vendredi 3 juin 2022

Vaudeville

 

À quoi bon « aller au spectacle » quand on a constamment sous les yeux celui de sa propre déchéance ? Cette pièce tragicomique est autrement plus prenante qu'un vaudeville avec Jacques Balutin (en réalité, c'est un vaudeville, mais sans Jacques Balutin — sauf si l'on est soi-même Jacques Balutin).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Étoupillant

 

Est dit étoupillant tout ce qui étoupille, autrement dit tout ce qui sert à garnir d'une petite mèche les pièces d'artillerie pour que le feu s'y communique. « Pour oublier l'odiosité de l'être, je décidai de boire quelques bouteilles étoupillantes de vin blanc. » (Jean Céré)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Accès de traczir

 

Bien que la « nécessité » chère aux idéalistes allemands nous y oblige, il est humainement impossible d'admettre que le merveilleux Émile Cioran, à la grandiloquence carpatique si attachante, a disparu corps et âme, qu'il est désormais « feu », qu'il s'est dispersé dans le Rien comme une vaine fumée. Et ce n'est, si l'on peut dire, « que » Cioran. Mais soi-même ! Soi-même ! S'imaginer mort (ou si l'on préfère « décédé ») ! Une vaine fumée ! — Oh, bon Dieu de bonsoir !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 2 juin 2022

Être « comme tout le monde »

 

Vivre comme un cloporte, ça peut toujours se faire (il suffit de faire « jore » qu'on possède un exosquelette rigide et segmenté, et de se blottir sous des pierres ou dans des endroits sombres). Mais réussir à faire semblant de trouver ça coquet, alors là, c'est une autre paire de manches.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Heimat

 

L'homme du nihil peut dire de Bezons ce qu'Akhmatova a dit de Leningrad : « Mon ombre reste sur tes murs. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Une bien bonne

 

« Nous, les vivants. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Le grand bluff du nihil

 

Il n'y a rien de tel que le Rien pour donner une apparence de profondeur à des ratiocinations puériles.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Inimaginable encore

 

Anachronisme mis à part, on n'imagine pas Raskolnikov, en route pour commettre son forfait, s'arrêter pour feuilleter la Phénoménologie de la perception de Maurice Merleau-Ponty. Et on ne se le représente pas non plus chercher l'inspiration dans La Méthode d'Edgar Morin (ce continuateur de Merleau-Ponty et de Foucault, en particulier pour ce qui concerne le rapport entre le pensé et l'impensé).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Paysages

 

Plutôt le néant horizontal de la Beauce gréseuse que ce promontoire guindé, l'existence.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Du courroux

 

Le courroux est un indice de vitalité. Quelqu'un qui n'est pas courroucé, c'est mauvais signe. C'est signe qu'il est comme qui dirait « décédé » — ce qui, à la réflexion, est peut-être préférable pour tout le monde.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 1 juin 2022

Danse macabre

 

Si telle personne vous intimide, souvenez-vous que sous son enveloppe de vêtements et de chair, elle n'est qu'un squelette. Oui, tous autant qu'ils sont, ces gens ne sont que des squelettes, autrement dit des assemblages d'os, et leurs faits et gestes sont des faits et gestes de squelette, de même que leurs paroles sont des paroles de squelette. En un sens, vous aussi, mais ce n'est pas la même chose — car eux l'ignorent tandis que vous, vous en avez toujours eu le sombre pressentiment.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Rapicolant

 

Est dit rapicolant ce qui revigore, redonne de la force physique, de la bonne humeur. « Après avoir envisagé de me retirer à la campagne et d'y vivre en hermite au milieu des bocages et des fleurs, je conçus l'idée, plus rapicolante encore, de me jeter dans un puits busé. » (Jean Céré)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

« Un monstre, une chimère, quelque chose d'incompréhensible »

 

L'homme est un être hybride composé pour moitié de vocables (gigot, luzerne, mésotron, capsule ontologique, etc), et pour l'autre moitié de conglomérats de cellules plus ou moins dégoûtants (le pancréas, la vésicule biliaire, l'appareil de Golgi, etc).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Supériorité du décédé

 

À première vue, un vivant est capable d'accomplir plus de choses qu'un mort. Il peut se gratter le prose, et il peut même commettre l'homicide de soi-même. Mais pour ce qui est de participer à l'Un plotinien, le mort est incomparablement mieux placé.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un flop du Grandiloque

 

Le dimanche 17 janvier 1971, comme il se promenait du côté de Mortefontaine, le « négateur universel » Émile Cioran passa près d'une scierie et l'odeur du bois coupé lui plut infiniment. Il dit à Simone Boué qui l'accompagnait : « Dis donc, Momone. Si le cercueil sent aussi bon, on ne doit pas y être si mal. » Mais Simone rétorqua : « Tu déconnes, Mimile. Avec la mort, on perd l'odorat. » Le « négateur universel » dut admettre que son astuce ne valait rien mais décida néanmoins de la consigner le soir même dans le cahier où il notait toutes ses « pensées ». — That's all, pretty much !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Théorie du « jore »

 

Pour passer inaperçu et ne pas se faire enfermer chez les fous, il ne faut donner aucun signe qu'on trouve le « réel » bizarre. Il faut faire « jore » que tout nous paraît normal. Pourtant, et cela crève les yeux, tout, absolument tout dans le « réel » est bizarre, extrêmement bizarre — et même inquiétant.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 31 mai 2022

Alexandrin encore

 

« Vous vient à l'esprit la tombe de Celan » est le plus bel alexandrin de la langue française. Du moins s'il faut en croire Gragerfis (Journal d'un cénobite mondain).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un fugace résidu

 

Un quidam que tout excède, que reste-t-il de lui après qu'il a dévissé son billard (une fois qu'il est, comme on dit, « décédé ») ? Presque rien. Quelques paroles saugrenues, qui ne tardent pas à s'évaporer. Et un quidam que rien n'excède ? Moins encore.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Horripilantes abréviations

 

Pressé de toute part, l'homme du nihil a finalement accepté de participer à une négo avec la fédé (à condition qu'elle ne se tienne pas à Mada en présence d'expats).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Le facile et le difficile

 

Quand on lit du Rimbaud ou qu'on écoute du Mozart, on ne peut s'empêcher de penser : « Je t'en fais autant ». Mais pas quand on lit du Luc Pulflop ou qu'on écoute du Bach !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 30 mai 2022

Une vie d'esthète

 

La cathédrale de Chartres ; la calligraphie de Mi Fu ; la musique de Bach ; et pour finir, le revolver de Smith et de Wesson (chambré pour le .44 russe).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Bric-à-brac

 

L'homme du nihil a deux grands bœufs dans son étable. Deux grands bœufs blancs marqués de roux. Il possède de surcroît une charrue en bois d'érable et un aiguillon en branche de houx. À quoi tout cela lui sert-il ? Mystère.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Vaines traces

 

Si l'on considère la masse des humains ayant foulé la terre depuis cinq mille ans, quelle peut être la proportion de ceux ayant laissé une trace, même infime ? Un sur dix millions ? Moins peut-être ? Les autres, c'est exactement comme s'ils n'avaient jamais existé. Il est donc loisible de voir l'au-delà comme un lieu où l'on croise les gens qui réussissent (ceux « à trace ») et les gens qui ne sont rien (les autres). Mais cette distinction est en réalité spécieuse car le pachynihil les a tous absorbés !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Libre arbitre

 

Quelqu'un qui soutient que le libre arbitre existe, il y a fort à parier qu'il y est contraint par une force extérieure dont il n'est pas conscient. Idem pour celui qui soutient le contraire, d'ailleurs. Moralité : ça ne sert à rien de discuter du libre arbitre (surtout avec des crétins). Plus généralement, ça ne sert à rien de discuter de quoi que ce soit. Mais ça ne sert à rien non plus de ne pas discuter. Rien ne sert à rien. Oh, bon Dieu ! Nous y revoilà !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Alexandrin

 

On peut le dire aussi bien de la mort : « Ce train est omnibus pour Massy-Palaiseau ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Simples

 

La verveine soigne les pustules, tandis que l'achillée millefeuille passe pour vulnéraire et cicatrisante. Quant à l'armoise, elle soulage les pieds fatigués des voyageurs. Mais à ce qu'il paraît, il n'existe pas de simples contre la mort.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 29 mai 2022

Pensée réfrigérante

 

Vous vous promenez de-ci de-là, vous baguenaudez dans l'être, et tout à coup, en traversant la rue Racine, vous vient à l'esprit la tombe de Celan.
 
(Fernand Delaunay, Glomérules)

Nostalgie de l'incréé

 

L'homme du nihil, c'est bien simple : plus il connaît la vie, plus il est sûr que sa vraie place est « au royaume muet des os en décomposition ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Portrait du nihilique

 

Après sa rencontre avec l'homme du nihil, André Frossard le caractérisa ainsi : « De profil, il fait penser à une bête du désert morte de dégoût. Son crâne, qui rappelle celui de l'hyène, est pourvu d'une large mâchoire qui semble idéalement adaptée à l'usage qu'il en fait, à savoir mordre le fondement de l'historialité du Dasein. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)