vendredi 2 septembre 2022

Coction de vocable

 

Réfléchir est toujours une affaire risquée, mais la pensée est particulièrement néfaste au littérateur, car elle l'affaiblit et lui ôte les forces nécessaires à la coction et à l'expectoration des vocables.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

jeudi 1 septembre 2022

Gerboise damasquinée

 

Luc Pulflop a comparé le monde aux génitoires d'un âne. Mais on ne voit pas trop quelle est la logique sous-jacente à cette comparaison. Il aurait dû dire plutôt une gerboise damasquinée. Car comme la gerboise, le monde peut effectuer des bonds de deux mètres et courir à une vitesse avoisinant les vingt-cinq kilomètres par heure. Et il est enchâssé d'ornements en relief (il est damasquiné).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Dangereuse solitude

 

Le philosophe Pascal avait sans doute raison, mais rester au repos dans une chambre (palléale ou autre), cela présente aussi des risques. On rumine, l'idée devient un cimeterre, le vocable un pal sécant — quand ce n'est pas un garou effrayant — et le Moi s'en donne à cœur joie : il commence par se dilacérer soi-même, et pour finir il tranche et déchiquette cette folle et inextricable argutie que le vulgum pecus appelle le réel.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Virescence de l'âme-grue

 

Quand l'âme-grue est atteinte de phyllodie (une mutation génétique qui transforme les organes floraux en feuilles), on constate la présence anormale d'une pigmentation verte dans certaines de ses parties. Ce phénomène est appelé la « virescence de l'âme-grue ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Rire nerveux

 

Celui dont la vie n'est qu'un grand rire nerveux doit prendre un peu d'aspirine et un léger purgatif, il doit se faire quelques frictions avec du vinaigre et « ça passera ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

mercredi 31 août 2022

Coquecigrue

 

Arrivée à un certain âge, la femme se met à ressembler à une créature difforme au faciès d'hippopotame, mais elle n'acquiert pas pour autant la débonnaireté de cet animal. Elle possède toujours les dents féroces du requin, les griffes lacérantes d'un falconidé, et l'indifférence morbide d'une renoncule. Pourtant, ce n'est pas une coquecigrue.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Orcanète

 

On peut voir le Rien en maintes choses. Dans la femme, bien sûr, mais aussi — un exemple entre mille — dans l'orcanète, cette plante des régions méditerranéennes dont la racine rouge fournit une matière colorante et qu'on appelle aussi anchusa.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Solfège existentiel

 

Malgré des efforts quasi surhumains, Heidegger échoua à définir l'être, et il en conçut — d'après Hannah Arendt — un vif dépit. Il n'y avait pourtant là rien de sorcier : l'être est une pièce de clavecin désordonnée dans laquelle l'étant existant est une simple appogiature, quand ce n'est pas une acciaccatura.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Un funeste fumet

 

Sur son cotre en bois d'acajou, le nihilique vire lof pour lof, mais le changement d'amure ne suffit pas à dissiper l'odeur. De sa cambuse émane toujours un funeste fumet : suicide...

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

mardi 30 août 2022

Polka du terme

 

Le nihilique l'avoue sans honte : comme Émile Cioran, il s'est trémoussé (dans cet univers aberrant). Il s'est même tellement trémoussé que sa vie pourrait être comparée à une gavotte. Circonstance atténuante : c'était une « gavotte de l'anéantissement ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Pour puer de la gueule

 

On dit souvent que les gens « puent de la gueule ». C'est une exagération. Ils ne puent pas de la gueule parce qu'ils ne sont pas. Pour puer de la gueule, il faut être. — Ou bien ?

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Régénération

 

Il y a des gens, souvent des affidés du Grand Tout, qui boivent du « vin nu » pour se rapicoler ; et d'autres, comme le nihilique, qui se ressourcent dans le Rien, qui se vivifient dans l'inerte.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Non

 

La vie, on ne pourra pas dire qu'on l'a chevauchée comme un caprin, oh non !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Truculent quadrige

 

Comme on sait, le quadrige est un char antique monté sur deux roues, attelé de quatre chevaux disposés de front. En général, le quadrige est terne et peu divertissant. Cependant, bien que le cas soit rare, il arrive qu'il se montre cocasse, haut en couleur, pittoresque et original, qu'il étonne et réjouisse par ses excès. On parle alors d'un « truculent quadrige ». Un tel équipage se prête idéalement à la vocifération et — si l'on est d'humeur idoine — au fou rire.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Pompe funèbre

 

Tout l'œuvre de Cioran est d'un cadavre, certes, mais d'un cadavre grandiloque !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

lundi 29 août 2022

Gourdin non phrastique

 

La soif d'absolu qui tient l'homme est si intense que, pour l'éteindre, on est obligé d'assommer le zigoto à coup de gourdin. Et pas un gourdin phrastique, non, un vrai, un bon gros bâton solide. On choisira de préférence le cornouiller sanguin, un bois dense, noueux, très résistant, utilisé pour confectionner les manches de pioche ; ou à défaut le châtaignier, un bois robuste, souple, léger, qui absorbe très bien les chocs.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Moment métaphysique

 

On regarde un cadavre de mouche sur le sol et tout à coup on est frappé par le fait que la vie est finie quand la mort, elle, est infinie. — On vient de passer par un « moment métaphysique ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Schisme cotonneux

 

Le suicidé philosophique, en accomplissant son geste fatal, entend faire sécession d'avec le reste de l'humanité — « ces poux, ces cloportes, ces sarcophages anthropomorphes ». Hélas ! Son acte lui-même est « humain, trop humain », ce qui donne à sa dissidence une consistance spongieuse : c'est un schisme cotonneux.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Le sens du parfait en latin

 

Empoigner le vocable, un marteau, et s'en servir pour fracasser les tenants de la thèse aspectuelle, ces empaillés qui accordent une importance prééminente aux données de la morphologie. Défendre au contraire la thèse temporelle et donner la primauté aux faits d'emploi, à l'usage qui est fait des formes dans le discours, aux valeurs qui leur sont attachées dans les divers énoncés.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

dimanche 28 août 2022

Valeur de l'idée

 

Une idée a beau être brillante et gratinée, elle ne vaut pas grand chose si elle n'est pas en sus, comme celle du Rien, farcie d'une avoine transmutatrice.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Vos gueules, les pesses !

 

À celui que l'existence accable, les roucoulades nocturnes du rossignol comme celles diurnes du moineau font l'effet d'un bel canto esquilleux. « Tu es une nullité ! », semblent lui dire ces importuns volucres. — « Eh bien oui, j'en suis une, et alors ? »

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

L'appel du Dévonien

 

Nostalgie de ce monde antérieur à l'ineffable homme des cavernes, où ne pullulaient que les arthropodes et les amphibiens, dans d'immenses forêts de lycophytes, de sphénophytes, de progymnospermes et d'aimables ptéridospermales.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Coups de fourchette

 

Selon Basile Munteanu, le « négateur universel » Émile Cioran portait sans cesse des coups de fourchette à la gorge de l'être, au point que c'en était gênant pour les autres convives et qu'il se faisait rabrouer par Simone Boué (qui, possédant une maison à Dieppe, n'avait quant à elle rien contre l'être, bien au contraire).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

samedi 27 août 2022

Rubéfaction du vulgaire

 

Le vulgaire est si chichiteux, il s'offense si facilement que l'on peut, par la simple mention du terme pachynihil, rubéfier son éternelle face de rat (ou de porc).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Fenouil phrastique

 

Le vocable agit sur l'âme comme un vigoureux vilebrequin — cela est connu et n'a pas besoin d'être documenté —, mais aussi comme un emplâtre. Il apaise les angoisses périphériques et atténue la crépitation du temps. Un peu de poésie giclante, un peu de fenouil phrastique, et l'homme oublie pour un instant sa triste condition de « perdant de la mondialisation ». Un instant, il se croit vibratile... mais il est mortel, le scélérat ! Et tous les vocables du monde n'y changeront rien.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Spiritualisme effréné

 

La peine capitale pour l'ignoble matière ! Qu'une balle en pulvérise l'affreuse cervelle !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Orogenèse

 

Le temps passe, la vie s'écoule. On effectue des recherches minéralogiques et cristallographiques. On se consacre à des études pétrographiques sur les roches massives, les roches éruptives et les terrains cristallophylliens. On s'occupe de géologie régionale dans les Alpes, les Pyrénées, la Corse et l'Afrique du Nord. On réunit diverses observations tectoniques sur ces régions montagneuses, et on en déduit des conclusions générales intéressant l'orogenèse, c'est-à-dire l'étude des dislocations de l'écorce terrestre. Mais pour passionnante qu'elle soit, l'orogenèse échoue à détourner l'esprit de ce point fixe : le suicide, et arrive un moment où il faut passer à l'action. Adieu orogenèse ! Adieu Bourboule aimée, dont la tête hardie défie les hauteurs des cieux ! Adieu philosophie marcellienne !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

vendredi 26 août 2022

Amphibologie

 

L'idée du Rien, dans sa pureté originelle, est amphibologique. Peut-être pas autant que le fameux « Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne » de Mallarmé, mais tout de même, elle est entachée d'une certaine ambiguïté et ce n'est que dans l'homicide de soi-même qu'elle acquiert la netteté de l'œuvre d'art.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Mollusques marins

 

Il n'y a pas que l'huître, il y a aussi le pétoncle, pour incarner une opiniâtre idée du bon goût (c'est-à-dire pour refléter le Rien). En fait, tous les mollusques marins bivalves ont quelque chose de nihilique — à l'exception peut-être de la moule, trop solidement ancrée dans la réalité empirique par son faisceau de filaments appelé byssus.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)