Quoiqu'il
n'ait jamais couru après les honneurs, le nihilique aurait été flatté
d'être reconnu comme « le chantre de l'absence douloureuse ».
Malheureusement, c'était déjà pris (par Georges Perec).
Lao-Tseu,
Tchouang-Tseu, Confucius... Ces Chinois nous font suer, avec leur « sagesse ». Ce n'est pas de sagesse que nous avons besoin mais de... de
quoi au fait ?... De taupicide ! C'est de taupicide que nous avons
besoin ! Pour fuir la malrucienne condition humaine !
Une
légende urbaine prétend que le poëte futuriste Vladimir Maïakovski, au
moment de s'envoyer une « bastos » dans le buffet, aurait crié : « Le
changement c'est maintenant ! » Cela semble très douteux, mais même si
cette histoire est apocryphe, une chose est indéniable : en un clin
d'œil, la condition du poëte fut effectivement modifiée du tout au tout.
Le
nihilique ne sait rien de plus ridicule que le terme Costaricien pour
désigner un habitant du Costa Rica — à part peut-être les « œuvres » du « plasticien » Christo.
Au
Costa Rica, les Bribris et les Cabécares adorent le dieu Sibou. C'est
même, s'il faut en croire l'anthropologue Malinowski, leur « dieu
tutélaire ». Mais ici, attention. Dans la mythologie de ces Indiens,
aussi bizarre que celui puisse paraître, le frère de Sibou est... un
tapir ! — Ces Bribris... et ces Cabécares... « comme même » !...
Quand
on était jeune, on aimait bien les petits pois. Mais maintenant qu'on
s'est pénétré de l'inanité de toute chose, on ne voit plus, dans l'acte
de manger des petits pois, qu'une gesticulation solitaire et funèbre
au-dessus du néant — comme sont aussi, dans un autre genre, les « œuvres » du « plasticien » Christo.
Il
y a des ceusses qui se consolent d'avoir à mourir en se disant que dans
cette vie, ils auront tout de même beaucoup ri. Mais pas le nihilique.
Il faut dire que si l'on excepte la fois où il a entendu le mot
diptérocarpacée, il n'a pas ri des masses. Pourquoi aurait-il ri ?
Qu'est-ce qu'il y avait de risible, dans ce « monde de néant » ? La bêtise ? Mais la bêtise n'est pas risible, elle est plutôt désespérante. S'il
avait dû montrer quelque émotion, le nihilique aurait fait comme
Héraclite, il aurait pleuré sur le flux du devenir.
Nihilique
n'est pas à proprement parler un métier, mais si ça l'était, ce serait
un « métier en tension » — et même en tension de Laplace. Le Rien n'est
pas une sinécure. Il met les nerfs à rude épreuve !
Émile
Littré dit de la solitude qu'elle est « l'état de celui qui est seul ».
On ne saurait mieux dire, ni rendre de façon plus poignante l'horreur de
ce si terrible fléau.
Flaubert
n'était pas le gars à se laisser bousculer. « Que je crève comme un
chien, plutôt que de hâter d'une seconde ma phrase qui n'est pas mûre »,
écrit-il dans une lettre à Maxime Du Camp datée du 26 juin 1852. « On
n'est pas aux pièces, merde ! »
Parfois,
pour ne pas devenir fou, on n'a d'autre moyen que de se répéter dans
sa tête qu'on est né à Melo, ville aux coloniales maisons, au milieu de
cette panique plaine qui a la double et terrifiante caractéristique
d'être interminable et proche du Brésil.
Il
ne faudrait pas croire que les « penseurs » s'apprécient entre eux. Et ça
se comprend car penser, c'est avant tout dénigrer. Ainsi, Schopenhauer
tenait Hegel pour un imposteur doublé d'un imbécile.
On
a beau être de bonne composition, il y a des auteurs qu'on ne lira
jamais, par exemple Marguerite Urcelar. Il faut dire qu'elle n'existe
pas, en réalité c'est Yourcenar, mais ce n'est pas grave, on ne la lira
quand même pas.
Le
nihilique, qui n'est pas à un paradoxe près, claironne que « rien n'est »
en même temps qu'il nourrit un goût pervers pour la démolition et les
décombres de Rebatet. Mais comment détruire ce qui n'existe pas ? Avec
un mangonneau ?
Il
est bien le cas, comme l'a affirmé Croce, que le langage est un fait
esthétique. Il suffit de prononcer le mot lagéniforme ou le vocable
hippocastanacée pour faire l'expérience du beau.
Comme
celle d'Almafuerte, la mystique du nihilique est une mystique de
l'échec. Suite à des problèmes récurrents de « joint spi » qui l'ont
empêché de se mettre « en situation de mobilité », il est arrivé à la
conclusion que l'échec est le destin de l'homme, la finalité de tout le
parcours humain.
De
son propre aveu, le « négateur universel » Émile Cioran était excédé par
tous, mais il aimait rire et ne pouvait rire seul. Heureusement, Simone
Boué connaissait plein de blagues de Toto.
Dans
une existence où il n'avait pas pied, le nihilique a fait naufrage.
Pendant longtemps il a pompé, puis il en a eu marre. Kierkegaard aussi
disait s'être jeté dans la vie avec une voie d'eau dans la cale. Eh bien
voilà, comme ça ils sont deux.
Lorsque
le domaine est compact, le spectre du laplacien est discret, et ses
modes propres forment un ensemble dénombrable infini. Cela, le taoïste
comme le stoïcien l'ont compris depuis longtemps.
On
le sait, la vie est une grosse tourte de m..., et ce n'est déjà pas
agréable because l'odeur. Mais le pis est que cette grosse tourte de
m... attire toutes sortes d'insectes qui s'ingénient à vous piquer le
fiak ! Si on était moins fataliste, on achèterait du Baygon Jaune et ils
verraient, les salops.
Et
si Bergson avait raison ? Si la durée n'était rien autre chose que la
pénétration mutuelle d'états de conscience hétérogènes, ainsi que leur
apparition continue sans ordre ni interruption ? On serait drôlement
frais. On n'a déjà pas tellement d'élan vital mais alors là ce serait le
pompon. La philosophie, il n'y a pas à dire, ça fout les jetons.
En
toute chose, le nihilique est adepte de la méthode indirecte. Résultat :
quand il fait des avances à des personnes du sexe, ses avances sont si
contournées — autant que l'idée mélodique chez Chabrier, disons —
que lesdites personnes du sexe n'y comprennent que pouic et « croivent »
qu'il leur demande de lui passer la rhubarbe ou le séné.
Rien
de tel que de rester allongé sur un canapé en laine, la casquette
rabattue sur le nez, pour « endiguer la nécrose du fugace ». Le canapé en
laine, cette zone de faible altitude où les névroses sont inconnues.
Nous
pensons au cabiai, et aussitôt, le vocable hystricognathe avance vers
nous, pétulant, inflexible, suintant déjà de l'intérieur. Nous lui
tendons les bras, saisis d'un incroyable vertige.
Dans
sa réclame, Maître Gama Wassim se fait fort, entre autres choses, de
vous guérir de toute maladie chronique, de vous mettre en relation avec
le diable (en vue de la signature d'un pacte), de grossir et allonger
votre pénis, ou de vous faire bénéficier du « puissant rituel du
porte-monnaie magique ». Si Faust avait connu cet entreprenant marabout,
qu'eût-il choisi ? En supposant qu'il eût opté pour le pénis, la pièce
de Goethe n'eût-elle pas sombré dans la gaudriole ? Et Marguerite ?
Qu'en eût-elle dit ? Et l'étudiant Wagner ?
Aux
chiottes, le basilic ! Aux doubles-vécés, la farigoulette ! Du balai,
la publicité des années 70 pour le fromage Cantadou ! Georges Perec
était peut-être ravi de se souvenir, mais nous non. Surtout de bêtises
pareilles. Et l'autre crétin, là, avec sa toque de cuisinier, qui
soi-disant se décarcassait... Oh, bon Dieu ! On en aura subi, dans ce « monde de néant »...