Le
monstre bipède est exclusivement bipède depuis l'époque d'homo
ergaster, il y a environ deux millions d'années. Quant à homo sapiens,
il existe depuis au moins trois cent mille ans et il est toujours aussi
exécrable. Il fait toujours autant de bruit en mangeant, si ce n'est
plus. The times, they are not a-changin' — en tout cas pas tant que
ça.
Marcel
Proust était spécialiste des gaffes. Un jour qu'il était en visite chez
la comtesse Greffulhe, il poussa par mégarde la porte d'une salle de
bain et découvrit une dame complètement nue. Il la reconnut au premier
coup d'œil, c'était Fabienne Tabard, la femme du marchand de chaussures.
Il recula aussitôt, referma la porte et dit : « Pardon monsieur. » Il
était peut-être gaffeur mais il avait du tact.
Le « négateur universel » Émile Cioran avait remarqué qu'il ne devenait
méchant que lorsqu'il était profondément mécontent de lui-même.
Malheureusement, cela lui arrivait souvent car — il ne le savait que
trop — il n'était à la hauteur dans aucun domaine (sauf peut-être la
négation universelle, et encore).
Dans
l'Épopée de Gilgamesh, la déesse Ishtar demande à Enkidu — le compère
de Gilgamesh — comment il va yau de poêle. C'est le premier exemple
connu d'humour dans la littérature mésopotamienne.
Blaise
Pascal a raison : les gens qui poussent des « Aaaah » de bien-être (dans
un jacuzzi ou ailleurs) méritent de subir le supplice du pal jusqu'à la
fin des temps. Le bien-être ! Je t'en foutrai du bien-être, moi,
tuouaouar ! Le mal-être, plutôt, oui !
L'homme sait qu'il n'est que le rêve d'une ombre, depuis que Pindare le lui a dit. Mais ce pudding de silicate, là, dans le jardin ? Possède-t-il lui aussi le
cossu secret ?
Si
vous êtes dans la mouise, ce n'est pas la peine de vous adresser au
gars Tchekhov. Tout ce qu'il vous répondra, c'est : « Je ne sais pas. »
C'est en tout cas ce que prétend Léon Chestov (et en général il est bien
informé).
Dans
la pièce de Sophocle, à propos de l'épée qu'il a reçue en cadeau
d'Hector, Ajax parle de « douleur coupante ». C'est cette épée qu'il va
utiliser pour se suicider, réalisant ainsi une sorte de « cassement
existentiel » — puisqu'il se prend à lui-même sa propre vie. Ce « cassement » n'est pas sans rappeler celui de la Métamorphose des
cloportes, sauf que le Rouquemoute utilise un chalumeau au lieu d'une
épée, et que le « cassement » qu'il commet ne comporte aucune dimension
existentielle (le truand n'est mû que par sa passion pour le lucre).
Si
le monstre bipède avait un minimum de « sentiment tragique de la vie »,
il ne vivrait pas comme il vit (c'est-à-dire comme un babiroussa). Il
faut croire qu'il n'a pas lu Unamuno... Oui... ça doit être ça...
Tout
le monde ne se tue pas de la même façon. Par exemple, Pierre Bérégovoy
fit le choix de se suicider « au bord d'un canal où il était souvent venu
goûter la paix et la beauté des choses ». Il ne se pendit pas à la
grille d'un égout dans une ruelle sordide comme son presque homonyme le
poëte Gérard de Nerval (il n'y a que quatorze lettres de différence).
Chez
Fidel Castro aussi, il y avait tout ce qu'il fallait : non seulement
des outils et des matériaux mais des geôles et des chevalets de torture.
Tant l'homme est un loup pour l'homme...
Pour
le « négateur universel » Émile Cioran, c'était chaque matin la même
histoire : il commençait par se sentir mal à l'aise. Puis il regardait
sa montre, il était déjà huit heures. Il embrassait tendrement Simone
Boué et un taxi emportait cette dernière. « Tu t'en vas, mon cœur, parmi
ces milliers de gens », soupirait-il in petto. Et il se faisait la
réflexion que c'était une journée idéale pour marcher dans la forêt.
Comme il aurait aimé, le négateur, aller se coucher seul dans les genêts ! Mais il avait des aphorismes à écrire, il ne pouvait pas y couper. Il
fallait bien gagner sa croûte...
On
se croit, comme Ajax, plus fort que la saleté, mais en ce « monde de néant » la saleté finit toujours par l'emporter. Alors découragé, on fait comme le héros grec : on jette l'éponge et l'on met fin à ses jours (sur une plage de Salamine ou
ailleurs, suivant comme ça se trouve).
Le
philosophe Michel Foucault n'aurait jamais pensé qu'il effectuerait un
jour, seul et à pied, le tour complet de la constellation du Grand
Chien. Mais voilà, il est mort, et il a bien fallu qu'il s'y mette --- sac au dos, comme dirait Huysmans.
Le Dasein n'y connait pas grand chose en fait de
littérature argentine. Aussi, quand il lit dans Borges les noms
d'Hilario Ascasubi et d'Estanislao del Campo, il se dit : « Qui c'est ces
mecs-là ? »
Émile
Cioran : Il y a quelques années, la compagnie Laurence Olivier a donné à
Moscou Roméo et Juliette — c'est une pièce de Shakespeare, tu peux
pas comprendre.
Eugène Ionesco : Ouais. Et ?
Émile Cioran :
T'aurais vu la réaction des spectateurs, mon vieux ! C'était à ne pas
croire. Une fraîcheur... Une ardeur... Une... Je ne sais pas, moi, une piété ! Non, je te jure. C'est pas en Occident qu'on verrait ça.
Ils sont légion, les nihiliques en peau de lapin qui se gavent d'huîtres et de bigorneaux,
mais le véritable nihilique, lui, est fidèle à la devise de Saint
Ignace : « Perinde ac cadaver ».
Le
kiaï, le mythique « cri qui tue » des maîtres d’arts martiaux, n’aurait
pas uniquement pour effet de sidérer l’adversaire. En faisant circuler
le chi — le souffle vital —, il serait aussi capable de rééquilibrer
le corps ! Cela paraît « inc'oyable » mais c’est pourtant ce qu’affirme
Jean-Paul Duchêne, enseignant de tai chi rompu aux techniques de
circulation de l’énergie par la voix. Laissons-lui la parole. Ou plutôt
non.
Thomas
Mann est un romancier complet et ses personnages le sont également.
Ainsi, chez Hans Castorp, il y a tout ce qu'il faut : fadeur,
malléabilité, aspiration à des idéaux humanistes élevés, outils,
matériaux... Euh... non. Pas les outils et les matériaux.
« En
ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : Je te loue, Léon Dessertine,
de ce que tu as caché aux sages et aux intelligents les choses
relatives au négoce de la viande, et de ce que tu les as révélées aux
bredins. Oui, Léon Dessertine, je te loue de ce que tu l'as voulu ainsi.
Toutes choses m'ont été données par mon Père, et personne ne connaît le
Fils, si ce n'est le Père ; personne non plus ne connaît le Père, si ce
n'est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. Alors attention,
hein ! » (Matthieu, 11:25)
En
1957, Maurice Merleau-Ponty proposa à ses collègues philosophes un
moratoire sur la création de concepts. Il trouvait que les amis de la
sagesse produisaient chaque année un nombre effarant de concepts qui
pour la plupart ne servaient à rien. « Arrêtons ces outrances qui nous
font passer pour d'absurdes polichinelles », leur disait-il dans sa
lettre. Faut-il le préciser ? Son appel fut ignoré et la production
continua comme devant.
Être
ou ne pas être. Mon royaume pour un cheval. Si vous nous piquez, est-ce
que nous ne saignons pas. Voilà. C'est à peu près tout. Il n'y a pas de
quoi en faire un fromage. Bon Dieu !
Ami lecteur ? As-tu déjà vu un rouge-gorge
gémir et se lamenter quand les feuilles commencent à tomber (au début
de l'automne, c'est-à-dire) ? Cela signifie que le petit volucre a
perdu tout désir de poursuivre sa randonnée dans le désert de Gobi de
l'existence. Ô mort !
S'il
faut en croire Émile Cioran, le facteur Cheval ne savait pas qu'il
était le facteur Cheval, mais ça ne l'empêchait pas de pousser de grands
hennissements (quand il était particulièrement content d'une de ses
constructions). Le « négateur universel » en tire la conclusion que
l'homme est un être foncièrement gênant et qu'il vaut mieux ne pas être
vu en sa compagnie.