Le
26 novembre 1965, à la galerie Schmela de Düsseldorf, le « plasticien »
Joseph Beuys se présente la tête enduite de miel et de poudre d'or,
tenant dans ses bras un lièvre mort. Pendant trois heures, il se déplace
dans la galerie et explique les tableaux de peinture à l'animal. Hélas !
le lièvre mort a l'air de s'en « branler » complètement.
L'écrivain
Borges était tellement préoccupé par le problème du temps qu'il en
oubliait de vivre. Pur esprit, il se promenait dans l'existence en
sandalettes, au grand dam de Virginia Ocampo, de sa sœur Silvina et du
peintre Xul Solar.
Les
jaïnistes croient que les admirateurs de Maurice Blanchot ne sont pas
voués à un anéantissement complet. Ils croient que leurs âmes, après la
mort, vivent dans les arbres.
Le
philosophe Henri Bergson n'était pas du genre à confondre le guilgoul
et l'ibbour. « Transmigrer, ce n'est quand même pas pareil que d'être
enceint d'une autre âme », disait-il à Marcel Proust chaque fois qu'il le
rencontrait chez la comtesse Greffulhe. Fataliste, ce dernier
acquiesçait.
Quand
les acheteurs de ses tableaux de peinture mettaient du temps à le
payer, le « plasticien » Hans Bellmer tirait la langue (surtout que sa
compagne Unica Zürn était du genre dépensier).
Chez
l'être humain, les objets de l'âme sont successifs : à présent Socrate,
ensuite un cheval, et pour finir une tête de chien couché. Seule
l'intelligence divine peut tout embrasser simultanément.
Athalie : Monsieur le Président, nous allons peut-être avoir un souci. Le
Talmud dit que le Gros Quinquin est un golem, et qu'il n'acceptera de
faire alliance qu'avec celui qui en fera un réceptacle.
Joas : Nous
devons en avoir le cœur net. Faites-le surveiller par Joxe. Mais
discrètement, hein. Autre chose : je crois aux forces de l'esprit.
« Mélanchton
dit que pour gagner le ciel, la charité ne sert à rien, il faut avoir
la foi et basta. On va se faire envoyer bouler, c'est sûr, tu vas voir.
— Pourquoi tu dis ça ? J'ai la foi, moi. Pas toi ?
On
pourrait croire que plus on avance en âge, plus on s'habitue aux choses
(au monde, à la mer, aux forêts ; aux roses que l'hiver prépare en
secret), mais point du tout. Au contraire, tout vous paraît de plus en
plus étrange. Étrange et — après tout, pourquoi ne pas le dire —
stupide.
On
se sent mal dans le troupeau mais on ne doit pas en sortir, car qui
est-on pour en sortir ? Ou alors, admettons, on en sort, mais seulement
pour se cacher dans une petite maison au fond des bois (et on ne montre à
personne ses tableaux de peinture).
Quelqu'un
qui se fait remarquer, peu importe de quelle façon (la pire étant la
production de tableaux de peinture), est un être antinihilique. Il
mérite le supplice du pal, ou d'être passé à la chicote.
Se
résigner à n'avoir aucun talent, cela n'est pas difficile. Le talent...
on sait ce que c'est. C'est de la révérence parler merde en pot. Voyez
Balthus. Voyez Bazaine. Du talent, on en a eu assez pour naître, on en
aura bien assez pour clamecer.
Quand
on voit les humains comme les squelettes qu'ils sont réellement, on
s'étonne que certains veuillent se distinguer en écrivant des poëmes ou
des pièces de théâtre. Cela prête quelque peu à rire.
À
la première lecture d'un aphorisme d'Émile Cioran, à la première écoute
d'une chanson de Robert Zimmerman, on se dit : « Tiens, tiens. » À la
dixième lecture, à la dixième écoute, on se dit : « Comme c'est bête. » Et
c'est pareil pour tout. Rien ne résiste à la répétition. Le réel est un
insupportable poncif.
En
raison de sa corpulence et de ses origines nordistes, le Premier
ministre Pierre Mauroy était surnommé Gros Quinquin. Matignon était pour
lui l'équivalent du paradis : il avait enfin « du pain d'épice et du
chuque à gogo ».
Pour
rendre avec assez de précision le tragique de la malrucienne condition
humaine (et de la sienne propre), le nihilique travaille avec des
pinceaux mensô en poils de chèvre ou de raton laveur, fabriqués dans la
préfecture d'Hiroshima.
En
un aphorisme qui, traduit en français, est aussi un magnifique
alexandrin, Héraclite a rendu tout le tragique de la malrucienne
condition humaine : « Et les âmes aussi s'exhalent de l'humide. »
Grâce
au poëte Francis Ponge, nous ne prendrons plus jamais une bougie pour
un savon, un torchon pour une serviette, ou un cageot pour un prix de
beauté, ce qui nous évitera bien des désagréments. Alors honneur !
Honneur au poëte Francis Ponge !
Les
gnostiques d'Alexandrie enseignaient que pour se délivrer d'un péché
(comme celui de manger de la viande d'éléphant assaisonnée d'urine), il
est nécessaire de l'avoir commis. Mais la ficelle est un peu grosse.
Les
auteurs japonais de haïkus semblent nourrir une fascination morbide
pour le prunier. Un exemple entre mille, ce poëme de Buson : « En tombant
dans l'eau, les pétaux disparaissent : prunier sur la rive. » —
L'étrangeté de cela (et du monde en général).
Chez
les bouddhistes thibétains, la mort est organisée au quart de poil.
Après le « clameçage » proprement dit, la première étape ou premier « bardo » est un profond sommeil qui dure quatre jours ; surgit ensuite
une lumière resplendissante qui, éblouissant l'âme, lui fait comprendre
qu'elle est morte. Les défunts ont donc seulement quatre jours de « pépère ». Après ça, commence le deuxième « bardo », avec des visites de
divinités bienveillantes, puis de divinités malveillantes, mais c'est
compliqué à expliquer.
Le
philosophe Diodore Cronos nie qu'un mur puisse être démoli. En effet,
quand les briques sont jointes, le mur est debout, quand elles ne le
sont plus, le mur n'existe pas. Il tempère toutefois son affirmation en
disant qu'« avec un puissant bulldozer, ça peut marcher, mais il faut
mettre la gomme ».