Klossowski discutent de la sémiotique pulsionnelle de Nietzsche autour d'un pichet de pichtegorne, ce n'est pas du Daumier, c'est du Le Nain.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

lundi 24 février 2025

Imitation de Pascin


À l'instar des dessins et tableaux de Pascin, notre « conscient intérieur » est nimbé d'une indicible tristesse. Allons-nous, comme le peintre, nous ouvrir les veines des deux bras, écrire avec notre sang « Adieu Lucy » sur les murs de l'atelier, enfin nous pendre à la poignée de la porte ? Être inhumé d'abord au cimetière de Saint-Ouen puis transféré plus tard au cimetière du Montparnasse à la demande de notre famille ? Ou bien... ne rien faire ? — Nous connaissant, sans doute ne rien faire.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Attentat kesselien

 

Pour un amoureux des belles-lettres, il n'existe pas de douleur plus cuisante que de se faire mordre le fiacre par le lion de Joseph Kessel. On se promène en voiture hippomobile dans le Parc national d'Amboseli, et tout à coup... ce sacré lion ! Et il y va, le salop !
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Gnothi seauton

 

Le bonheur ineffable que cela doit être, de pouvoir énoncer : « Bonjour, je m'appelle Untel et je suis alcoolique » !... On sait enfin ce qu'on est ! Un alcoolique !
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Irrévérence gombrowiczienne


Dans son Journal, Gombrowicz compare le rire de Butor à celui d'une boîte de sardines en plein Sahara. Railler ainsi le spirituel Butor !
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

dimanche 23 février 2025

Proportion d'ordure

 

« Que le cœur de l'homme est creux et plein d'ordure ! », s'exclame Pascal. Et de fait, l'homme a dans le cœur — proportionnellement — plus d'ordure que dans son verre de whisky (ou de pastis) l'éditeur Maurice Nadeau.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Couvaison

 

Comme à Huysmans, le passé nous semble horrible, le présent nous apparaît faible et désolé, et quant à l'avenir, c'est l'épouvante. Serions-nous pas en train de « couver » quelque chose ?
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Bergson et les sources

 

L'attirance que nourrissait Bergson pour les « milfs » et les « cougars » était si forte qu'il se trompa en établissant la liste des sources de la morale et de la religion. Sans réfléchir, il inclut les « cougars » en plus de la pression sociale et de la conscience individuelle. Heureusement, son cousin par alliance Marcel Proust lui signala son erreur avant qu'il n'envoie son manuscrit à l'éditeur.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

De notoriété publique

 

Henry de Monfreid fournissait le poëte Cocteau en opium tiré du pavot qu'il cultivait dans son jardin, ce n'était un secret de la mer Rouge pour personne.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

samedi 22 février 2025

Un paltoquet

 

Si vous dites que vingt ans est le plus bel âge de la vie, Paul Nizan va vous coller une mandale. Il a juré qu'il ne le laisserait dire à personne. On se demande pour qui il se prend, ce paltoquet. C'est formidable, ça !
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Un personnage peu reluisant

 

Dans sa chanson Comme ils disent, Charles Aznavour fait habiter son personnage rue Sarasate, à deux pas de l'ancien hôpital Boucicaut. Marginal invétéré, l'homme est un antiphysique qui vit avec sa mère dans un très vieil appartement où il pique occasionnellement à la machine. La nuit, il exhibe son fiacre sur la scène d'un cabaret (il possède un fiacre). Tout ceci n'est pas très reluisant, mais enfin...
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Odyssée de la rancune

 

Le négateur Émile Cioran employait le plus clair de ses veilles à dépecer en pensée Lucien Goldmann, à lui arracher les yeux et les entrailles, à presser et vider ses veines, à piétiner et broyer chacun de ses organes, tout en lui laissant par charité la jouissance de son marxiste squelette. Il était comme ça, le négateur. Vindicatif.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Deux généraux très dissemblables


 
Le général Massu était si persuasif qu'on a donné son nom à un argument sans réplique. Par contre, le général Salan, s'il parvenait à dégeler son interlocuteur, échouait souvent à le convaincre.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

vendredi 21 février 2025

Quiproquo comique

 

Michel Foucault avait une élocution tellement embarrassée qu'il se vit un jour remettre du Débridat en lieu et place du Derrida qu'il avait demandé. À quelque chose malheur est bon et sa motricité intestinale en fut extraordinairement régulée.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Contingence de l'autrui lévinassien

 

Par politesse, on fait semblant de trouver l'existence de l'autre justifiée, et même — si l'on est un lèche-cul patenté — nécessaire. Mais dans son for intérieur, on n'en pense pas moins.
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Sémiologie de la métaphore

 

Quand Vico dit que « la philosophie de l'histoire est une pomme chip », il se place dans la lignée d'Aristote qui définit la métaphore comme une analogie rapprochant deux objets sémantiques en apparence opposés. Derrida contestera ce point de vue, prétendant qu'il est impossible d'unifier une métaphore en une analogie réglée, et que les métaphores se produisent au hasard et à l'infini (ce qui a pour effet de dérégler le langage et le domaine du sens).
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)