vendredi 3 août 2018

Interlude

Jeune fille lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

La mort et après


Dans Mort et survie, Max Scheler prétend — et l'homme du nihil n'est pas loin de lui donner raison — que la perspective de la mort est inhérente à la structure de notre vie et à notre contemplation des vivants. Quant à la question de ce qui advient après la mort, il rejette — comme fait également l'homme du nihil — la construction rationnelle de Kant aussi bien que le recours au spiritisme. Mais c'est pour chercher aussitôt une indépendance « essentielle » de la personne par rapport à l'organisme (cellules, viscères, et cetera) ! 

Bien évidemment, ce n'est pas là du tout la position de l'homme du nihil qui, dès qu'il entend le mot « mort », se prépare à plonger en apnée dans la mer d'Azov du néant.


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Un terrain d'observation privilégié : le feuillu


Tout ce qui empoisonne le sujet pensant — temporalité du temps, mortalité de l'être mortel, haeccéité, etc. — étant plus sensible dans les arbres, c'est chez eux surtout qu'il convient de l'observer. Mais on ne saurait trop le répéter, tout ce qui existe dans l'arbre existe dans l'homme, et l'un n'a sur l'autre que l'avantage de la taille, de la force et de la durée.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Loi normale


En théorie des probabilités et en statistique, la loi normale est l'une des lois de probabilité les mieux adaptées à la modélisation de phénomènes naturels de caractère aléatoire. Elle intervient dans la représentation de nombreux objets mathématiques ou naturels dont le mouvement brownien, le bruit blanc gaussien, ou encore la fiente d'oiseau qui vous tombe à l'improviste sur le crâne ou sur la casquette. Elle est également appelée loi de Gauss ou loi de Laplace-Gauss.

Elle correspond au comportement, sous certaines conditions, d'une suite d'expériences aléatoires indépendantes, lorsque le nombre d'expériences est très élevé.

De par sa normalité même, la loi normale ne permet pas de rendre compte du comportement foncièrement excentrique de l'homme du nihil, et n'aide pas non plus ce dernier à comprendre la vie qui, en dépit de Gauss et de Laplace, restera toujours pour lui un indéchiffrable et absurde logogriphe.


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

À la manière de Folantin


Muni d'une amphore de moutarde phonématique, l'homme du nihil sinapise le réel dans le vain espoir de le rendre moins vomitif.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

Jeune femme lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Couardise du Moi


Un ancien rapport de police relate un incident qui peint le Moi tout entier et tout nu : « Il y a six mois environ, le Moi se trouvant dans un café à côté du sieur Férillet son souffre-douleur, et ayant liché plus que de raison, se mit à engueuler le sieur Férillet qui lui envoya le lendemain deux témoins. On va sur le terrain, le Moi chantonne, mange une queue de rose, fouette les herbes de sa badine, pirouette ; bref, les fers s'engageant et au moment où le témoin dit "Allez Messieurs", le Moi baisse son épée et dit : "Pardon, j'ai deux mots à dire en particulier à M. Férillet". Les témoins s'écartent, les deux opposants se promènent vingt minutes et au bout de ce temps Férillet dit à ses témoins : "Messieurs, en présence des explications de mon adversaire, l'affaire n'a plus de raison de suivre son cours". Chacun s'en alla comme il était venu. Le Moi toujours chantonnant, faisant siffler sa badine et mâchonnant sa rose ; mais singulièrement déchu dans l'estime de ses témoins. »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Le bourgmestre de Furnes (Georges Simenon)


Cinq heures moins deux. Joris Terlinck, qui avait levé la tête pour regarder l'heure à son chronomètre qu'il posait toujours sur le bureau, avait juste le temps devant lui.

Le temps d'abord de souligner au crayon rouge un dernier chiffre et de refermer un dossier dont le papier bulle portait la mention: « Projet de devis pour l'installation de l'eau et en général pour tous les travaux de plomberie du nouvel hôpital Saint-Éloi. »


Le temps ensuite de repousser un peu son fauteuil, de prendre un cigare dans sa poche, de le faire craquer et d'en couper le bout à l'aide d'un joli appareil nickelé qu'il tira de son gilet.


La nuit était tombée, puisqu'on était à la fin novembre. Au-dessus de la tête de Joris Terlinck, dans le cabinet du maire de Furnes, tout un cercle de bougies étaient allumées, mais c'étaient des bougies électriques, plaquées de fausses larmes jaunes.


Le cigare tirait bien. Tous les cigares de Terlinck tiraient bien, puisque c'était lui le fabricant et qu'il se réservait une qualité spéciale. Le tabac allumé, le bout humecté et soigneusement arrondi, il restait à sortir le fume-cigare en ambre de son étui qui faisait en se refermant un bruit sec très caractéristique — des gens, à Furnes, reconnaissaient la présence de Terlinck à ce bruit-là !


Et ce n'était pas tout. Les deux minutes n'étaient pas usées. De son fauteuil, en tournant un peu la tête, Terlinck découvrait, entre les rideaux de velours des fenêtres, la grand-place de Furnes, ses maisons à pignon dentelé, l'église Sainte-Walburge et les douze becs de gaz le long des trottoirs. Il en connaissait le nombre, car c'était lui qui les avait fait poser ! Par contre, personne ne pouvait se vanter de connaître le nombre de pavés de la place, des milliers de petits pavés inégaux et ronds qui paraissaient avoir été dessinés consciencieusement, un à un, par un peintre primitif. 


Cela n'avait d'ailleurs pas d'importance. Les connaissances particulières sont certes valables, relativement à un certain point de vue et à certaines méthodes, et dans ces limites relatives elles sont contraignantes pour tout esprit humain. Mais elles ne sont pas, elles ne peuvent pas être la vérité, Terlinck ne se faisait pas d'illusions à ce sujet. La vérité, il la cherchait plutôt dans la philosophie de Karl Jaspers, qu'il voyait comme une tentative d'expliciter ce que nous apprend sur l'être, et sur notre rapport à l'être, l'échec d'une ontologie. Toute science de l'homme, toute anthropologie est impuissante à saisir réellement son objet : l'homme est toujours autre chose que l'objet d'un certain savoir. On ne peut évoquer l'existence qu'en termes de jaillissement, de surgissement originel, se répétait-il. L'existence n'est pas platement accessible à la connaissance subjective. Mais si elle ne peut être connue, elle peut tout au moins être éclairée par la transcendance qui, chez Jaspers est « une lumière projetée (ou reçue) comme latéralement, à la fois vue et non vue, comme les objets de la vision marginale, et dont la clarté, isolée dans une sorte d'intuition solitaire, n'est pas susceptible d'étalement, ni l'intelligibilité d'explication ».


Encore une demi-minute à peine. Le nuage de fumée s'étirait autour de Terlinck. À travers, il voyait, au-dessus de la cheminée monumentale, le fameux portrait de Van de Vliet avec son costume extraordinaire, ses manches à gigot, ses nœuds de rubans et des plumes à son chapeau.


(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)

Heidegger « fait l'hélicoptère »


Dans la leçon inaugurale que donne Heidegger le 27 juillet 1915 à l'Université de Fribourg, intitulée Le concept de temps dans la science historique, il essaie de dégager une conception fondamentalement qualitative du temps, capable de s'appliquer au vécu et non pas seulement aux événements de l'histoire monumentale.

Il fait apparaître la spécificité du temps historique en lui opposant le concept de temps en physique. Citant Einstein selon lequel, pour « décrire le mouvement d'un point matériel », il faut donner la « valeur de ses coordonnées en fonction du temps », Heidegger montre que la théorie de la relativité confirme le caractère quantitatif du temps : réduit à un paramètre dont la fonction est de rendre possible la mesure, il est pensé comme homogène et uniforme. Ce « temps newtonien », composé d'une « succession d'instants autonomes dont chacun n'est en relation immédiate qu'avec son successeur et son prédécesseur », courrouce Heidegger au plus haut point. « La continuité ne se limite pas à la contiguïté, sacré nom d'une pipe ! », s'écrie-t-il devant son auditoire médusé. La face congestionnée et la moustache hérissée, il arpente l'amphithéâtre « à grands pas, tel un prophète hébreu » (d'après le témoignage de Walter Benjamin) et les appariteurs ont le plus grand mal à lui faire regagner sa chaire.

Le lendemain, il se sent honteux et confus, « comme après une bordée où l'on a montré son fondement de l'historialité du Dasein aux passants », selon un aveu qu'il fera plus tard à Max Horkheimer.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Le sentiment tragique de la vie


Vivre me rappelle le mufle d'un veau.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. dégoût)

Interlude

Jeune fille lisant le Monocle du colonel Sponsz

Désillusion


Le vulgum pecus se représente le Rien comme un désert balayé par les blizzards polaires et scintillant d'une blancheur immaculée. Or, à supposer que ce monde idéal, cruel certes aux hommes et aux bêtes, mais d'une inaltérable pureté, ait eu jadis quelque réalité, voilà bon nombre d'années qu'il a disparu, car le Rien, devenu le centre d'une grosse industrie métallurgique, est aujourd'hui une ville assez peuplée, où les usines crachant suies et fumées ne laissent aucune place à la rêverie du suicidé philosophique.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Jerry et Molly et Sam (Raymond Carver)


Il ne restait plus que cette solution. Non, vraiment, Al n'en voyait pas d'autre. Il fallait qu'il se débarrasse de la chienne à l'insu de Betty et des gosses. La nuit. Il faudrait que ce soit la nuit. Il ferait simplement monter Suzy en voiture, l'emmènerait quelque part — où ? ça, il serait toujours temps de voir —, ouvrirait la portière, la pousserait dehors et prendrait le large. Et le plus tôt serait le mieux. Il se sentit soulagé d'avoir pris cette résolution. Mieux valait faire n'importe quoi que de ne rien faire du tout. Il en était de plus en plus persuadé. Et puis, l'ontologue allemand Martin Heidegger n'avait-il pas soutenu que l'animal est « pauvre en monde » parce que « ses inhibitions le cloisonnent dans une dépendance pulsionnelle panique et aliénante » ? Il n'y avait donc pas de scrupules à avoir.

(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

Deux inquiétants vieillards


Le docteur Triboulet, que l'on aperçoit dans L'Oreille cassée, habite au 120, avenue du Troubadour. D'un âge avancé, il porte une longue barbe blanche, une redingote noire à col de fourrure, semble très myope, et possède une antique automobile à démarrage par manivelle dont le chauffeur arbore lui aussi une interminable barbe blanche et paraît crouler sous le poids du tædium vitæ, cette « fatigue de la vie » décrite par Sénèque. 

Tintin remonte jusqu'au docteur Triboulet en relevant le numéro d'immatriculation d'une voiture qui a tenté de le renverser, mais la plaque a été retournée — 168091 donnant par rotation 160891 — et le docteur s'avère étranger à l'affaire. 

Il n'empêche que Triboulet et son chauffeur forment un couple des plus louches et qu'on aimerait en savoir plus sur leurs menées souterraines. Appartiennent-ils à une société secrète, à un gang des barbes blanches ayant pour objectif de soumettre le monde à leur cacochyme domination ?

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

jeudi 2 août 2018

Congelé !


Une méthode de neutralisation du Moi, qu'on trouve décrite chez Jamblique et qui semble avoir eu le suffrage des Anciens, consiste à l'abreuver d'eau froide et à l'entourer de glaçons. Pendant le froid le plus rigoureux, on brise la glace des étangs, et on s'y plonge jusqu'au cou. On se rend, en se levant, à une pompe, on y remplit son chapeau d'eau, et on en boit autant qu'on peut, le remplissant encore, et s'en coiffant avec, en sorte que l'eau ruisselle tout le long du Moi. L'été, on met chaque matin une chemise mouillée ; l'hiver, on a soin d'en mouiller une le soir, de l'exposer à l'air vif, afin qu'elle gèle, et le matin, avant de se rendre à la pompe, on passe cette chemise hérissée de glaçons. On couche sur de la paille mouillée. On se trouve ainsi enseveli dans cette paille, qui, gelée autour du Moi, le tient enchâssé et ne lui permet aucun mouvement.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Sens et dénotation


« Un charpentier, âgé de quarante-sept ans, ayant toutes les apparences d'une bonne santé, est assailli d'une multitude d'idées insolites et extravagantes. Il croit souvent planer dans les airs, il parcourt par la pensée des campagnes riantes, des appartements, de vieux châteaux, des bois, des jardins qu'il a vus dans son enfance ; quelquefois il croit se promener dans des cours, des places publiques et autres lieux qui lui sont connus. — En travaillant, au moment où il va donner un coup de hache sur un point déterminé, une idée lui passe dans la tête, lui fait perdre de vue son but, et le coup porte sur un autre point, etc...

Toutes ces hallucinations n'empêchent pas le malade de raisonner juste à l'occasion. Ainsi, il est capable d'expliquer qu'une formule comme a égale b possède une utilité, c'est-à-dire qu'elle ne se réduit pas à a égale a car, selon ses propres termes, "nous apprenons par cette formule que deux concepts distincts renvoient à un seul et même objet". En effet, ajoute-t-il, "le concept se dit d'un objet, mais ne se confond pas avec lui" ; et il prend l'exemple du cheval qui est en fait un certain objet que nous dénotons par sa propriété d'être un cheval.

Après un court séjour dans les salles de l'hospice clinique de la Charité, il a été envoyé à Charenton. » (François-Emmanuel Fodéré, Traité du délire, Paris, Croullebois, 1817)

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Interlude

Émouvante beauté lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Rhumatisme


L'éloge que, dans L'Art poétique, Verlaine fait de la nuance qui « seule fiance le rêve au rêve et la flûte au cor » n'a pas empêché le poëte d'être victime, en 1890, d'une crise de rhumatisme qui le contraignit, à peine sorti de Broussais, à un nouveau séjour hospitalier, à Saint-Antoine cette fois, où il reçut la visite de son « amie », la fille Philomène Boudin.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Choix du moment


Déterminer l'instant propice est, avec celui du choix de la méthode, le problème crucial qui se pose au candidat à l'holocauste du Moi. Le théorème de prolongement, démontré par le mathématicien Marcel Riesz dans son étude du problème des moments, pourrait théoriquement l'aider, mais il fait intervenir une suite de réels, une mesure de Borel, une loi de probabilité, toutes choses que le suicidé philosophique n'a pas la patience de démêler. Il doit donc s'en remettre à son instinct.

(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Net et précis


Samedi dernier, le nommé Aumeunier, maçon à Pouilly-sur-Loire, âgé de 63 ans, s'est pendu dans sa cave. (Le Journal de la Nièvre, 2 mai 1899)

(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Responsum mortis


Quelque oracle qu'il consulte, l'homme — qu'il soit « du nihil » ou « de la Nature et de la Vérité » —, ne peut en attendre qu'une réponse de mort. Et chaque jour qui passe lui apporte une ample provision de telles réponses de mort : douleurs néphrétiques, canitie, dégradation du cartilage à l'endroit des articulations, névralgies...

Loin de porter envie à ces filles de Babylone dont les pieds légers sautent et bondissent sans penser à ce moment fatal où leur turbulente joie sera suivie de pleurs, l'homme du nihil se rappelle par avance son dernier jour pour s'y préparer par une immersion prolongée dans le Rien, immersion dont l'effet est assez proche de cette tristesse selon Dieu qui opère le salut par la pénitence, au dire de Froude (Life of Carlyle).


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Interlude

Jeune femme lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Bêtes à cornes


En 1915, Heidegger présente sa thèse d'habilitation écrite sous la direction du professeur Heinrich Rickert, thèse qui se présente un peu pompeusement comme un Traité des catégories et de la signification chez Duns Scot.

On sait que Duns Scot, toujours avide de se singulariser, oppose à la doctrine thomiste de l'analogie de l'être sa propre doctrine de l'univocité de l'être : le concept d'étant se définit de la même manière pour tout ce qui est, y compris Dieu. La différence entre Dieu et les créatures n'est pas de nature ontologique comme chez Thomas d'Aquin ou Maître Eckhart, elle tient simplement à ce que Dieu est infini tandis que la créature est engoncée dans une redingote d'haeccéité.

D'autre part, Duns Scot élabore une métaphysique de la singularité fondée sur le concept d'individuation, pas très éloigné du Dasein heideggérien mais sans tous les « être-quelque-chose » qui agrémenteront celui-ci chez le pétulant ontologue de la Forêt-Noire.


Enfin, Duns Scot s'oppose au nominalisme et refuse d'appeler « bête à cornes » une vache asiatique qui n'en possède pas.

Voilà, in nuce, le contenu du « Traité » soumis par Heidegger, qui lui vaut maintenant d'être appelé « Herr Doktor Professor » par ses partenaires de billard au Rheingold et de se regarder enfin lui-même comme un « vrai philosophe ».


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)


Du sublime


Le héros tragique aussi est plein de viscères et de sécrétions.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Un collant compagnon


« Les mastics bitumineux sont des mélanges de fines et de bitume. Leur intérêt majeur est d'être thermofusibles, étanches, ne comportant pas de vide, et adhérant passionnément, comme le Moi, à leur support. » (G. Aussedat, Utilisation des ultrafines naturelles dans les enrobés fillerisés)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Nature démoniaque de Tournesol


Le « Supercolor-Tryphonar » conçu par le professeur Tournesol, s'il provoque « du shimmy dans la vision », n'en annonce pas moins l'avènement d'une « société de confort technique » qui transformera l'étant existant en un véritable zombie. 

La vraie nature de Tournesol, qui participe à l'émergence de ce monde de néant, apparaît ici en pleine lumière, et c'est celle, satanique, d'un ennemi du genre humain.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)


Interlude

Jeune femme lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Météorologie bourboulienne


La solitude n'est pas pour effrayer l'homme du nihil, bien au contraire. « Jamais je ne m'ennuierais, dit-il, quand bien même je serais le dernier des hommes vivants dans la solitude glacée des rives de l'océan Arctique ou de la mer de Béring ». Une surface plane à perte de vue et en apparence illimitée, sans maison, sans arbre, sans même un petit arbuste, sans ombre, sans eau, où rien ne se pratique sinon l'élevage des bestiaux et la dilacération du Moi, voilà le genre d'endroit selon son cœur. Quant aux « événements », moins il s'en produit, mieux il se porte. Non seulement une année doit répéter l'autre jusque dans le moindre détail, mais chaque jour nouveau ne doit rien amener que ses prédécesseurs n'aient reproduit déjà un millier de fois : des brouillards impénétrables, des bourrasques de neige, et un linceul qui s'appesantit invinciblement sur la pachyméninge. En d'autres termes, son âme recherche un climat bourboulien.

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Lâcheté du brachmane des bois


Quinte-Curce (Histoires, liv. VIII, chap. 9) nous apprend que les brachmanes citoyens prenaient leurs confrères des bois pour des lâches qui ne se donnaient la mort que parce qu'ils n'avaient pas le courage de l'attendre. Quant à Tertullien (Apolegeticum), il s'exclame : « Nous ne sommes pas des brachmanes, pour nous exiler de la vie et habiter les bois ! » 

— En effet, nous ne sommes pas des brachmanes. Comme les soldats du roi de Suède, nous voulons vivre éternellement. Nous savons qu'un jour nous cesserons de vivre, mais cette certitude de notre anéantissement demeure abstraite, et donc irréelle. La mort, c'est pour les autres, pour ceux qui vivent dans les bois, par exemple les sangliers qui semblent s'y complaire.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)