On
ne vit pas. On fait « jore » qu'on vit. Même chose pour la pensée. Même
chose pour tout. Chez l'être humain, rien n'est vrai. Tout est « jore ».
Dans un rigodon de fleurs mélancoliques.
Si
tu veux en savoir plus sur l'ontologie herméneutique ricœurienne, ne
demande pas à la poussière comme le conseillait mal à propos John Fante,
demande plutôt à Alain Badiou.
En
recyclant des bouteilles en polyéthylène pour fabriquer ses aphorismes,
le « négateur universel » Émile Cioran agissait pour l'avenir de notre
planète. Et il le faisait, cela mérite d'être souligné, en toute
discrétion, puisque ses amis Beckett et Ionesco n'étaient même pas au
courant.
Chez
Parménide, on peut remplacer « l'Être » par « le Rien », ça marche tout
aussi bien et même mieux. « Il n'est que le Rien, immobile, complet,
homogène, et tout le reste n'est que variation d'éclat par la surface. »
Voyez ?
C'est
décidé : le nihilique s'en va habiter la montagne de jade, comme avant
lui Li Po. Les gens, il en a soupé. Il doit bien y avoir autre chose (un
autre ciel, une autre terre, une autre façon de désespérer) que parmi
ces sacristi de gens. Peut-être des fleurs de pêcher ? Qui s'éloignent
au fil de l'eau ? Il verra bien...
Dans
les Âmes mortes, Nozdriov est un hâbleur. Un seul mot — « hâbleur » —
suffit à Gogol pour le définir tout entier. Mais pour se définir
soi-même, on cherche en vain le mot. Un pot de pisse ? Ça fait trois
mots.
Pour
pratiquer le « vivre-ensemble » avec le monstre bipède, il faudrait déjà
pouvoir le pratiquer avec soi-même. Or chacun sait que c'est quasi
impossible. Le Moi ronfle et pue des pieds — et l'autrui lévinassien
encore pire.
Une
maxime larochefoucaldienne dit qu'on est quelquefois aussi différent de
soi-même que des autres. Et c'est tellement vrai que parfois, on hésite
si on ne devrait pas s'envoyer une lettre d'insultes où l'on se
traiterait de « poëte raté qui s'en remet aux forces complaisantes de
l'inconscient » — ou pis encore : de « sacré pot de pisse ».
Sur
la mort, rien n'a de prise. On peut se moquer d'elle, on peut lui dire
des gros mots ou lui montrer son fiak, elle s'en fiche. Le moment venu,
elle vous attrape par le colback, et en moins de temps qu'il n'en faut
pour cuire des asperges... votre affaire est faite. En plus, et comme si
ça ne suffisait pas, elle s'exprime avec un drôle d'accent, un accent
du nord-ouest de Paris. Elle doit être de Houilles ou de Bezons
(peut-être même de Sartrouville).
Dans
le film They Live de John Carpenter, le héros, John Nada, met la main
sur des lunettes de soleil qui lui font découvrir un monde terrifiant :
de nombreux humains sont en réalité des extraterrestres aux visages
hideux et écorchés. Eh bien le nihilique, c'est à peu près pareil. Il
dispose de « lunettes mentales » qui lui font voir le Rien en toute chose — lunettes mentales que le négateur Émile Cioran appelle un peu
pompeusement « lucidité ».
Le
strapontin — thaumaturgie du mot ! — est un siège d'appoint
repliable, généralement inconfortable. Le cocher abattait pour qu'elle
eût une place les rebords du strapontin (Maurois, Climats, 1928, p. 16).
La vie est une indicible rémoulade (Wittgenstein, Investigations
philosophiques, 1953, p. 192).
Le
poëte et dramaturge anglais George Chapman prétendait qu'on ne pouvait
rien écrire d'éternel si on n'utilisait pas le bon type de plume. Il
fallait, selon lui, employer une plume « ayant trempé dans la noirceur de
la nuit ». Quand cela vint aux oreilles du nihilique, ce dernier sortit
littéralement de ses gonds. « La noirceur de la nuit ! Je t'en foutrai de
la noirceur de la nuit, moi, tuouaouar ! Bon Dieu de poseur ! Écris si
ça te chante mais ne fais pas tant de simagrées ! »
« Avoir
les pieds chaussés de sandales vagabondes ; se servir d'une tige de
rotin comme d'une canne ; considérer encor — encor ! — le siècle
poussiéreux, et se dire que ce pays — la “réalité empirique” — n'est
qu'un rêve où l'on n'a plus de rôle... Ah ! Quel délice ! » (Les
Trente-trois délices de Rémi Tripatala, Trad. de Simon Leys)
Au
disciple de Husserl, la présence d'une table rase donne aussitôt envie
de la retourner pour voir si, par le plus grand des hasards, elle ne
serait pas verte et bosselée de l'autre côté.
Avant
de se décider à vivre, il faut soigneusement tâter le terrain. Comme le
dentiste sadique de Marathon Man, le nihilique demande à tous ceux
qu'il rencontre si c'est « sans danger ». Mais les avis sont tellement
partagés qu'il ne sait pas quoi faire !
Ayant
appris que Juvénal recommandait d'avoir un esprit sain dans un corps
sain, le « négateur universel » Émile Cioran tenta à plusieurs reprises de
faire le poirier, mais sans succès. Il lui fallut se rendre à
l'évidence, il était « nul en poirier ». Quelque peu dépité, il se consola
en pensant que par contre, pour torcher un aphorisme, il n'avait pas
son pareil.
Effaré
par le chaos qu'est devenu son cerveau après toutes ces années passées à
lire — Heidegger, Wittgenstein, Bergson, Maritain — et à entendre — Michel Fugain, le chanteur Carlos — des inepties, le nihilique a
décidé de faire comme le narrateur de Corrections : il va « trier et
mettre en ordre » ; « trier et mettre en ordre ». Mais n'est-il pas déjà
trop tard ?
On
se croit « spécial », on se prend pour un « petit malin », jusqu'au jour on
l'on découvre que loin d'être « spécial », on n'est que minable. Ô parfum
aillé des queues de lotte ! Et toi, bouquet piquant et frais des
mollusques !
Dans
sa chanson Si on chantait, le chanteur Julien Clerc paraît se demander
ce qui se passerait si on chantait. Et la question se pose, en effet.
Mais nous ne chanterons pas — car nous sommes frappés d'acédie
monastique.
Pour
écrire que « dans la nuit noire de l'âme il est toujours trois heures du
matin », il faut vraiment aimer faire « jore ». « Regardez comme je suis
torturé ! » — Pot de pisse !
Gédéon
Burnemauve sait que l'homme est mortel mais il n'arrivera jamais à se
convaincre tout à fait que lui, Gédéon Burnemauve, l'est. Socrate,
d'accord... mais Gédéon Burnemauve ! Merde !