Ce
que c'est que de nous ! Hier encore, on écrivait des aphorismes « nihiliques »,
on broutait l'herbe tendre du Rien, et aujourd'hui on cuit, on cuit dans
la marmite de la Louise !
D'après
Léon Bloy, sainte Marie Alacoque avait un tel désir de mortification
qu'elle se plongeait parfois jusqu'à des trois minutes dans l'eau
bouillante !
Pour
chasser de sa pensée une mégère difforme au faciès d'hippopotame qui
vous persécute incessamment, la philosophie hindoue est d'un grand
recours, en particulier la Vajracchedikâ Prajnâpâramitâ où sont exposés
les principes de la doctrine de la vacuité. Sa stance finale, l'une des
plus belles de toute la littérature bouddhique, en exprime la
quintessence sous une forme extrêmement poétique. Alors attention, hein !
Le « négateur universel » racontait partout que son père était pope, sans
doute pour donner un surcroît de piquant à sa négation. Mais des
recherches menées à l'état-civil de Răşinari nous révèlent qu'Emilian
Cioran, loin d'être ecclésiastique, était vétérinaire ! Il soufflait
dans le derrière des chevaux ! Avec un petit tube en verre ! Pour les
rendre très gros très gros (soi-disant) ! Alors en fait de pope, hein !
Émile
Cioran aimait bien Léo Malet, mais avec une pointe de jalousie. Il
trouvait que Micmac moche au Boul' Mich' était supérieur à Syllogismes
de l'amertume comme titre. Ça le courrouçait de ne pas y avoir pensé le
premier. Ç'aurait quand même sonné moins prétentieux. Mais enfin,
c'était comme ça, c'était comme ça.
Tous
ces romans, toutes ces sonates, tous ces tableaux de peinture, à quelle
fin ont-ils été créés ? À une seule et unique fin : promouvoir le Moi
de leur auteur. — C'est effrayant, quand on y pense.
À
force de pratiquer le doute systématique, on en vient à se demander si
Leibniz avait raison et si véritablement la capitale du Guatemala est la
capitale du Guatemala (ou si elle n'est pas, par exemple, celle du
Honduras).
Martin
Heidegger : Dis donc, Hannah, il y a une question qui me turlupine. À
quoi pense-t-on quand on ne pense à rien ? À un point mathématique ? Au
pape François ?
Ouvrez
un crâne au hasard, vous verrez qu'il ne contient qu'une boue visqueuse
faite de fragments de poëmes, de slogans publicitaires et de bribes de
chansons de Michel Fugain. Il n'y a pas de quoi être fier. Pourtant, le
monstre bipède arbore un air avantageux. Il est le roi de la Création,
le céoène !
Les
ceusses qui aiment la vie s'exclament chaque matin en s'éveillant : « Ô
joie suprême ! Ô bonheur ineffable ! Nous sommes vivants ! » Et en effet
ils sont vivants, les bredins. Mais ils ne paient rien pour attendre. Il
y a des limites à la provocation. Tuouaouar !
« 7
octobre. Je rencontre Bergson, fusil en bandoulière. “Bonne chasse ?”
Il ne répond pas mais me gratifie d'un sourire jusqu'aux oreilles, ouvre
son carnier et me montre les concepts qu'il a dégommés, parmi lesquels
se trouve... l'élan vital ! Je n'en crois pas mes yeux. » (Léon
Brunschvicg, Journal spinoziste, Paris, Alcan, 1907)
À
la fin de sa vie, atteint de démence sénile, le « négateur universel »
Émile Cioran se prenait pour un tarier pâtre. Il se posait en bout de
branche et était sans cesse inquiet du ciel. Délivré depuis longtemps de
la vindicte de Lucien Goldmann, il se croyait maintenant, à l'instar de
la mésange, la proie des crécerelles véloces.
Pour
supporter les crises d'asthme que lui donnait le réel, il arrivait que
le « négateur universel » Émile Cioran envoyât Simone à l'épicerie du coin
lui acheter une ou deux bouteilles de Tigron.
S'il
n'existait rien de plus triste, dans la « réalité empirique », qu'une
fête foraine, on pourrait dire que le monde est triste comme une fête
foraine. Mais il y a plus triste qu'une fête foraine, il y a... un bal
de mariage. Il faudra donc dire que le monde est triste comme un bal de
mariage.
On
est âgé de huit ans à peu près. Au milieu de la nuit, on entend du
bruit dans la cuisine, on se lève et on découvre son père — son propre
père ! — occupé à découper un morceau de lard rôti ! Cette terreur
qui vous envahit alors, comment ne pas penser qu'elle cache quelque
chose de gigantesque ?
On
croyait avoir regagné un semblant d'équilibre, on pensait s'être
débarrassé de cette sensation d'inquiétante étrangeté devant le réel, et
voilà que surgit... le mot baldaquin ! Ça ne finira donc jamais ?
L'homme
sait ou du moins devine que l'homicide de soi-même est un puits de
jouvence, mais au lieu de plonger, il reste prostré et mutique sur la
margelle. Pourquoi ?
Contrairement
à ce que prétend le groupe de musique Magic System dans sa chanson
Magic in the Air — où, après avoir invité l'étant existant à oublier
ses soucis et à « venir faire la folie », il affirme qu'« il n'y a pas de
raccourci » —, il existe bel et bien un raccourci et ce raccourci
s'appelle l'homicide de soi-même.
D'après
René Maheu, quand Jean-Paul Sartre apprit que Céline l'appelait « le
tænia », il en fut si courroucé qu'il ne put créer le moindre concept de
deux jours.
Le
poëte Henri Michaux était célèbre pour sa distraction. Un jour, dans un
autobus qui l'emportait vers Odéon, il s'assit par mégarde à une place « réservée aux mutilés de cul ». À l'arrêt suivant, comme il fallait s'y
attendre, un mutilé de cul monta dans l'autobus et demanda au poëte de
libérer la place. Celui-ci s'exécuta sans protester et tenta de se
justifier en disant qu'il n'était pas dans son assiette, qu'il avait
pris de la mescaline pour explorer ses « gouffres intimes », et cætera.
Le « négateur universel » Émile Cioran avait une prédilection pour
l'historien Tacite. Pour lui, Tacite était sacré et il appréciait peu
que son ami Ionesco, grand amateur de contrepets et de grivoiseries en
tout genre, lui demandât, parlant de Simone Boué : « Elle apprit Tacite
en babouches ? »
La
vie du nihilique est un roman, mais un roman presque aussi ennuyeux que
l'Ulysse de Joyce. À son grand désespoir, elle n'a pas la merveilleuse
brièveté de style qui caractérise les ouvrages de Salluste.