Le
vocable possède un point commun avec la trompe de l'éléphant et la
queue du pangolin : il est préhensile. Sa fonction première n'est pas la
préhension, mais il peut bel et bien servir à prendre, à saisir des
objets, ainsi que le montrent maints exemples de la vie quotidienne. Son
utilité ne s'arrête pas là : on peut aussi l'arc-bouter contre
l'encoignure du Tout pour étançonner ce dernier.
De
quelque façon qu'on s'arrange pour enjoliver les choses, vivre revient
toujours à mener l'existence d'un cafard suintant recroquevillé dans la
boue d'un marais.
Un
chenapan ayant introduit un caramel mou dans le réservoir de sa
Panhard, Françoise Sagan dut faire appel au rugueux vocable pour, de ce
réservoir, extirper d'un coup le sucre et l'essence (elle avait d'abord
essayé avec « l'impassible émotion du chaos » mais ça n'avait pas marché).
Les « lettres d'adieu » en témoignent : la proximité de la mort transfigure
le « conscient intérieur » et estompe sa dimension contingente de réelle
fioriture.
Certains
bouddhistes (ceux de l'école dite nihiliste) passent leur vie à
dissoudre la substance de l'univers. Ils cherchent sans répit la grande
illusion qui se déploie derrière la « réalité empirique ». Mais une fois
parvenus face au vide suprême, face à l'abîme du non-être... ils ont les
chocottes ! C'est du moins ce que prétend Mircea Eliade. Il parle de « rapt extatique » plutôt que de chocottes, mais n'est-ce pas plus ou
moins la même chose ?
Dans
certaines civilisations orientales, la condition de « mort vivant » est
reconnue. On peut l'acquérir en organisant une cérémonie funéraire
anticipée. Après ça, on vous laisse tranquille. Quoique continuant à
vaquer à vos occupations, vous êtes officiellement considéré comme « décédé ». N'est-ce pas formidable ? Plutôt que d'être un « mort vivant »
plus ou moins clandestin, comme l'est toujours le nihilique en nos
contrées ?
Après
plus de cinquante années d'existence, on en arrive à la conclusion que
tout, absolument tout dans la vie est infect. Heureusement il y a
l'oubli, où l'âme noble peut languissamment se putréfier.
Dans
ses Aveux et anathèmes, le « négateur universel » Émile Cioran trahissait
un secret de Polichinelle en avouant s'être trémoussé (dans cet univers
aberrant). Après tout, pourquoi pas, serait-on tenté de dire. Mais il y
a un hic : on peut se trémousser, on peut même gesticuler, mais à
condition que ce soit au plus subtil niveau.
Non,
le Rien n'est pas un paternel censeur. Quand il vous colle — quand
son idée s'empare de vous —, c'est pour de bon. Il est exact, par
contre, qu'il est « pur et maximalement éthéré » — mais c'est une
médiocre consolation pour le « collé ».
L'être
est une luxueuse besace, mais qui ne contient que d'affreux bibelots
sans valeur : maroquinerie, verrerie, porcelaine, coupons d'un drap
mordoré... On s'en lasse plus vite que des murmures dansants, cosmiques
et immarcescibles du pachynihil — cette « chair première ».
En
mycologie, ostiole est le nom donné à l'ouverture du péridium d'un
gastéromycète par où s'échappent les basidiospores. Fait peu connu,
l'esprit humain est lui aussi pourvu d'ostioles — des ostioles
blanches, s'il faut tout dire — mais n'en sort que le jus insolent du
cynisme. Pourquoi ? Pour la simple raison que, à la différence du
champignon, l'homme doit faire face au tragique de la vie.
Pour
pénétrer quelqu'un, pour le connaître vraiment, il faut lui demander ce
qu'il entend par prisme. Entend-il le Grand Rien, la source
déflagrante de la vie, le nerf philosophal du dénouement final, la
conscience en un mot ? Sinon, inutile de continuer.
On a
longtemps cru que le mot femme servait à désigner l'être qui, dans
l'espèce humaine, appartient au sexe féminin. Mais les savants
d'aujourd'hui estiment plutôt que ce vocable est une simple métalepse du
vacuum.
La
femme est recouverte d'un subjectile cutané qui empêche de voir sa
machinerie interne. Sinon, il y aurait de quoi dire (mais il y a déjà de
quoi dire). Si l'on pouvait revêtir ce subjectile de cendres
thérapeutiques (à défaut d'être salvatrices), peut-être les choses
iraient-elles mieux ?
Le
cytoplasme, les mitochondries, la membrane plasmique, les villosités,
l'appareil de Golgi... Peut-être vaut-il mieux ignorer ce qui déambule
sous l'os. On risquerait, comme le Grandiloque, d'y perdre le sommeil et
de devenir à son tour un « négateur universel ».
Contrairement
à l'idée du Rien qui a besoin, pour se développer, d'un climat mental
adéquat, les prolégomènes de la raison pure sont capables de
s'acclimater dans les cervelles les plus obtuses. C'est pourquoi ils
prospèrent en tout point du globe (ils sont orbicoles).
L'esprit
en proie à la nostalgie du non-être ressemble à un glacier qui croule :
il entraîne avec lui une cohorte de moraines ridées et de briques
tristes, des mots tels que zingibéracé, bouillabaisse ou cyclomoteur.
Chaque
jour, on se regarde décliner un peu plus. On fait des fautes d'omission
(on saute des mots) ou des fautes tout bonnement, qui révèlent un
dérangement profond dans ce système de transmission qu'est le cerveau.
Cette déchéance graduelle est encore plus pénible que... mettons de voir
la gueule du « philosophe » Michel Serres dans le poste de télévision.
S'il faut mourir, autant y aller carrément — le taupicide ! —, et
non par cette « lente reptation de mégacéros de facto ».
C'est
par abus de langage que les philosophes sont appelés des penseurs. Car
on a beau chercher, il n'y a dans tous leurs « systèmes » pas plus de
pensée que de beurre au prose. Il n'y a que de la « pensée-moignon ».