« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
dimanche 9 septembre 2018
Page de journal
« À 11 heures, commencé la lecture d'Être et Temps. La poussière qui s'en dégage fait de ces pavés d'existentialisme allemand un séjour atroce. J'arrive à midi à la fin du premier chapitre avec un sentiment de délivrance. Dans ces convois de concepts, on est entassé et abruti comme des veaux dans la voiture d'un boucher. La poussière odieuse, le sans-gêne du Dasein, la chaleur, les cahots, la file sans fin d'être-quelque-chose, tout se ligue pour rendre matériellement impossible de prendre le moindre intérêt au paysage parcouru. »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Inventivité du lypémane
« Enfin il est des lypémanes qui mettent en œuvre des moyens de suicide extraordinaires, ou même insignifiants et ridicules, comme de courir à toutes jambes dans l'intention de se donner un anévrysme. » (Louis Bertrand, Traité du suicide considéré dans ses rapports avec la philosophie, la théologie, la médecine et la jurisprudence, J.-B. Baillière, Paris, 1857)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Paralysie nihilique
Le convolvulus du nihil s'enroule autour des basques de ma redingote, et me paralyse entièrement.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
L'heure de la fermeture
« On ferme ! » crie en agitant sa cloche le gardien du musée ethnographique qui, quelques minutes plus tard, constatera la disparition du fétiche arumbaya. Ce sont aussi les dernières paroles de l'écrivain Sadegh Hedayat, qui se suicida le 9 avril 1951 dans son appartement de la rue Championnet à Paris.
Qualifié par Gragerfis d'« homme du nihil » et de « pessimiste incurable », hanté par ses démons et vivant en marge de la société, il portait un regard désespéré sur l'absurdité du monde et l'inguérissable folie de l'âme humaine.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Torsion du néant
Le déjeuner nous rassembla tous d'assez bonne heure. Ensuite, voyant que le chef bohémien se trouvait de loisir, Rébecca le pria de reprendre la suite de son histoire, ce qu'il fit en ces termes :
« Une torsion du néant chargée négativement... voilà l'homme. »
Comme le Bohémien en était à cet endroit de son récit, on vint le chercher pour les intérêts de sa peuplade. Lorsqu'il fut sorti, Velasquez prit la parole et dit : « J'ai beau faire attention aux récits de notre chef, je n'y puis plus rien comprendre. Qu'est-ce que c'est que ces aphorismes absurdes? »
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Remèdes pires que le mal
« La musique religieuse, qui produit un très grand bien sur certains mélancoliques, aura les plus déplorables effets sur d'autres. [...] Le grand air, le ciel bleu, les fleurs, la gaieté, la danse, les divertissements, le théâtre, loin de produire le résultat qu'on pourrait en attendre, augmentent quelquefois la concentration du délire. » (Paul-Ferdinand Gachet, Étude sur la mélancolie, Paris, 1864)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Haeccéité à la deuxième puissance
L'excrément constitue en lui-même une individuation, qui est une « dilatation de l'individuation vitale », au dire de Froude.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Un chef-d'œuvre de l'immonde
Existe-t-il au monde quelque chose de plus laid que le « monstre bipède » ? Au dire du zoologiste Élie Metchnikoff, aucun animal ne l'approche en hideur, pas même la grande loche, cette grosse limace qui se rencontre principalement par temps humide, dans les forêts et les prairies. Mais le comble, c'est qu'il exhibe sa laideur comme un titre de gloire, tandis qu'il déambule en survêtement dans les couloirs méandreux de l'être. — Humains : plus encore que l'ordure, — au rebut !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
samedi 8 septembre 2018
Courses
Nous restâmes encore en place ce jour-là. Le Bohémien se trouva de loisir et Rébecca saisit la première occasion de lui demander la suite de son histoire. Il ne se fit pas beaucoup prier et commença en ces termes :
« — Et avec ceci ? — Une grosse tranche de non-être. »
Comme le Bohémien en était à cet endroit de sa narration, on vint le chercher pour les intérêts de la horde, et nous ne le revîmes plus de la journée.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Tangente
Les soirs où l'idée du suicide menace, après minuit, on descend dans les caves boire du vin mousseux et manger de la tarte aux fruits. On suppute combien de jours il faut pour gagner Valparaíso, Nouméa, New York, Yokohama, et l'on se renseigne sur les ports, l'état des mers.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Antidote à la monotonie
Ayant épuisé les joies du barbacole et du nain jaune, c'est dans le colt Frontier au canon de dix centimètres, à la merveilleuse précision, que l'homme du nihil place son dernier espoir de « varier sa pondéreuse existence ».
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Bouillie bordelaise
L'on choisit un bel ombrage pour y servir un dîner plus recherché que nos repas ordinaires et lorsqu'il fut fini, Rébecca dit que le chef bohémien n'étant pas occupé comme de coutume, il n'y aurait pas d'indiscrétion à lui demander la suite de son histoire. Il ne se fit pas prier et commença en ces termes :
« En vue de la destruction des larves néonates avant leur pénétration dans le fruit, Böhm avec le zeidane et Fisher au moyen du parathion conseillaient deux pulvérisations espacées de quinze jours environ. Le suicidé philosophique, lui, c'est incessamment qu'il recouvre le feuillage du Grand Tout de cette autre bouillie bordelaise : son désespoir véliforme. »
Comme le Bohémien en était à cet endroit de sa narration, un de ses gens vint lui parler des affaires de la horde. Il nous quitta et nous ne le revîmes plus de la journée.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Homards
Dans la philosophie heideggérienne, les hommes se débattent avec des phénomènes tels que la mort, la culpabilité, la conscience, la liberté, la finitude... Ne dirait-on pas des crustacés ?
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Décadence
Comme les noms d'Anaxagore de Clazomène, d'Œnopide de Chios, de Théodore de Cyrène, de Léodamas de Thasos, d'Archytas de Tarente, d'Eudoxe de Cnide, d'Amyclas d'Héraclée, de Theudios de Magnésie, d'Athénée de Cyzique, d'Hermotime de Colophon, sont doux à l'oreille de qui s'intéresse à la genèse de la science mathématique ! Et comme en comparaison les noms de René Baire, d'Émile Borel, de Jacques Hadamard, d'Eugène Catalan, de Gustave Choquet, paraissent plats et mesquins !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Tathâta
Nous arrivâmes au gîte d'assez bonne heure ; l'on soupa et puis l'on pria Velasquez de continuer l'histoire de sa vie, ce qu'il fit en ces termes :
« Dans le bouddhisme, le terme tathâta — thaumaturgie du mot ! — désigne l'ainséité, autrement dit le caractère de ce qui est "ainsi", "tel que c'est", "en réalité". — Profonde dégoûtation de tout cela. »
Arrivé à ce point, l'on vit que Velasquez avait du mal à se défendre du sommeil. La société se sépara. Je fis en me couchant d'amères réflexions qui me parurent conduire à pouvoir expliquer tout ce qui m'était arrivé par des moyens naturels. Le sommeil me surprit au milieu de ces raisonnements.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Tyrannie bicéphale
Tantôt dans la fureur, tantôt dans l'inertie, l'individu subit la loi de deux puissances oppressives : celle du Moi et celle de l'excrément.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Increvable
« Le médecin me soigna de son mieux, mais un jour qu'il examinait mon Moi œdémateux, il secoua la tête en murmurant : "Si cela continue, l'amputation sera nécessaire." Malgré ses craintes, la forte constitution de ma gabardine conscientale, endurcie par les longues méditations solitaires en mon cagibi et dans les tourbières du nihil réussit à triompher de la maladie ; au bout d'une quinzaine, je pus me lever et composer quelques sonnets à la gloire de l'être-en-soi du garçon de café. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Le suave murmure du pachynihil
Le suicidé philosophique entend en permanence le fort chuchotement du Rien contre son oreille, rumeur fraîche qui l'apaise la nuit quand l'insomnie le tenaille. Le Rien n'est pas atteint par l'espèce d'étouffement de la nuit ; il est toujours égal dans sa force, son bondissement torrentueux sur les roches usées du « conscient intérieur ». Et « de ses particules dénégatrices émane un parfum qui relie l'esprit au cosmos » (Marcel Jutique).
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Le Travailleur
Le « Monsieur Baxter » d'Objectif Lune n'est pas un humaniste, c'est le moins que l'on puisse dire. Ce monstre froid au cerveau farci de statistiques, qui dirige le Centre de Recherches Atomiques de Sbrodj, incarne la pensée technicienne à l'état pur, qui « met aux prises une volonté agressive et une nature pensée comme matière inerte, simple objet de pénétration et d'information » 1. En comparaison, comme le docteur Rotule, quoique bourru, nous paraît bénin et sensible !
Vers la fin de sa vie, Baxter, du fait d'une carence en fibres, se trouvera momentanément incapable de « faire » et connaîtra enfin le sentiment intérieur de la présence du Rien. Il regrettera amèrement d'avoir consacré ses jours à des fusées, centrales atomiques et autres billevesées, mais il sera trop tard : comme l'a montré le philosophe Jankélévitch, le temps a en effet un caractère odieusement irréversible.
1. Edmond Chassagnol, Théorie du trop-plein, p. 209.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
vendredi 7 septembre 2018
Hommage à Enrique Banchs
L'acte défécatoire, où à n'être que grotesque s'accoutume la matérielle existence...
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Sagesse populaire
Les sueurs froides, le pachynihil, la pensée du suicide qui vous transperce comme un bostryche, « ce n'est rien, un refroidissement, il suffit de prendre de l'aspirine, de se frictionner avec du vinaigre, d'appliquer un sinapisme et d'avaler un purgatif », simplement « de faire ce qu'on fait chez soi en pareil cas » et « ça passera ».
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Enfance et jeunesse du suicidé philosophique
« Dès l'âge de dix à onze ans, il s'adonna avec passion à la lecture des romans de Georges Perec, qui ne tardèrent pas à accroître cette susceptibilité nerveuse qui s'était annoncée dès sa première enfance. À douze ans, il avait déjà conçu une forte haine de l'haeccéité, et une inclination non moins forte pour le Rien. À treize ans, cette inclination, que le temps n'avait fait que fortifier, fut enfin contrariée par ses parents. Dès lors, taciturnité, morosité, fuite de la société, recherche de la solitude, goût plus passionné encore pour les romans de Georges Perec, et pour finir, recherche fébrile d'un puits busé, d'une corde de violoncelle, d'un flacon de taupicide, d'une falaise du haut de laquelle se jeter, ou d'un petit pan de mur jaune sur quoi se fracasser. »
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
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