Est-ce
cela qui l'a poussée à se défenestrer ? Nul ne peut l'affirmer, mais il
est certain que la « plasticienne » Unica Zürn, en plus d'être atteinte
de schizophrénie et d'une grave dépression, souffrait d'un problème de
cohabitation avec un Bellmer envahissant.
À
force d'élaguer, de décanter, de quintessencier sa pensée, on obtient
quelque chose qui ressemble à un os de seiche. Un os qui resplendit non
dans la cage d'un serin mais dans le silence rutilant du vide.
On
voudrait savoir comment vivre, alors on cherche chez Platon, chez
Leibniz, chez Schopenhauer, chez Maritain, chez André Comte-Sponville,
tout ça pour finalement découvrir — par soi-même ! — que la
meilleure façon de vivre, c'est allongé sur un canapé en laine, la
casquette rabattue sur le nez.
Chamfort
conseillait à celui qui va dans le monde d'avaler un crapaud tous les
matins, afin de n'être plus dégoûté par rien. Le problème est que ces
petits batraciens ne courent pas les rues. Faute de crapaud, le
nihilique a trouvé une solution de rechange : il boit chaque matin un
jéroboam de « Grand Tout ».
« Qu'est-ce
que Simone nous apporte ? Une vue plus exacte de nous-mêmes ? Ah non,
ça c'est la défaite... Oh, mais c'est une délicieuse tarte aux poireaux,
ma parole ! »
Pour
augmenter son « capital santé », la solution n'est pas de faire du sport
ni de manger des légumes mais de lire chaque jour du Grandiloque. On
baigne dans « l'irréparable », on se laisse doucement irradier par le
Rien... On voit enfin « la vie en beau » !
Être
un Quasimodo... Par sa seule apparence, faire peur aux petits
enfants... On s'était souvent demandé ce que cela faisait. Maintenant
qu'on est un « vieux jeton », on le sait. La vie, il n'y a pas à dire...
Il suffit d'attendre et on fait toutes les expériences possibles et
imaginables.
Quand
il était tenaillé par l'insomnie, le « négateur universel » Émile Cioran
tirait de son placard une boîte de croquignoles confiturées qui lui
tenait compagnie jusqu'à l'aube.
À
la question : « Qui songe à moi dans la nuit noire ? », on fera en sorte
de pouvoir répondre : « Personne ». Et à celle plus embarrassante : « Qui
suis-je ? », on répondra : « Un monolithe hurluberlu bercé par de grands
vents sans mémoire ». — Si l'on est d'humeur lyrique, c'est-à-dire.
Un
jour, Georges Bataille jouait aux « petits chevaux » avec Maurice
Blanchot. Mais comme ils appartenaient à la même école littéraire —
celle de la « vacuité prétentieuse » — et qu'ils étaient dans la vie
comme ils sont dans leurs livres — vides et prétentieux, donc —, ils
furent incapables de se comprendre et de régler les différends que ne
manque pas de faire naître une partie de « petits chevaux ».
Le
philosophe Jean-Paul Sartre n'avait pas le droit de faire des miettes,
et quand il oubliait de mettre les patins, ça bardait pour son
matricule. Dans son intérieur, il était presque aussi brimé que le « Grandiloque des Carpates ». Les Simone, « comme même »... c'est quelque
chose ! Heureusement, il y avait l'existentialisme (pour l'un) et la
négation universelle (pour l'autre). Sinon...
Cioran
achetant une cuillère en bois dans un grand magasin ; Cioran à la
recherche de deux robinets « vieux modèle, hélas » sur le boulevard
Richard-Lenoir ; Cioran se disputant avec un commerçant à propos d'une
bouteille de butane ; Cioran se coinçant le pouce dans une portière de
voiture ; Cioran mangeant une portion de tarte aux poireaux et demandant
du « rabe » à Simone Boué : ce sont là des moments cruciaux de la
légende, et chacun restera à jamais gravé dans les mémoires.
« Si
ça continue, je vais faire comme Leopoldo Lugones, je vais sentir au
plus profond de moi que la réalité n'est pas verbale, qu'elle peut être
incommunicable et atroce, et je vais m'en aller, taciturne et seul,
chercher la mort dans le crépuscule d'une île.
Dans
le ciel des idées platoniciennes, il y a le modèle de tous les objets
possibles et imaginables, jusqu'aux plus loufoques. C'est une vraie
caverne d'Ali Baba. Il paraît qu'on y trouve même le prototype des
fameux « biberons Robert ».
Possédons-nous
un corps ou sommes-nous notre corps ? C'est sans doute la deuxième
réponse qui est la bonne, mais si c'est comme ça, autant se pendre tout
de suite. D'un autre côté, si l'être humain est avant tout une âme,
c'est aussi un coup à se pendre. Se pendre, toujours se pendre, ce n'est
pas une vie...
Quand
il s'agit de Bach, le Grandiloque paraît oublier sa posture de « négateur universel », il s'enflamme et ne tarit pas d'éloges. Bach ceci,
Bach cela... Il fait même de Bach une preuve de l'existence de Dieu.
Mais Bach, quand on y songe, ce n'est qu'un assemblage de sons. Alors
qu'une tarte aux poireaux... Préparée avec amour par Simone Boué... Ça,
c'est du concret.
Si
l'idée du Rien était pourvue d'une capsule de déhiscence — septicide,
transversale, valvulaire, n'importe —, peut-être inonderait-elle le
monde de ses propagules ? Avec bienveillance ?
La
pensée de l'homicide de soi-même constitue une sorte de « routine
eudémonologique ». À la façon d'un climatiseur mental, elle assure le
refroidissement des installations. Mais elle doit être consommée en
dehors des heures de repas !
Jéricho
ne sert pas toujours illico. Parfois, il faut attendre un peu. Ainsi,
le Livre de Josué nous apprend que durant six jours, les Israélites
firent le tour de la ville en sonnant de la trompette et du buccin. Ce
n'est que le septième jour que les murs s'effondrèrent. Jéricho fut
ensuite rasée, sa population massacrée et le lieu maudit.
Si
Baudelaire dit vrai, si vraiment les parfums, les couleurs et les sons
se répondent, alors nous sommes fichtrement mal barrés. Heureusement,
tout semble démontrer le contraire. Par exemple l'existence du vocable
zingibéracé (dont le son ne répond pas à la couleur rose-orangé du
gingembre).
Travailler
est abrutissant, peu importe le genre de travail. On se transforme en
une fourmi de dix-huit mètres, il ne nous manque que le petit chapeau
sur la tête. Quand on en a les moyens, il vaut mieux ne rien faire. Mais
alors, on risque de se mettre à réfléchir sur « l'être ». Que ce soit
l'Ecclésiaste ou Heidegger, ça ne leur a pas tellement réussi (il sont
morts tous les deux). Alors ce n'est pas évident (du coup). Il faut
voir...
Le « négateur universel » Émile Cioran commet une faute de goût quand il dit
que « dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à
roter ». L'image est triviale et provoque le malaise. Elle conduit à se
représenter Cioran lui-même éructant après avoir englouti une énorme
part de tarte aux poireaux confectionnée avec amour par Simone Boué.
« Le
passé n'existe plus. L'avenir n'existe pas encore. Le présent, qui se
dissout à la fois dans le passé et dans le futur, n'existe pas non plus.
Alors qu'est-ce qui existe ? Hein ?
— Mon cul ! Voilà ce qui existe. Mon cul ! Non mais ! »
On
passe sa vie à se demander si on va se tuer. On se tâte le pouls. Et au
moment où on est enfin prêt à passer à l'action, voilà-t-il pas que
Simone Boué se présente avec une appétissante tarte aux poireaux !
Chacun
se croit spécial, pourtant personne ne l'est. Et pour la mort, c'est la
même chose : on se croyait goofy, mais quand elle se pointe, voilà
qu'on se découvre regular !
Même
quand on est une personne « nihilique », il faut beaucoup de bonne volonté
pour tomber amoureux de la mort. Elle n'a pas d'affriolants « biberons
Robert ». Elle n'est pas callipyge. La mort n'est pas un tendron. C'est
une vieille couasse déplumée.