Le
9 juillet 1891, Joris-Karl Huysmans confie à l'abbé Mugnier qu'il est « obscène de cervelle ». C'est un coup de tonnerre. Il ajoutera plus tard
(le 5 janvier 1898) qu'il n'aime que les saints un peu « persillés » !
À
la fin des Logische Untersuchungen de Husserl, certains ont cru
entendre le phénoménologue murmurer « I buried Paul ». Il est assez
tentant de reconnaître en ce Paul le philosophe Franz Brentano, mais
Husserl a toujours affirmé qu'il marmonnait en réalité Preiselbeersoße
(sauce à la canneberge).
Souvent,
quand il est d'humeur morose, le nihilique pense au mathématicien
Abraham Moivre et se dit qu'il aurait dû, comme lui, se livrer
entièrement à la théorie des fluxions — plutôt que de réfléchir au
sens de l'être et à toutes ces bêtises. D'autres fois, il pense au
mathématicien Cardan, le premier à avoir décrit des hypocycloïdes.
Le
nihilique aime flâner sur les Grands Boulevards (Beaumarchais, des
Filles-du-Calvaire, du Temple, Saint-Martin, Saint-Denis, de
Bonne-Nouvelle, Poissonnière, Montmartre, des Italiens, des Capucines et
de la Madeleine). Il y a tant de choses à voir, sur ces Grands
Boulevards ! À voir, et donc à dénigrer !!!
Il
y a en ce monde tant de fausses valeurs qu'on ne sait par où commencer
quand, comme le nihilique, on a pour vocation de conchier. Arthur
Rimbaud ? René Char ? Louis Aragon ? Le « plasticien » Christo ?
L'être
dit humain est une créature vile et cruelle, en plus de ça stupide mais
qui se surestime énormément parce qu'elle fait des « tableaux de
peinture ». Tu peux te les garder, tes tableaux de peinture, pot de pisse ! Ils ne te rachètent pas !
Si
personne ne peut vous blairer, vous et vos « aphorismes », c'est sans
doute que vous êtes sur la bonne voie. Mais cette voie, comme d'ailleurs
la bouddhique dite « du Grand Véhicule de Pompier », mène à la folie et à
l'homicide de soi-même — alors attention, hein.
Baudelaire
ne trouvait pas le général Aupick aux pommes. C'est le peintre Eugène
Boudin, qu'il trouvait aux pommes. Le général Aupick, il l'envoyait aux
fraises.
Pour
le nihilique, le dernier renoncement est de renoncer à dire que « rien
n'est » (même s'il continue à n'en penser pas moins). Qu'il le dise ou
qu'il ne le dise pas, à vrai dire, tout le monde s'en fout. Mais quand
même, ça le soulageait de le dire.
Qu'une
ou plusieurs personnes « aiment beaucoup ce que vous faites », cela doit
être horriblement malaisant. On doit se dire qu'il y a une révérence
parler couille dans le pâté ; que ce que l'on fait est probablement de
la révérence parler merde. Pourtant, les gens semblent aimer ça. Qu'on
aime beaucoup ce qu'ils font, c'est-à-dire. Tant mieux pour eux, après
tout, hein ?
Le
gars Rimbaud disait qu'il voulait « aller loin, bien loin, comme un
bohémien, par la nature, heureux comme avec une femme ». Heureux comme
avec une femme ! Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd ! Retourne
plutôt dans les jupes de ta mère, morveux ! Et reviens quand tu
connaîtras quelque chose à la vie ! Heureux comme avec une femme ! Ce
n'est tout de même pas Dieu possible de lire des trucs pareils !
À
force de vous faire percuter par des malotrus qui poursuivent
tranquillement leur chemin, à force de rester assis des vingt minutes à
la terrasse d'un café sans qu'un serveur se montre et vous demande ce
que ce sera, à force de voir des oiseaux déféquer — en votre présence ! — sur votre véhicule, à force de voir des personnes du sexe jeter
leur dévolu sur des fabricants de bouchons de bouteilles de vin, vous
finissez par vous demander, c'est fatal, si vous n'êtes pas l'homme
invisible d'H.G. Wells.
La
vie, c'est un peu comme l'étang de Soustons à deux heures de
l'après-midi : on rame. Encore heureux si on n'est pas foudroyé par une
réminiscence de vocabulaire.
Il
n'y a pas à dire, la vie, c'est exigu. Il vaut mieux ne pas avoir des
gros coudes ou des gros genoux. Ni de « grandes espérances » (comme dirait
Dickens).
On
est parfois tellement dégoûté de l'autrui lévinassien — celui des « transports en commun » — qu'on préférerait être mort que de lui
ressembler. Mais l'homicide de soi-même, par sa radicalité, peut
effrayer le commençant. Heureusement, il existe une autre solution,
moins onéreuse existentiellement, qui est de se grimer en « ornithorynx ».
Quand
Heidegger, au seuil du désespoir, a demandé pourquoi il y avait en
général de l'étant et non pas plutôt rien, ce n'est pas le père Lustucru
qui lui a répondu, c'est Gabriel Marcel. Pour dire qu'il n'en savait
rien. « C'est le Mystère de l'être », qu'il a dit. Et encore : « C'est
comme ça, qu'est-ce que tu veux que je te dise ? »
La
vieillesse nous offre le choix entre la honte, la solitude et le
taupicide. La plupart choisissent la honte, mais d'après Winston
Churchill, ils auront aussi la solitude et le taupicide.
Le
nihilique s'était laissé dire qu'au soleil, sous la pluie, à midi ou à
minuit, il y avait tout ce qu'il voulait aux Champs-Élysées, mais va te
faire fiche. Il avait eu beau chercher, aux Champs-Élysées et alentour,
il n'y avait pas plus d'Absolu ténébreux que de beurre au prose. Où
était-ce donc alors qu'il se cachait ? L'Absolu ténébreux ?
— L'Absolu ténébreux ? Il est dans ton cul, hé, ballot !
Mais
le plus troublant et le plus effrayant est encore de penser que pour le
reste de l'humanité, l'autrui lévinassien, c'est nous !!! Ô vanité des
vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !
Les
animaux, les végétaux et les minéraux, passe encore, mais l'autrui lévinassien ! Son existence est bien la chose la plus inconcevable, la
plus monstrueuse et la plus angoissante. On est tenté de croire qu'il
s'agit d'une illusion, mais même le « négateur universel » Émile Cioran
paraissait croire qu'il y avait « de l'autrui » (Ionesco, Beckett,
Michaux, Simone Boué, etc.). Alors... — mais ça ne nous aide pas à « faire avec ».
Quelqu'un — Raymond Doppelchor ? — a dit que quand on est revenu de tout, on
n'arrive à rien, pas même à « concevoir une pensée ». Et ça a tout l'air
d'être vrai — mais comme on est aussi revenu des « pensées », ça va.
Une
des plus belles phrases de la langue française est, dans son laconisme
véridique, celle qu'écrivit dans son journal l'infortunée Marie
Lenérouge (1875-1918) : « Rien ne console, parce que rien ne remplace. »
Toute la doctrine nihilique y est resserrée avec une force et un
bonheur d'expression suprêmes. Non, en vérité, rien ne remplace (et par
conséquent, rien ne console non plus).
En
plus de ses travaux sur le calcul des probabilités, le mathématicien
Abraham Moivre est connu pour avoir prédit avec exactitude la date de sa
mort (il ne s'est pas suicidé). Ses derniers mots furent pour dire à
son ami Rogier van der Weyden : « T'as vu ? T'as vu ? »
Quand
on arrive à la hauteur du château d'eau de Belleville, c'est comme
quand on écoute le Voyage d'hiver de Schubert : l'émotion vous submerge.
S'ensuit une rafale de « caisses ».