En
supposant même que Marie-France Ionesco fût réellement un être
supérieur, quel besoin de le dire ? Est-ce que ça allège d'un
centigramme notre misère existentielle, à nous autres, êtres inférieurs ?
Oh, Cioran ! Ce que tu peux être horripilant, quand tu t'y mets !
Dans
le Livre de la Genèse, remplacez Adam et Ève par des amibes ou des
paramécies, et toute l'intrigue s'écroule (ces organismes unicellulaires
n'auraient jamais été capables de distinguer l'arbre de la science du
Bien et du Mal — sans parler du reste, la pomme, etc.). Et ainsi
modifiée, la parabole peine grandement à expliquer pourquoi c'est le
monstre bipède — et non l'amibe ou la paramécie, justement — qui est
une créature maudite.
On
peut vivre comme un ascète sans pour autant rechercher Dieu, la pureté
ou ce genre de chose. Ça peut se faire juste comme ça, par dégoût. Mais
attention de s'accorder quand même quelques « petits verres », hein ?
Sinon on risque, par ennui, de se mettre à rechercher Dieu, la pureté,
etc., et là ça pourrait devenir franchement « malaisant ».
Il
n'est pas aisé d'exprimer quelque chose de profond avec des mots. Par
contre, avec un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe...
Exemple : Jacques Rigaut.
Quelle
que soit l'idée qu'on se fait de la vie, elle se termine de la même
façon. Alors à quoi bon se faire une « idée de la vie » ? Autant vaudrait
manger de la révérence parler merde.
Comment
les gens font-ils pour « fraterniser » ? Mais peut-être qu'ils ne « fraternisent » pas réellement ? Peut-être qu'ils font seulement « jore » ?... C'est ça ! Ils font « jore » ! Ah, les salops !
Les
choses importantes, on n'en parle que de manière indirecte. Quand on a
du tact, c'est-à-dire. Quand on n'est pas un « Grandiloque des Carpates ».
Mais à vrai dire, quand on habite « sur les cimes du désespoir », le
mieux est encore de se taire.
Il
y a des gens, ils ont beau faire, la solitude leur colle à la peau. Ce
n'est pas tellement qu'ils l'aiment. C'est plutôt elle qui les aime (la
garce). Heureusement, il leur reste la ressource de lire du Henri
Michaux (ou du Luc Pulflop, ou tout autre auteur de cet acabit) pour
oublier que, comme le pauvre « Rémi Sans Famille », ils n'ont pas d'amis.
Le
linguiste Chomsky pense que si tout à coup le mot panaris n'existait
plus, il y aurait peut-être encore, ici ou là, des gens souffrant d'un
panaris, mais ils n'y feraient pas attention ou à peine.
S'il
faut en croire Gragerfis, le Bouddha, un jour qu'il était « gonflé à
bloc », aurait prononcé ces paroles devant ses disciples assemblés :
« Aucun objet ne vaut qu'on le désire. Et quand je dis aucun, c'est
aucun. Ça inclut la mijole et les biberons Robert. Verstanden ? You,
damned rascals ! »
Un
jour, le dramaturge Samuel Beckett dit à son ami le « négateur
universel » Émile Cioran : « Alors Mimile, il paraît que toi aussi tu te
souviens des jours anciens et tu pleures ? » Cioran, horriblement gêné,
ne sut que répondre et s'esquiva en faisant « jore » que Simone Boué
l'avait appelé dans la cuisine pour goûter la soupe.
Au
dire de Gragerfis, l'homme du nihil était déjà stupéfait d'être, mais
surtout, il n'en revenait pas d'être de Bezons. Du reste, qu'un autre
aussi puisse être de Bezons ne le plongeait pas dans un moindre
étonnement. C'est simple, tous les Bezonnais l'affolaient.
Dire
à quelqu'un « passe-moi le sel », c'est déjà donner son sentiment sur
l'être : on suppose implicitement que le sel existe et son interlocuteur
aussi. Alors qu'en fait...
Dans
cette vie, nous voyons les choses « de façon obscure et comme dans un
miroir ». C'est saint Paul qui l'a dit — et il avait le nez creux pour
ce genre de choses.
À
force de pressurer son cerveau, l'homme du nihil est enfin parvenu à
définir la vérité, répondant ainsi à la fameuse question de Pilate. La
vérité, c'est tout simplement « ce qui vous fout dedans ».
À
la question de Pilate « Qu'est-ce que la vérité ? », on ne peut donner
qu'une réponse arbitraire, par exemple « une brioche » ou « un héron
frénétique ».
Là
où il n'y avait rien, il y a soudain quelque chose. Pas grand chose :
une ébauche, un simple germe. Et il va morfler, le « germe ». Car il est
long à traverser, le désert de Gobi de l'existence. Et on n'y rigole pas
tous les jours. Mais c'est comme tout. Oui, c'est comme tout.
Ce
qui différencie fondamentalement l'homme du nihil du monstre bipède est
que ce dernier ne se demande jamais ce qu'il fait là. Son existence lui
semble aller de soi, il s'ébroue dans l'être avec volupté, il est
partout chez lui, le salop !
Chacun
s'affiche, chacun fait la promotion éhontée de son Moi, chacun essaie
de placer sa marchandise, si avariée soit-elle. Le seul à n'avoir rien à
vendre, c'est l'homme du nihil. Tout au contraire, il cherche le
silence et l'horreur des ténèbres. Oui : comme les chats de Baudelaire !
L'homme
du nihil exècre les faux-semblants et les singeries. Il n'a donc jamais
pu se résigner à avoir ce que le monstre bipède appelle une « vie ». À la
place, il s'est constitué une vie à l'image du pachynihil :
parfaitement vide. Ça lui plaît assez. — Enfin... ça va. Parfois c'est
un peu dur, mais dans l'ensemble ça va.