Dans
sa chanson Si on chantait, le chanteur Julien Clerc paraît se demander
ce qui se passerait si on chantait. Et la question se pose, en effet.
Mais nous ne chanterons pas — car nous sommes frappés d'acédie
monastique.
Gédéon
Burnemauve sait que l'homme est mortel mais il n'arrivera jamais à se
convaincre tout à fait que lui, Gédéon Burnemauve, l'est. Socrate,
d'accord... mais Gédéon Burnemauve ! Merde !
Chaque
fois que le négateur Émile Cioran entendait à la radio
Ruggiero Ricci jouer du Bach, c'était réglé comme du papier à musique :
il sentait qu'il ne fallait pas renoncer, qu'on n'avait pas le droit de
se laisser aller, et que, pour ce qui le concernait, il avait le devoir
de se ressaisir. Puis il sombrait à nouveau dans l'abattement et se
remettait à écrire des aphorismes.
Il
est plus facile à un chameau de passer par le chas d'une aiguille qu'à
quelqu'un plongé dans la « réalité empirique » d'échapper à la morosité.
Car le réel, il faut dire ce qui est, ce n'est pas « jojo ».
Le
chat possède une conscience morale plus élevée que la femme. Quand il
ronronne parce que vous le caressez ou parce que vous lui avez donné des
croquettes « Canaillou », il ne fait pas « jore ».
À
quelques rares exceptions près, les suicidés philosophiques n'ont aucun
sens de l'humour. Ils prennent tout au tragique. On pourrait croire que c'est parce que la mort est une chose sérieuse,
mais ce n'est pas ça. Ils n'étaient déjà pas drôles avant de décider de se supprimer. Ce sont simplement des « bonnets de nuit ».
Dans
ses Exercices d'admiration, le négateur universel raconte que son
camarade Michaux le traînait à des projections de films scientifiques où
il « se faisait chier à mille francs de l'heure ».
Dans
la scène 5 de l'acte IV de l'Annonce faite à Marie, le père de
Violaine et de Mara se demande si le but de la vie est de vivre. Il conclut bientôt par la négative et déclare que le véritable but de la vie est de mourir. C'est un coup de tonnerre. Tout le monde est abasourdi.
Pour
autant que l'on sache, le premier artiste à avoir osé signer son œuvre
est un certain Gislebertus, sculpteur français du XIIe siècle connu pour
son travail à la cathédrale Saint-Lazare d'Autun. L'inscription « Merde à
celui qui le lira, signé Bigeard » est en effet gravée sous la mandorle
contenant, au centre du tympan, la représentation du Christ en gloire.
Dans
son Vrai Classique du vide parfait, le philosophe chinois Lie Tseu
cherche à démontrer le caractère illusoire des perceptions. Il reprend
l'exemple imaginé par Husserl d'une boule rouge et lisse qui s'avère
soudain être verte et bosselée de l'autre côté, démentant la
représentation anticipatrice que l'on en avait. Il cite aussi l'exemple
d'un mouton perdu que l'on retrouve grâce à une « méthode correcte ». On
lit, on lit, et arrivé à la fin de l'ouvrage, on se dit que le taoïsme,
on n'y comprend goutte mais... c'est quand même drôlement balaise
(surtout le coup du mouton)
Notre univers
est en forme de bouteille. En effet, wittgensteinien comme nous sommes, les frontières de notre langage déterminent les frontières de notre univers — or nous connaissons le mot lagéniforme.
Sorte
de Sergueï Pavlovitch Korolev de la névrose autopropulsée, le nihilique
surveille la trajectoire de sa déchéance existentielle à l'aide d'un
cinéthéodolite. Jusqu'à présent, elle était nominale, mais soudain, tout
part en révérence parler couille. Sénescence... caducité...
décrépitude... « Corrigez ! Mais corrigez donc, sapristi ! »
L'avantage
de la solitude, c'est qu'on peut être con, vieux et moche sans avoir à
se sentir gêné. Il n'y a pas gêne ! L'inconvénient de la solitude,
c'est... euh...
Si
vous haïssez quelqu'un — par exemple une mégère difforme au faciès
d'hippopotame — avec suffisamment de force, ce quelqu'un finira par
exploser, par imploser, ou par recevoir un pot de fleur sur le cassis.
C'est en tout cas ce qu'affirme Tchouang-Tseu dans son Classique
véritable de Nanhua — et ce qu'espère ardemment le nihilique.
Le
philosophe Blaise Pascal croyait que la nature était l'image de Dieu.
Mais si on regarde mieux, on s'aperçoit qu'elle ressemble plutôt à une tête de chien couché.
Selon
Nagarjuna, le tathâta — qui désigne chez
les bouddhistes la véritable nature de la réalité à un moment donné —,
a pour caractère d'être non discursif, donc de ne pouvoir s'exprimer
par la parole. La réalité n'est pas verbale ! Elle est incommunicable et
atroce, comme le pensait le poëte Lugones !
Comme
Flaubert, le nihilique a son « gueuloir ». Et on y entend de ces
choses... Des « zingibéracé », des « pots de pisse »... Heureusement qu'il
n'y a pas de voisins (ça se passe dans sa tête).
Ce
n'est pas dans cent sept ans que le nihilique veut être canonisé mais
tout de suite. Santo subito ! Ainsi, il sera à l'abri du besoin
(métaphysique). Il n'a peut-être pas fait de miracles, mais il a mené
une vie exemplaire dans le Rien — et ce n'a pas été de la tarte.
Le
zélateur du Rien et le théologien ont plusieurs points communs. Tout
d'abord, ils se meuvent chacun dans l'étrange et l'invérifiable (le
divin pour l'un, le pachynihil pour l'autre). Ensuite, tous deux
méprisent les « amis de la sagesse », leurs « concepts » et leurs « phénomènes ». Enfin, leur commerce de l'étrange et de l'invérifiable
leur donne un petit air vicieux qui les fait regarder avec méfiance par
le vulgum pecus.
Le
nihilique se dit que si le monde extérieur n'existe pas réellement mais
n'est qu'une création de son « conscient intérieur », alors il a fait un
beau gâchis. Mais il y a tout de même une chose dont il est fier, c'est
la chimie, avec son tableau périodique, ses électrons de valence, ses
béchers, ses erlenmeyers, ses pipettes graduées, ses coefficients
stœchiométriques et ses enceintes adiabatiques. Il fallait y penser. Ce
n'est pas tout le monde qui aurait pu inventer un truc pareil.
Un type que personne ne connaît n'a pas besoin de faire semblant d'être comme ci ou comme ça. Il peut rester indéterminé tout son saoul,
comme il sied à quelqu'un que l'être n'a jamais emballé.
Lao-Tseu,
Tchouang-Tseu, Confucius... Ces Chinois nous font suer, avec leur « sagesse ». Ce n'est pas de sagesse que nous avons besoin mais de... de
quoi au fait ?... De taupicide ! C'est de taupicide que nous avons
besoin ! Pour fuir la malrucienne condition humaine !
Le
nihilique ne sait rien de plus ridicule que le terme Costaricien pour
désigner un habitant du Costa Rica — à part peut-être les « œuvres » du « plasticien » Christo.