Il
est bien le cas, comme l'a affirmé Croce, que le langage est un fait
esthétique. Il suffit de prononcer le mot lagéniforme ou le vocable
hippocastanacée pour faire l'expérience du beau.
Comme
celle d'Almafuerte, la mystique du nihilique est une mystique de
l'échec. Suite à des problèmes récurrents de « joint spi » qui l'ont
empêché de se mettre « en situation de mobilité », il est arrivé à la
conclusion que l'échec est le destin de l'homme, la finalité de tout le
parcours humain.
De
son propre aveu, le « négateur universel » Émile Cioran était excédé par
tous, mais il aimait rire et ne pouvait rire seul. Heureusement, Simone
Boué connaissait plein de blagues de Toto.
Dans
une existence où il n'avait pas pied, le nihilique a fait naufrage.
Pendant longtemps il a pompé, puis il en a eu marre. Kierkegaard aussi
disait s'être jeté dans la vie avec une voie d'eau dans la cale. Eh bien
voilà, comme ça ils sont deux.
Lorsque
le domaine est compact, le spectre du laplacien est discret, et ses
modes propres forment un ensemble dénombrable infini. Cela, le taoïste
comme le stoïcien l'ont compris depuis longtemps.
On
le sait, la vie est une grosse tourte de m..., et ce n'est déjà pas
agréable because l'odeur. Mais le pis est que cette grosse tourte de
m... attire toutes sortes d'insectes qui s'ingénient à vous piquer le
fiak ! Si on était moins fataliste, on achèterait du Baygon Jaune et ils
verraient, les salops.
Et
si Bergson avait raison ? Si la durée n'était rien autre chose que la
pénétration mutuelle d'états de conscience hétérogènes, ainsi que leur
apparition continue sans ordre ni interruption ? On serait drôlement
frais. On n'a déjà pas tellement d'élan vital mais alors là ce serait le
pompon. La philosophie, il n'y a pas à dire, ça fout les jetons.
En
toute chose, le nihilique est adepte de la méthode indirecte. Résultat :
quand il fait des avances à des personnes du sexe, ses avances sont si
contournées — autant que l'idée mélodique chez Chabrier, disons —
que lesdites personnes du sexe n'y comprennent que pouic et « croivent »
qu'il leur demande de lui passer la rhubarbe ou le séné.
Rien
de tel que de rester allongé sur un canapé en laine, la casquette
rabattue sur le nez, pour « endiguer la nécrose du fugace ». Le canapé en
laine, cette zone de faible altitude où les névroses sont inconnues.
Nous
pensons au cabiai, et aussitôt, le vocable hystricognathe avance vers
nous, pétulant, inflexible, suintant déjà de l'intérieur. Nous lui
tendons les bras, saisis d'un incroyable vertige.
Dans
sa réclame, Maître Gama Wassim se fait fort, entre autres choses, de
vous guérir de toute maladie chronique, de vous mettre en relation avec
le diable (en vue de la signature d'un pacte), de grossir et allonger
votre pénis, ou de vous faire bénéficier du « puissant rituel du
porte-monnaie magique ». Si Faust avait connu cet entreprenant marabout,
qu'eût-il choisi ? En supposant qu'il eût opté pour le pénis, la pièce
de Goethe n'eût-elle pas sombré dans la gaudriole ? Et Marguerite ?
Qu'en eût-elle dit ? Et l'étudiant Wagner ?
Aux
chiottes, le basilic ! Aux doubles-vécés, la farigoulette ! Du balai,
la publicité des années 70 pour le fromage Cantadou ! Georges Perec
était peut-être ravi de se souvenir, mais nous non. Surtout de bêtises
pareilles. Et l'autre crétin, là, avec sa toque de cuisinier, qui
soi-disant se décarcassait... Oh, bon Dieu ! On en aura subi, dans ce « monde de néant »...
On
peut faire de son Moi une vivante hypotypose du Rien, on peut manger du
pilchard ou articuler le vocable strapontin, on n'échappe pas à la
souffrance et à la folie. L'hypotypose pyrrhonienne, le pilchard et le
vocable strapontin, comparés à l'homicide de soi-même, ne sont que de
minables expédients — du « pipi de chat ».
Antan,
les « biberons Robert » — ces protubérances mammaires dont sont dotées
les personnes du sexe — étaient utilisés pour nourrir les enfançons.
Mais depuis l'invention du lait en poudre, ils ne servent plus à rien,
ou presque rien. Ils ont gardé la faculté de « donner des idées », mais ce
sont désormais des idées de néant, des idées de plongeon dans le
gouffre spiralé de l'infini infundibuliforme.
Parmi
tous les livres ayant jamais été écrits, combien y en a-t-il qui
contiennent une idée originale ? Dix-sept ? Moins ? Aucun ? La réponse
est : un seul, le Traité du non-être, de Gorgias, où le philosophe
avance l'idée originale que « rien n'est ». Depuis... néant.
« Il
y a ce texte, là, qui fut attribué à Origène au IIIe siècle et traduit
par Rufin, ce texte qui évoque un passage de la Hiérarchie céleste de
saint Denys l'Aréopagite. Cela est-il vrai ?
L'homme
et la femme seront inséparables, à la condition expresse qu'ils
ingèrent une préparation du grand marabout Cheikh Momo appelée « miel
d'amour ». C'est du moins ce qu'affirment certains prospectus distribués à
la sortie du métro Anvers. C'est un peu difficile à croire, mais comme
Barkis, le nihilique veut bien.
Au
dire du professeur Munteanu, le « négateur universel » Émile Cioran
disposait d'un plein sac de grenades aphoristiques qu'il destinait à
l'anéantissement de ses ennemis, au premier rang desquels Lucien
Goldmann. Hélas, par une fatale ironie du sort, ce dernier mourut avant
qu'une occasion se soit offerte de le pulvériser. Dans ses Cahiers, le
négateur dit que cette mort lui inspira des sentiments contradictoires
où se trouvait de tout, même du regret. Sa rancune était devenue sans
vigueur. Le négateur était victime d'un phénomène de dévitalisation !
En
société, le « négateur universel » Émile Cioran parlait trop, surtout
quand il était un peu pompette (c'est-à-dire presque toujours). Il se
donnait en spectacle, c'était plus fort que lui. Il cherchait à
persuader que « rien n'est » des gens qui s'en fichaient complètement. Le
lendemain, il avait mal aux cheveux, il était déprimé, il se lamentait
et disait à Simone Boué qu'il avait « encore fait l'hélicoptère ». Pauvre
Grandiloque !
À
certains égards, la situation du nihilique rappelle celle du jeune
Francinet, le héros d'Augustine Fouillée. Comme Francinet, il est seul
et sa tâche — en finir avec la notion d'être — est austère. Triste
est son cœur, lourd son effroi !
Il
y a longtemps que le nihilique n'est pas allé à la mer quand elle
baisse. Il a peur de se retrouver déchalé. Et puis il y a aussi les
crabes, ces crabes qui vous pincent les nougats quand vous avez le
malheur d'enlever vos sandalettes. Ce n'est pas très engageant. Quand il
a envie de voir la mer, il préfère regarder des tableaux de Boudin. Le
réel, ce n'est pas son truc.
Comme
on sait, David Hume niait le Moi, mais cela ne l'empêcha pas de poser
sa candidature à la chaire de morale et philosophie pneumatique de
l'Université d'Édimbourg en 1744. Pour la morale, ça allait, mais il
était un peu faible du côté pneumatique, c'est pourquoi sa candidature
fut repoussée. On lui préféra John Boyd Dunlop qui quant à lui « cochait
toutes les bonnes cases ».
Qu'est-ce
qu'il faudrait faire, pour reprendre goût à la vie ? Lire du Cioran ?
Ça paraît risqué. Peut-être du Péguy ? Le Porche du Mystère de la
deuxième vertu ? L'avantage du Péguy, c'est que ce n'est pas lassant.
Allez, va pour le Péguy.
Le
nihilique se croit revenu de tout, il se prétend blasé autant qu'on
peut l'être, et voilà qu'il tombe sur une femme nue dans un champ de
fleurs. Ça ne fait ni une ni deux, il est aussitôt fasciné par ces
sublimes rotoplots que le glaïeul auréole. Il serait prêt à demander sa
main à la péronnelle !
Le
pire, quand on est un raté, ce n'est pas de l'être, car la vie du raté
ne diffère pas fondamentalement de celle du non-raté. Non, mes amis. Le
pire, c'est de se dire à chaque instant qu'on l'est. On a beau savoir
que toute vie est un ratage, ça finit par taper sur le système. On perd
toute confiance en soi. On n'ose même plus aller acheter du pain à la
boulange de peur d'être regardé comme un minus par tous ces cracks de
l'existence et de la « boule de campagne ».
D'un
trou noir, rien ne s'échappe : ni matière, ni rayonnement. Un trou noir
peut se comparer à un « anu cosmique » qui serait, comme Martin
Heidegger, frappé de « constipation conceptuelle opiniâtre ».