On
a ironisé sur les philosophes qui, tel Bossuet, ont cru prouver la
liberté en attestant que leur sœur était capable de mouvoir sa main vers
la droite ou vers la gauche dans la culotte du zouave du pont de
l'Alma. Mais ces philosophes n'avaient peut-être pas tort !
Une
personne férue de préhistoire et de physique atomique n'imaginera pas
sans émotion André Leroi-Gourhan et Louis Leprince-Ringuet venir chez
elle un lundi matin pour lui serrer la pince. Pouvoir discuter d'art
pariétal et de gluons ! Avec deux spécialistes ! Un lundi matin !
Chaque
fois que le président Grévy se rendait en Grande-Bretagne, il avait
peur que les autochtones ne profitent de sa débonnaireté pour
l'incorporer à un ragoût ou à de la purée de pommes de terre. Mais cela
n'arriva jamais et il put toujours regagner la France sain et sauf.
Proche
cousin du gluon, le pion joue un rôle important dans la cohésion du
noyau atomique. Les pions chargés, en se désintégrant, produisent des
muons. Cela inspire au voyageur des sentiments mélancoliques, et même de
l'horreur.
Quel
choc ne recevons-nous pas lorsque nous apprenons que Menéndez y Pelayo
sont en réalité une seule et même personne ! Les auteurs de l'admirable
Histoire de la poésie hispano-américaine ! C'est à ne pas croire !
Le
Bartleby de Melville présente des symptômes qui s'apparentent à ceux
d'une maladie de type viral : fatigue extrême, fièvre, gêne
respiratoire, courbatures, céphalées. Si on lui appliquait d'énergiques
moxas, peut-être reprendrait-il du poil de la bête ? Peut-être
arrêterait-il de dire qu'il préfère ne pas ?
Traudel
Schmidt, la maîtresse de Kant, raffolait des choses en soie — bas,
jupons, (albert) caracos, nuisettes, etc. — mais il ne lui en offrait
pas souvent car il était d'une pingrerie à faire peur.
Si
quelqu'un est entré dans l'histoire, ce n'est en tout cas pas l'homme
noir. Dans la pièce de Xavier Forneret, il reste toujours à la lisière
de l'action. On dirait que son idéal de vie est d'être en harmonie avec
la nature, qu'il ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé
par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles !
Le
philosophe américain Charles Sanders Peirce était un type pragmatique.
Il avait toujours une « clé de douze » dans sa poche. Il attaquait les
questions métaphysiques frontalement, mais dès qu'il rencontrait une
résistance, il faisait le tour et que je te dévisse ça avec ma clé de
douze.
Le
poëte Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz soutenait que l'homme est fait
de mouvement. Il en voulait pour preuve que le sang est en activité
perpétuelle. Le mouvement était pour lui « la manifestation simultanée de
l'espace-temps-matière ». Le gars Oscar était un agité, il courait
toujours à droite et à gauche et il croyait que tout le monde était
comme lui. Mais loin de là ! Il y en a qui aiment l'immobilité.
Au
guidon de son soldo, enivré par la vitesse, Paul Rée oubliait les
sentiments moraux et leur généalogie. Il n'avait qu'une idée en tête :
il devait battre Nietzsche s'il voulait conquérir l'envoûtante Lou. Il
poussait son soldo au maximum, au risque d'endommager le moteur. Hue,
cocotte !
Marcel
Bénabou n'est pas un véritable écrivain puisqu'il n'a écrit aucun de
ses livres. Et il l'avoue, le scélérat ! Et il se justifie avec des
arguments à la noix ! Sur deux cents pages !
Quelqu'un
qui vous prend pour Gide, il faut tout de suite lui dire : « Je ne suis
pas Gide, moi ! Je ne converse pas avec Claudel, moi ! Je ne rencontre
pas d'Annunzio, moi ! Je ne veux pas qu'on me martyrise avec des
couteaux empoisonnés, moi ! » — Parce que si vous ne dites rien, c'est
sûr, le quidam va vous « proposer une turpitude ».
Le
nouvelliste uruguayen Horacio Quiroga trouvait qu'un vent froid
soufflait du côté du fleuve, mais il ne savait pas comment le dire pour
que ça « fasse écrivain ». Il n'arrivait pas à trouver mieux que « un vent
froid souffle du côté du fleuve ». Finalement, il avala une pilule de
cyanure et la question fut réglée.
Le
jugement le plus profond sur l'existence, ce n'est ni Kierkegaard ni
Heidegger qui l'a prononcé mais Palivec, le patron de la brasserie Au
Calice : « Autant vaut la merde. »
Si
Ulysse est le plus grand livre de la littérature, alors nous sommes
perdus. Quant à Joyce... le gredin se sera enfui par la fenêtre ! Par
ici, mon vieux Milou !
Les
écrits de Butor n'ont pas la toxicité de l'inocybe de Patouillard, leur
vénénosité rappellerait plutôt celle de l'entolome livide. Comme ce
dernier, ils sont responsables d'un ensemble de symptômes appelé « syndrome résinoïdien sévère » qui associe une gastro-entérite et une
atteinte du foie. On lit La Modification, et aussitôt ça commence :
urine foncée, vomissements persistants, selles sanguinolentes... Le « Nouveau roman », ah, mes amis !
On
a envie de crier qu'il y a maldonne, qu'on n'est pas un « vieux jeton »,
qu'on est un jouvenceau qu'une terrible fatalité a emprisonné dans une
enveloppe de « vieux jeton », mais on ne le fait pas car on connaît trop
l'autrui lévinassien : il ne va jamais nous croire, cet abruti.
On
lit du Robbe-Grillet ou du Nathalie Sarraute, et voilà-t-il pas qu'on
est affecté des mêmes symptômes que si l'on avait mangé un inocybe de
Patouillard : transpiration abondante, vomissements, diarrhée,
salivation... Il faut procéder à une injection d'atropine dans les plus
brefs délais, sinon on va y passer !
« Arriver
à combiner, comme Claude Simon, la créativité du poëte avec une
conscience profonde du temps dans la représentation de la condition
humaine, c'est ça qui serait choucard. Pas, Dédé ?
Nous
ne laisserons personne dire, premièrement, que vingt ans est le plus
bel âge de la vie, deuxièmement, que Jan Lechoń « l'altissimo » est le
plus grand poëte de tous les temps. Si quelqu'un dit l'une ou l'autre
chose, ça va barder.
Comme
elles sont de la plume de Dostoïevski, on peut à bon droit appeler les
Notes d'hiver sur impressions d'été des « notes Dosto » — de même
d'ailleurs que les Notes d'un souterrain. L'écrivain russe a laissé
beaucoup de « notes Dosto ». Mais il faut dire qu'il était épileptique,
aussi.
La
plupart de ceux qui lisent des livres ne le font pas parce qu'ils
aiment ça, mais pour se voir (et se faire voir aux autres) comme des
liseurs de livres. Ils « croivent » que ça les pose là. Ils font « jore ».
Ils ne comprennent rien ou pas grand chose à ce qu'ils lisent mais ce
n'est pas très grave vu qu'il n'y a souvent rien à comprendre (même
quand ce n'est pas écrit par le pénible Joyce ou l'extrapénible
Blanchot).