« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
lundi 15 octobre 2018
Un cadavre incomplet
L'homme du nihil subsiste plus ou moins longtemps, suivant une foule de circonstances qui dépendent de sa constitution, de son exposition à l'idéalisme allemand, de la température de l'atmosphère, de son humidité ou de sa sécheresse, etc. Cadavre incomplet, il est comme la transition de la vie à la putréfaction. Craignant, s'il bouge, de réveiller le féroce Moi, il s'efforce d'obéir à cette loi commune, l'inertie, qui régit les corps inorganiques. Malgré cette précaution, il maigrit, une couleur jaune teint sa peau et ses yeux, ses viscères s'engorgent, et communément la mort, qui le guette au centre des marais Pontins, vient fermer quelque temps plus tard cette carrière de souffrances.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Un joli travail
« L'éternel est son nom, l'haeccéité son œuvre. » (Racine, Esther, III, 4)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Vie souterraine
Pour la vie ténébreuse et fouissante que mène l'homme du nihil, la nature lui a donné une tête en museau de porc, un thorax convexe et déclive sur ses côtés, solide, dur et renforcé intérieurement par des arcs-boutants presque osseux. Ces formes disgracieuses lui interdisent pratiquement toute vie mondaine mais s'accommodent très bien à la progression souterraine dans la tourbe glaiseuse du quotidien.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Nageoires
Les puissants instruments qui concourent à imprimer à ses évolutions une vélocité prodigieuse, et qui lui permettent d'affronter les eaux les plus agitées, doivent faire envisager le suicidé philosophique comme un animal essentiellement nageur, à l'instar du Saurien de Gigondas (neustosorus gigondarum), dont on a retrouvé les ossements fossilisés dans une montagne du Vaucluse.
(Marcel banquine, Exercices de lypémanie)
Inconscience du Dasein
L'étant existant, parce qu'il est capable de manier la brouette, de charroyer des cailloux et de faire des plates-bandes, n'a que trop tendance à considérer que la vie n'est pas une maladie mortelle. Il « se sent trop bien » pour envisager sa propre disparition. Pauvre insensé ! Fou !
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Rhumatismes
« On fait d'ordinaire les acquisitions de la maladie de rhumatisme, les uns pour avoir été trop longtemps dans l'eau froide ; d'autres, pour avoir été mouillés par la pluie, par un temps froid ; d'autres, pour avoir supporté trop longtemps une petite colonne d'air, qui a frappé avec action les unes ou les autres parties du corps, qu'on nomme vent coulis communément ; d'autres, pour avoir changé des vêtements chauds en de plus légers ; d'autres, pour avoir habité des lieux humides ; d'autres, pour avoir couché les fenêtres ouvertes, par un grand chaud ; d'autres, après des exercices violents, avoir respiré un air trop froid ; d'autres, pour avoir supporté un froid, soit de nuit ou de jour, particulièrement à l'armée ; aussi en sortant de son lit, le matin, étant en sueur, ou en transpiration. Enfin le rhumatisme en général, est une suite du chaud au froid, par des transpirations interceptées. » (J. A. Loubet, Lettres sur la maladie de la goutte, Duchesne, Paris, 1757)
— De façon analogue, quand on passe du sentiment du quelque chose à l'évidence du Rien — avec ou sans transpirations interceptées —, on s'expose à subir ce que les savants appellent une « vie de merde » — sans préjudice de rhumatismes éventuels.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Sceptiques et ophiures
Ce serait une grave erreur que de confondre les sceptiques avec les ophiures. Les sceptiques prétendent qu'il est impossible de savoir, de deux opinions opposées, laquelle des deux est conforme à la vérité, tandis que les ophiures sont des échinodermes voisins des astéries (ou étoiles de mer). Ils se nourrissent principalement de jeunes mollusques et d'annélides. Leurs cinq bras sont fins, le disque central est bien individualisé et ils ne possèdent pas d'anus, contrairement aux sceptiques.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Pour ampliation conforme
Nous soussigné, Marcel Banquine, sain de corps et d'esprit, attestons par la présente que la vie entière n'est qu'un mélange de rêves peu suivis, presque toujours bizarres, et pour l'ordinaire malheureux. Pour valoir ce que de droit.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Tétrarhynque
Aucun homme sensé ne saurait être de l'avis de M. Leblond touchant la détermination du petit animal à quatre trompes qu'il a trouvé dans un kyste situé sous le péritoine d'un congre. On peut accorder volontiers qu'il ne soit ni Floriceps ni Anthocéphale, puisque l'extrémité postérieure de son corps ne se termine pas par une vésicule, et que ce doit être un tétrarhynque ; mais ce n'est en aucun cas le Tetrarhynchus appendiculatus de Rudolphi. La plupart des vrais tétrarhynques qui ont pu être observés vivants avaient, à l'extrémité postérieure du corps, une sorte d'appendice qu'ils faisaient rentrer ou sortir suivant certains mouvements. Où est cet appendice, chez le tétrarhynque de M. Leblond ? — [Silence].
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
De l'inanité de l'être
Dans l'Apologie de Raimond Sebond, Montaigne, en proie à une crise de scepticisme, met en doute la véracité des sens et déclare impossible toute connaissance. Mieux encore, l'auteur affirme l'inanité de l'étant existant — le fameux Dasein des existentialistes — qui, selon lui, découle de cette impossibilité de connaître. Certains commentateurs ont vu dans ce texte une déclaration semblable à celle que profère, par son acte radical, le suicidé philosophique. D'autres ont établi un lien avec la formule de Sainte Catherine de Sienne : « Je suis celle qui n'est pas ». Mais tout cela n'est-il pas, finalement, « du pareil au même »?
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
dimanche 14 octobre 2018
Platonisme
Le platonisme est une théorie philosophique selon laquelle il existe des entités intelligibles en soi (crottin de Chavignol, gruère, picodon fermier, etc.), dont le contenu est indépendant de la contingence de l'expérience sensible. Cette théorie est une des réponses possibles, avec le nominalisme et le conceptualisme auxquels elle s'oppose, à la question du statut ontologique des spécialités fromagères.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Heautontimoroumenos
On ne pense jamais que contre soi-même. Cela est-il vrai ?
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Temporalité
En commettant l'homicide de soi-même, le suicidé philosophique évite l'erreur fondamentale de la pensée traditionnelle concernant la temporalité, qui est de traiter le temps conformément au modèle ontique. À cette approche objectivante et nivelante de la temporalité, il substitue une approche que l'on pourrait qualifier d'analogique, d'apophatique, ou encore de poliorcétique — quoiqu'elle n'implique pas nécessairement l'usage de lourdes machines de siège.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Devise du nihilique
« Tout ne puis, quelque chose ne daigne, rien suis » : telle est l'orgueilleuse devise, adaptée de celle des Rohan, de l'homme du nihil.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Acte découvrant
Il est plus important, si l'on veut commettre l'homicide de soi-même, de se procurer un revolver ou du poison, que de souscrire aux thèses particulières de la phénoménologie sur la hiérarchie des réductions ou la constitution des noèses transcendantales. C'est, semble-t-il, ce que confesse à demi-mot Heidegger quand il insiste sur l'acte découvrant qui incombe au Dasein, lequel a pour vocation de découvrir les choses — taupicide, corde de violoncelle, revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe — dans leur vérité.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Hypothèse
Peut-être, avant Plotin, l'homicide de soi-même est-il la seule doctrine qui, au contact de l'indianisme, ait entrevu la libération du sujet comme un anéantissement de l'esprit dans l'indéterminé.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Diététique du Père Ubu
Plutôt manger des choux-fleurs à la merdre que « concevoir une pensée ».
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Des moyens
« Dans le suicide aigu, tous les moyens, tous les genres de mort sont égaux ; les malades saisissent avec une ruse souvent infernale toutes les circonstances favorables à leur suicide : une fenêtre, un escalier, un couteau, des ciseaux, la strangulation, la rivière, un flacon de taupicide, n'importe, pourvu qu'ils mettent fin à leur vie. Il n'en est pas de même dans le suicide chronique : les malades adoptent le genre de mort qu'ils doivent se donner, et s'y arrêtent après de mûres réflexions ; ils n'en veulent pas d'autres ; et encore s'ils sont décidés à se noyer, par exemple, c'est arrangés de telle façon, et dans tel endroit de la rivière, à tel moment du jour ou de la nuit, que s'exécutera leur dessein : le moindre dérangement à leur plan bien arrêté, suffit pour le faire différer, ou même pour en empêcher tout à fait l'exécution. » (Scipion Pinel, Traité de pathologie cérébrale ou des maladies du cerveau, Rouvier, Paris, 1844)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Laboratoire d'idées
Dans l'homicide de soi-même, le suicidé philosophique se livre sans complaisance à l'analyse de ses faiblesses. Mais cet acte est aussi un extraordinaire laboratoire d'idées et de réflexions esthétiques !
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Décomposition
Non plus que Spinoza, je ne ris ni ne pleure. Je me décompose.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Haro sur l'haeccéité
Le suicidé philosophique, en détruisant son Moi, entend mettre à nu la plaie la plus hideuse de l'étant existant, la principale cause de tous les maux qui l'affligent et le déshonorent, et le conduit rapidement aux abîmes où se sont engloutis avant lui tous les philosophes, tous les mystiques et tous les poulpes de la mer Égée : l'haeccéité.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Inscription à :
Articles (Atom)