Le « négateur universel » Émile Cioran dit quelque part qu'un livre est un
suicide différé. Quand on lit ça, on se dit que cette assertion est bien
dans la manière du Grandiloque, qui n'a jamais pu résister à la tentation
de faire un bon mot. En réalité — et en tant que « négateur universel »,
il le savait sûrement —, c'est du bidon : peu importe qu'on écrive ou
non, la vie est un suicide ininterrompu.
De
même que le saint-honoré a son centre garni de crème chiboust — ce
mélange de crème pâtissière et de meringue italienne —, l'existence
humaine est farcie de matière excrémentitielle — de « merde ».
Fidèle
à sa réputation de « penseur paradoxal », Frédéric Nietzsche n'hésite pas
à soutenir — dans Humain, trop humain — que l'humiliation est « une
petite gazette du mieux se connaître ».
Un
jour qu'il n'était pas à prendre avec des pincettes, Jésus aurait
prévenu Paul que, même en y allant « franco de port », il lui serait dur
de regimber contre les aiguillons (Actes, 9:5-6). Le « héron
mélancolique » Roland Jaccard, lui, avait trouvé une façon originale de
regimber contre les aiguillons (du réel) : c'était d'engloutir des
sushis.
Émile
Cioran aime le mot cafard. Bien qu'il soit en général sensible aux
nuances, il ne voit pas que ce vocable est assez « bébête » et qu'on
l'attendrait plus dans la bouche d'une pécore que sous la plume d'un « négateur universel ».
D'après
le professeur Munteanu, le « négateur universel » Émile Cioran voyait en
la musique de Bach le seul moyen — hors la pensée de l'homicide de
soi-même et la tarte aux poireaux de Simone Boué — de « dissiper son
spleen plombé d'antique momie ».
Ni
le bouddhisme zen, ni l'entreprise maritainienne placée sous le signe
du thomisme, encore moins le merleau-pontisme, ne parviennent à donner
un sens à la séquelle de minuscules anecdotes en quoi consiste une vie
humaine (par exemple le remplacement d'un chauffe-eau).
À
cause qu'il est un périèque, le nihilique ne participe pas à la vie
politique de la cité. Mais à vrai dire, il ne participe pas à la vie en
général. Car périèque, il l'est aussi de l'existence. Un périèque,
donc... — mais dynamitier !
Les « vaques » s'estiment heureuses quand elles ont de l'herbe à boulotter.
Mais l'homme a une conception plus raffinée du bonheur. Il veut être « aimé », le céoène !
Pour
décaper son âme-logogriphe, le nihilique n'a pas trouvé mieux que le
muscadet. Il s'y met dès huit heures du matin. Il dit qu'il prend des « capsules ontologiques ».
Que
devient l'âme humaine, après que la mort a brisé les liens qui
l'enchaînaient au corps ? Une jolie corbeille de mésotrons, voilà ce
qu'elle devient. Nous répétons : une jolie corbeille de mésotrons —
que l'on peut, si on le désire, poser sur une briquette de chondrite
carbonée ou sur un dessus de cheminée.
Le « vieux jeton » échappe à la temporalité du temps. Il vit dans une
étroite éternité semblable à celle que lui procuraient jadis — quand
il n'était encore qu'un « moujingue » — les manèges pour enfants.
Descartes
pensait avoir conçu le parfait moulinet de la méthode, mais quand il
sortit de son poêle pour l'essayer dans un canal de Leyde, il fit chou
blanc. Ça ne « mordait » pas. Les « poiscailles » étaient insensibles à sa « preuve par le parfait » !
On
a tendance à se représenter la mort comme un dandy tiré à quatre
épingles, on l'imagine vêtue d'une jaquette ou d'une redingote, mais la
plupart du temps, quand elle se présente, elle est fagotée à la
six-quatre-deux ! Il lui arrive même de sortir « en cheveux » !
Si
vous cherchez dans la littérature une réponse à la question « comment
vivre », bon courage. Entre Bartleby qui préférerait ne pas et Barkis qui
veut bien, il y a de quoi être déboussolé. Comment savoir sur quel pied
danser ? Qu'il est pénible d'être livré à soi-même !
On vit
parce qu'il faut vivre (soi-disant) ; mais on le fait la mort dans
l'âme. Qui nous consolera d'exister ? Pas la philosophie ! Peut-être le
pape François ?
Heureux ! Heureux celui dont le dehors coïncide avec l'image qu'il se fait de
lui-même ! Atrocement « malheuleux », en revanche, celui qui, âgé de
quinze ans in petto, dix-sept à tout casser, est prisonnier d'une
défroque de « vieux jeton !
Heidegger
déconseille au Dasein de porter des sous-pulls en viscose, car d'une
part ça gratte, d'autre part le Dasein est alors « empêtré » et
« empêché » de retrouver son être le plus propre, que seule la
conscience authentique de la mort peut lui restituer.
Humer
le Rien comme on se saoule. Tout simplement, sans penser à demain — à
ce « demain » qui vient toujours un peu trop vite. Mais sans penser non
plus aux adieux (d'avec la réalité empirique) qui quelquefois se passent
un peu trop bien (suicide au monoxyde de carbone, comme Stig Dagerman) .
L'homme,
s'il est quelque chose, doit être un papillon rêvant qu'il est
Tchouang-tseu. Ce n'est pas possible autrement. Toute autre conjecture
serait pépiage.