Le
nihilique s'était laissé dire qu'au soleil, sous la pluie, à midi ou à
minuit, il y avait tout ce qu'il voulait aux Champs-Élysées, mais va te
faire fiche. Il avait eu beau chercher, aux Champs-Élysées et alentour,
il n'y avait pas plus d'Absolu ténébreux que de beurre au prose. Où
était-ce donc alors qu'il se cachait ? L'Absolu ténébreux ?
— L'Absolu ténébreux ? Il est dans ton cul, hé, ballot !
Quelqu'un — Raymond Doppelchor ? — a dit que quand on est revenu de tout, on
n'arrive à rien, pas même à « concevoir une pensée ». Et ça a tout l'air
d'être vrai — mais comme on est aussi revenu des « pensées », ça va.
Une
des plus belles phrases de la langue française est, dans son laconisme
véridique, celle qu'écrivit dans son journal l'infortunée Marie
Lenérouge (1875-1918) : « Rien ne console, parce que rien ne remplace. »
Toute la doctrine nihilique y est resserrée avec une force et un
bonheur d'expression suprêmes. Non, en vérité, rien ne remplace (et par
conséquent, rien ne console non plus).
Quand
on arrive à la hauteur du château d'eau de Belleville, c'est comme
quand on écoute le Voyage d'hiver de Schubert : l'émotion vous submerge.
S'ensuit une rafale de « caisses ».
Si
le penseur paradoxal Frédéric Nietzsche pouvait prendre aujourd'hui
le métro parisien, il serait sûrement victime d'un « malaise voyageur ».
La laideur qui y règne ; la puanteur qui en infecte l'air ; et ces
gueules... pour quelqu'un d'aussi émotif...
Comme
Konrad, le héros de Thomas Bernhard, on aimerait faire répéter à sa
bonne femme pendant des heures la phrase « Mimi vit six perdrix ». Ça lui
ferait les pieds, à cette carogne. Pour une étude sur l'ouïe, qu'on
prétendrait. Bon, mais il faudrait déjà avoir une bonne femme.
On
peut supposer que la production de matière fécale est plus pénible —
métaphysiquement ! — à une personne du sexe, car la femme est associée
à la délicatesse et à la suavité, tout le contraire de l'excrément qui
est le plus souvent grossier et malodorant.
Vous
souvient-il encore au fond des jours, fougères, du pauvre être au cri
bègue, aux doigts gourds ? De l'ineffable homme des cavernes,
c'est-à-dire ? Avec son petit panier de cerises sauvages ? Il a fait du
chemin, depuis. Il envoie des fusées dans la lune. Pourtant, c'est
toujours un bredin, un fada, un jobastre, bref un idiot. Bon, ce n'est
pas le tout. Ciao, les fougères ! Arrivederci !
Le
monstre bipède est impacté par la baisse des nappes phréatiques.
Bientôt, il ne va plus être en capacité de s'hydrater. Heureusement, il a
des opportunités à l'international. Il ne doit pas rester sur Paris (ou
sur Bezons). Il doit se mettre en situation de mobilité (ou de
handicap).
Terrible
chose que l'existence ! Un vent glacé frissonne et court par les allées ; le Dasein heideggérien, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux, ne
peut pas dormir sur ses pattes gelées. Dans les grands arbres nus que
couvre le verglas, il est là, tout tremblant, sans rien qui le protège ;
de son œil inquiet il regarde la neige et se dit : « C'est ça la vie ?
Eh ben moïeux ! »
Dans
la vie, on a le choix entre le Rien et les emmerdes. Ceux qui aiment
les emmerdes se mettent avec une bonne femme. Ceux qui préfèrent le Rien
restent avec eux-mêmes (ils font l'expérience de la solitude, comme
cela s'appelle). Mais on peut aussi avoir tout en même temps : le Rien
et les emmerdes, la bonne femme et la solitude.
Jeune,
le nihilique se sentait déjà vieux. C'était embêtant, mais maintenant
qu'il l'est vraiment... c'est encore pis. Ses genoux grincent et
cliquettent, ce qu'ils ne faisaient pas avant. Et s'il n'y avait que les
genoux... Mais il y a l'être ! L'être !
Exister
est un verbe des plus scabreux, car il signifie à la fois posséder une
réalité et se manifester dans la vie de l'autrui lévinassien de manière
éminente. Pour éviter l'ambiguïté, on utilisera plutôt le vocable
strapontin ou à défaut le pape François (même si le sens de la phrase en
est quelque peu modifié).
Pour
avoir singé la profondeur et s'être exprimé comme un oracle,
l'horripilant René Char est condamné à recevoir une sévère bourrade dans
les côtelettes. — À exécuter immédiatement.
« Vous
reprendrez bien une petite tranche de Moi ? » demande le poëte. « Non
merci, répond le nihilique. Mon âme ne le supporterait pas. Elle souffre
d'indigestion. Le printemps était trop vert, elle a mangé trop de
salade. Je suis à la diète polonaise. »
Descendre
des canettes de bière, assister à des courses de canassons et
s'accoupler avec des trumeaux étaient les trois occupations favorites de
l'écrivain Charles Bukowski. Il menait une drôle de vie, on peut dire.
Mais enfin... c'est comme tout. Oui... c'est comme tout.
Le
vrai sage, ce n'est ni Socrate, ni Siddharta Gautama, ni Jankélévitch,
ni même André Comte-Sponville, le vrai sage, c'est... l'hippopotame. La
mortalité de l'être mortel, la temporalité du temps, l'haeccéité,
l'hippopotame s'en tamponne le coquillard. Il accueille les dons de
l'instant avec modestie et gratitude. Il nous montre le chemin du
bonheur dans la simplicité. « Ô joie suprême ! Ô bonheur ineffable ! Une
flaque de boue ! »
Les « vieux jetons » ne méritent aucun respect. Ils ont persévéré dans l'être
comme des bon Dieu de pervers. Ils nous dégoûtent. Et ils nous
dégoûtent d'autant plus qu'on en est un soi-même.
Peut-être
que pour voir « la vie en beau », il faudrait suivre l'exemple de
l'écrivain Charles Bukowski et se gratter les révérence parler couilles.
Mais on n'ose pas. On a peur du qu'en-dira-t-on. Finalement, on clamece
et il est trop tard. On est passé à côté du « bonheur », ça se trouve.
Les
personnes qui demandent un fromage « bien fait » ou « pas trop fait » n'ont
pas l'air de sentir toute l'ignominie qu'il y a à utiliser le vocable « fait » dans cette acception. Ce ne sont pas des « chevaliers de la foi »
au sens kierkegaardien.
Peut-être
que si on n'était pas d'un naturel dépressif, sans aller jusqu'à voir « la vie en beau », on lui trouverait du sens ? Mais non, ce n'est pas
possible. On a tout bien calculé, on a refait mille fois les calculs,
c'est sûr, elle n'a pas de sens. Oh, bon Dieu !
Quand on est né, personne ne nous a dit qu'on devrait vivre entouré
d'hyènes et de chacaux. Bien sûr, même si on nous l'avait dit, on
n'aurait rien pu y faire. Mais quand même, ce sont des choses qui se
font, non ? De prévenir ?
Les
plus horripilants des « vieux jetons » sont ceux qui font « jore » qu'ils
s'accommodent d'être des « vieux jetons ». Ils ont endossé le rôle, les
salops ! Ils feront pareil avec le rôle de « clamecé » ? Le nihilique,
lui, se révolte ! À la Camus ! Non mais alors des fois !
Une
des plus belles phrases de la langue française est, dans son laconisme
véridique, celle que déclame Jacques Dutronc dans sa chanson Les Cactus :
« Aïe aïe aïe ; ouille ouille ouille ; aïe. » Toute la doctrine
nihilique y est resserrée avec une force et un bonheur d'expression
suprêmes. Oui, en vérité, la vie, ça pique et ça fait mal au fiak.