Préservation du gingembre

 

Le mot pierre est nécessaire pour qu'il y ait des pierres dans chaque nouveau cycle cosmique, car c'est par la parole que Brahma crée un nouvel univers. Et que dire du vocable zingibéracé !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Sâmkhya : une doctrine SGDG

 

L'homme s'imagine posséder des organes, éprouver des sentiments et réaliser des actions. En réalité, il n'est qu'observateur de tout ce pataquès d'organes, de sentiments et d'actions. Il n'est qu'une âme immatérielle — un « purusha » — qui est là, qui observe et qui attend son heure. C'est en tout cas ce qu'enseigne le Sâmkhya mais c'est « sans garantie du gouvernement ».

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Apophatisme du nihilique

 

Le nihilique pourrait dire de soi-même ce que Scot Érigène dit de Dieu : il ignore quelle chose il est car il n'est pas quelque chose (itaque nescit se quid est, quia non est quid). Mais ici attention : ce n'est pas par défaillance qu'il ignore ce qu'il est ! C'est simplement parce qu'il n'est rien de défini ! Il est « pure vibration dans une géométrie sans espace », comme dirait Luc Pulflop. Tout s'emboîte !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Fumée

 

La négation de la personnalité est l'un des dogmes essentiels du bouddhisme. Pour un bouddhiste conséquent, l'animateur Michel Drucker, l'acteur Roger Hanin ne sont que « vaine fumée dans le vent du soir ».

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Analogie sportive

 

Le rugbyman Imanol Harimerdocu dit que pour réussir un « drop », il faut frapper le ballon au moment précis où il rebondit sur la pelouse, afin de maximiser la distance et la précision. Eh bien pour l'homicide de soi-même, c'est pareil (plus ou moins). Un modèle du genre est le « drop » de Jacques Rigaut, que l'écrivain dadaïste réalisa le 6 novembre 1929 dans la maison du docteur Le Savoureux à Châtenay-Malabry.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Tu quoque

 

Si vous aimez vous faire poignarder dans le dos, fréquentez des êtres humains. Sinon, pour tuer le temps, vous pouvez lire des livres, vous y verrez comment d'autres se sont fait poignarder dans le dos, c'est toujours amusant.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un boute-en-train

 

Nietzsche souffrait de sa réputation de « bonnet de nuit » et essayait de s'en défaire en multipliant les bons mots. Quand il présenta Paul Rée à Lou Andreas-Salomé, il prétendit que l'auteur de l'Origine des sentiments moraux était du Lot : « Voici le fameux Paul Rée, de Montcuq. » Rée rectifia en disant qu'il était de Poméranie, mais de toute façon Lou n'avait pas saisi l'astuce.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Je, je, je

 

Le Maggid de Mezeritch enseigne que le mot « je » ne peut être prononcé que par Dieu. Si Dieu n'existe pas, il ne peut l'être par personne. Compris, les pots de pisse ? Heureusement que le Maggid a mis les points sur les i !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Devant la loi

 

Devant la loi se dresse le gardien de la porte. Un homme de la campagne se présente et demande à entrer dans la loi. Mais le gardien dit que pour l'instant il ne peut pas lui accorder l'entrée. L'homme réfléchit, puis demande s'il lui sera permis d'entrer plus tard. « C'est possible, dit le gardien, mais pas maintenant. » Le lendemain, l'homme revient. Avant qu'il ait eu le temps d'ouvrir la bouche, le gardien lui demande : « Tu es de Châtenay, malappris ? » L'homme répond : « Non, je suis de Bezons. » Alors le gardien : « Circule. Allez, fissa. »

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Chatouillements et gratouillements

 

Quand on pense au temps qu'on aura passé, dans cette vie, à tenter de décrire ses symptômes à quelqu'un qui n'en avait rien à foutre... C'est effrayant, po prostu.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Lovecraft inutile et incertain

 

Arrivé au comble du désespoir, on se dit qu'on n'a plus rien à perdre ; alors on se lance, on prononce le nom redoutable de Yog-Sothoth et... rien ne se passe.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Yoga kabbalistique

 

Pour desceller l’âme, pour défaire les nœuds qui la lient et ainsi réintégrer l’état d’unicité originelle, il n'y a pas que l'homicide de soi-même, il y a aussi la méditation. Mais il ne faut pas méditer n'importe comment ! Le kabbaliste Abraham Aboulafia conseille, pendant qu'on médite, d’effectuer des exercices de respiration et d’adopter des postures spécifiques, par exemple celle de la « tête de chien couché ».

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Cercle vicieux

 

Même si vous ne dites rien, l'autrui lévinassien sent que vous le tenez pour un crétin. Résultat : il vous regarde de travers et cela exacerbe vos pensées homicides. C'est un cercle vicieux.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Présence du à l'ail

 

Au lieu de manger des truffes (ou un morceau de porc salé) chez le forgeron Chunda, le Bouddha aurait dû écouter Claudel et opter pour un saucisson à l'ail. Non seulement il serait resté en vie, mais il se serait senti moins seul. Car un sauciflard, on peut dire ce qu'on veut, ça tient compagnie.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Kaulakau

 

Ce n'est pas avec les mots strapontin ou zingibéracé mais avec le cacophonique kaulakau que le gnostique Basilide pensait pouvoir ouvrir les portes de tous les cieux (selon Irénée).

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Pentito dell'essere

 

Le nihilique est un repenti de l'existence — un genre de Tommaso Buscetta de l'être.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Logique modale

 

Saul Kripke : Je crois qu'il est possible qu'il sera le cas que phi (où phi désigne un événement).

Le nihilique : T'es optimiste, toi. 

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Déni absurde du Bouddha

 

Il semblerait que le Bouddha soit mort pour avoir consommé un morceau de viande de porc salée (certains disent des truffes). Le malaise qu'il a ressenti avant de mourir a forcément dû le convaincre qu'il y avait de l'être, en fin de compte (le porc salé ou les truffes). Mais au lieu d'avouer son erreur, il occupa ses derniers instants à prophétiser de futurs schismes, à recommander l'observance de la loi, et à décider de ses rites funéraires !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Ô la suivante

 

C'est grâce à ses connaissances en pharmacie que le poëte André Frédérique put confectionner un efficace cocktail de cognac, gardénal et émanations de gaz pour mettre fin à ses jours. Il avait quarante-deux ans. Il affirmait avoir connu une décervelée d'Étampes qui savait compter jusqu'à trois, mais il n'y a peut-être pas de lien.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Une existence bien ordonnée

 

Naître, vivre un peu, puis, comme Marcel Gauchet, confier ses archives à l'Imec.

Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Paresse abstractive de Hume

 

Quand il regardait une nature morte de Matisse, le philosophe David Hume était incapable de reconnaître où était le pichet, où le fauteuil et où les citrons. Il ne voyait que des « formes », disait-il. Il ne faisait aucun effort abstractif !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

France libre et hæccéité

 

Être une chose, c'est — inexorablement — ne pas être toutes les autres choses. C'est dur mais (commando) qu'y faire ? 

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Vie dans le Rien

 

S'il existe un seul bouddhiste sincère — le Talé-Lama ? le Pandchan-Remboutchi ? le Guison-Tamba ? —, nous serions curieux de savoir comment il arrive à rester « zen » — et même simplement à vivre — tout en étant certain que « rien n'est ». Quant à nous, nous n'y arrivons pas.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Esse est percipi

 

Si George Berkeley a raison, si être, c'est être perçu ou percevoir, alors le nihilique est dans de beaux draps. C'est à peine s'il est perçu par la caissière du City Market de Bezons, et quant à percevoir... il ne perçoit pas bézef vu qu'il est pas mal bigleux. L'immatérialisme berkeleyien, quelle poisse.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Ingratitude des volucres

 

Saint François d'Assise, dans un de ses prêches aux oiseaux, rappela aux petits volucres que c'était le Seigneur qui leur avait donné « vêtement double et triple et liberté d'aller de tous côtés ». Il leur dit qu'ils allaient devoir montrer un peu de reconnaissance, sinon ça allait « mal se mettre », ça allait « bombarder mais dur ».

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Impudence

 

Parcourir le monde en clamant partout qu'on est un écrivain, quelle ignominie ! Ceux qui le font mériteraient d'être fessés. Il y a quand même d'autres moyens de se rendre intéressant. Ils n'ont qu'à dire qu'ils jouent du piccolo, par exemple. « Je suis piccoliste de formation classique. » Ça leur écorcherait la gueule, de dire ça ?

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Abominations lexicales

 

Les ceusses qui disent « les couverts » pour parler des fourchettes, des cuillères et des couteaux, on peut parier que ce sont des spinozistes, ou tout au moins des individus qui, comme Spinoza, ont un bâton de police dans le fiak. Ce sont d'ailleurs souvent des gens qui mangent des « fruits de mer » et prennent des « bains ».

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Hein ?

 

« Edmond et Léonard ont posé leurs cartables, deux sacs de faux cuir jaune, tachés d'encre, et qui laissent voir le diplomate Marcel Carton aux coutures. » (Maurice Genevoix)

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Kapilavastu

 

Dans le Bouddhacarita, poëme épique attribué à un certain Asvaghosha qui vécut au premier siècle de l'ère chrétienne, il est dit que « rappelé par son père, le Bouddha retourna à Kapilavastu accompagné de vingt mille disciples ». On n'a pas envie d'en savoir davantage. Les histoires avec des noms comme Kapilavastu, merci bien.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)