Je me trouve dans un appartement avec des gens. Nous sommes là pour un barbecue qui devait avoir lieu à neuf heures, mais la soirée a été reportée à une autre date et les hôtes n'ont pas pu prévenir tout le monde par téléphone. À un moment, quelqu'un dit : « il faut que je vous raconte une histoire. Écoutez-moi ça, c'est l'histoire la plus délirante que je connaisse, et elle est vraie de bout en bout.
— C'est ton histoire avec Heidegger, celle que tu m'as racontée hier en rentrant ? demande une femme.
— Oui, c'est celle-là.
— Raconte, ça va leur plaire », dit-elle.
Elle est assise au milieu des invités, nous sommes installés sur des chaises et sur un divan, et nous buvons le vin ou la bière que nous avons apportés pour accompagner le barbecue.
« Bon, d'accord. Ou plutôt, Dee, pourquoi tu ne la racontes pas, toi ? Tu racontes toujours les histoires bien mieux que moi.
— Non, pas sur commande, c'est pas possible. Allez, c'est toi qui l'as entendue en premier et qui voulais la raconter, vas-y, Ron.
— Allez, Ron, dit quelqu'un, racontez-la nous, vous ou votre femme, mais on veut l'entendre. Qu'est-ce qui s'est passé de si délirant avec Heidegger ?
— Bon, alors écoutez-ça. En 1922, dans la troisième partie du cours qu'il donne à l'Université de Fribourg, Heidegger associe vie facticielle et mobilité : "En tant que déterminité principielle de l'objet de notre discours (vie facticielle), nous posons en principe la mobilité". Pour cerner le phénomène de cette Bewegtheit, Heidegger propose, dans une note du cours, le terme d'inquiétude (Unruhe) en se référant à Pascal (Pensées, I-VII) : "La mobilité de la vie facticielle peut être provisoirement interprétée et décrite comme inquiétude. Le comment de cette inquiétude, en tant que phénomène entier, détermine la facticité."
— Et ? demande quelqu'un.
— C'est tout », dit Ron.
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
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