Sorte
de Sergueï Pavlovitch Korolev de la névrose autopropulsée, le nihilique
surveille la trajectoire de sa déchéance existentielle à l'aide d'un
cinéthéodolite. Jusqu'à présent, elle était nominale, mais soudain, tout
part en révérence parler couille. Sénescence... caducité...
décrépitude... « Corrigez ! Mais corrigez donc, sapristi ! »
L'avantage
de la solitude, c'est qu'on peut être con, vieux et moche sans avoir à
se sentir gêné. Il n'y a pas gêne ! L'inconvénient de la solitude,
c'est... euh...
Si
vous haïssez quelqu'un — par exemple une mégère difforme au faciès
d'hippopotame — avec suffisamment de force, ce quelqu'un finira par
exploser, par imploser, ou par recevoir un pot de fleur sur le cassis.
C'est en tout cas ce qu'affirme Tchouang-Tseu dans son Classique
véritable de Nanhua — et ce qu'espère ardemment le nihilique.
Le
philosophe Blaise Pascal croyait que la nature était l'image de Dieu.
Mais si on regarde mieux, on s'aperçoit qu'elle ressemble plutôt à une tête de chien couché.
Selon
Nagarjuna, le tathâta — qui désigne chez
les bouddhistes la véritable nature de la réalité à un moment donné —,
a pour caractère d'être non discursif, donc de ne pouvoir s'exprimer
par la parole. La réalité n'est pas verbale ! Elle est incommunicable et
atroce, comme le pensait le poëte Lugones !
Comme
Flaubert, le nihilique a son « gueuloir ». Et on y entend de ces
choses... Des « zingibéracé », des « pots de pisse »... Heureusement qu'il
n'y a pas de voisins (ça se passe dans sa tête).
Ce
n'est pas dans cent sept ans que le nihilique veut être canonisé mais
tout de suite. Santo subito ! Ainsi, il sera à l'abri du besoin
(métaphysique). Il n'a peut-être pas fait de miracles, mais il a mené
une vie exemplaire dans le Rien — et ce n'a pas été de la tarte.
Le
zélateur du Rien et le théologien ont plusieurs points communs. Tout
d'abord, ils se meuvent chacun dans l'étrange et l'invérifiable (le
divin pour l'un, le pachynihil pour l'autre). Ensuite, tous deux
méprisent les « amis de la sagesse », leurs « concepts » et leurs « phénomènes ». Enfin, leur commerce de l'étrange et de l'invérifiable
leur donne un petit air vicieux qui les fait regarder avec méfiance par
le vulgum pecus.
Le
nihilique se dit que si le monde extérieur n'existe pas réellement mais
n'est qu'une création de son « conscient intérieur », alors il a fait un
beau gâchis. Mais il y a tout de même une chose dont il est fier, c'est
la chimie, avec son tableau périodique, ses électrons de valence, ses
béchers, ses erlenmeyers, ses pipettes graduées, ses coefficients
stœchiométriques et ses enceintes adiabatiques. Il fallait y penser. Ce
n'est pas tout le monde qui aurait pu inventer un truc pareil.
Un type que personne ne connaît n'a pas besoin de faire semblant d'être comme ci ou comme ça. Il peut rester indéterminé tout son saoul,
comme il sied à quelqu'un que l'être n'a jamais emballé.
Lao-Tseu,
Tchouang-Tseu, Confucius... Ces Chinois nous font suer, avec leur « sagesse ». Ce n'est pas de sagesse que nous avons besoin mais de... de
quoi au fait ?... De taupicide ! C'est de taupicide que nous avons
besoin ! Pour fuir la malrucienne condition humaine !
Le
nihilique ne sait rien de plus ridicule que le terme Costaricien pour
désigner un habitant du Costa Rica — à part peut-être les « œuvres » du « plasticien » Christo.
Il
y a des ceusses qui se consolent d'avoir à mourir en se disant que dans
cette vie, ils auront tout de même beaucoup ri. Mais pas le nihilique.
Il faut dire que si l'on excepte la fois où il a entendu le mot
diptérocarpacée, il n'a pas ri des masses. Pourquoi aurait-il ri ?
Qu'est-ce qu'il y avait de risible, dans ce « monde de néant » ? La bêtise ? Mais la bêtise n'est pas risible, elle est plutôt désespérante. S'il
avait dû montrer quelque émotion, le nihilique aurait fait comme
Héraclite, il aurait pleuré sur le flux du devenir.
Flaubert
n'était pas le gars à se laisser bousculer. « Que je crève comme un
chien, plutôt que de hâter d'une seconde ma phrase qui n'est pas mûre »,
écrit-il dans une lettre à Maxime Du Camp datée du 26 juin 1852. « On
n'est pas aux pièces, merde ! »
Être né à Melo, ville aux coloniales maisons, au milieu de
cette panique plaine qui a la double et terrifiante caractéristique
d'être interminable et proche du Brésil, c'est ça qui serait bath. On serait comme le poëte Emilio Oribe, un peu.
Il
ne faudrait pas croire que les « penseurs » s'apprécient entre eux. Et ça
se comprend car penser, c'est avant tout dénigrer. Ainsi, Schopenhauer
tenait Hegel pour un imposteur doublé d'un imbécile.
On
a beau être de bonne composition, il y a des auteurs qu'on ne lira
jamais, par exemple Marguerite Urcelar. Il faut dire qu'elle n'existe
pas, en réalité c'est Yourcenar, mais ce n'est pas grave, on ne la lira
quand même pas.
Il
est bien le cas, comme l'a affirmé Croce, que le langage est un fait
esthétique. Il suffit de prononcer le mot lagéniforme ou le vocable
hippocastanacée pour faire l'expérience du beau.
Comme
celle d'Almafuerte, la mystique du nihilique est une mystique de
l'échec. Suite à des problèmes récurrents de « joint spi » qui l'ont
empêché de se mettre « en situation de mobilité », il est arrivé à la
conclusion que l'échec est le destin de l'homme, la finalité de tout le
parcours humain.
De
son propre aveu, le « négateur universel » Émile Cioran était excédé par
tous, mais il aimait rire et ne pouvait rire seul. Heureusement, Simone
Boué connaissait plein de blagues de Toto.
Dans
une existence où il n'avait pas pied, le nihilique a fait naufrage.
Pendant longtemps il a pompé, puis il en a eu marre. Kierkegaard aussi
disait s'être jeté dans la vie avec une voie d'eau dans la cale. Eh bien
voilà, comme ça ils sont deux.
On
le sait, la vie est une grosse tourte de m..., et ce n'est déjà pas
agréable because l'odeur. Mais le pis est que cette grosse tourte de
m... attire toutes sortes d'insectes qui s'ingénient à vous piquer le
fiak ! Si on était moins fataliste, on achèterait du Baygon Jaune et ils
verraient, les salops.
Et
si Bergson avait raison ? Si la durée n'était rien d'autre que la
pénétration mutuelle d'états de conscience hétérogènes, ainsi que leur
apparition continue sans ordre ni interruption ? On serait dans de beaux draps et même dans de beaux drillards !