« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
dimanche 30 décembre 2018
Une différence de taille
Un jour qu'il avait été frappé par l'ordonnance des branches bifides du dragonnier des Canaries, Gragerfis écrivit dans son Journal : « Le Rien est un arbre pareil. » Mais dans l'arbre, la plus fine brindille est encore l'aboutissement d'un fût puissant qui, régulièrement, de carrefours en carrefours sans cesse simples et identiques, s'épanouit en dôme de feuilles minuscules. Tandis que dans le Rien... — Après réflexion, il biffa.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Nuit noire de l'âme
« À l'étang de Soustons, il est toujours deux heures de l'après-midi. » (Francis Scott Fitzgerald)
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
La maladie à la mort
22 octobre. — « Les meilleures choses ont une fin, et d'une façon ou d'une autre, il faut que la mélancolie se termine ; si le sujet n'a pas tenté de se suicider et réussi dans son projet, la maladie se termine par une mort plus ou moins lente, ou par la guérison, qui est toujours très éloignée si elle doit être solide. » (Paul-Ferdinand Gachet, Étude sur la mélancolie, Paris, 1864)
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Conversation avec Peter Handke
Étang de Soustons, deux heures de l'après-midi. Sur son pliant, solitaire, un quidam est là qui contemple l'eau et semble ruminer de noirs pensers. Après un instant d'hésitation, Marcel Jutique prend son courage à deux mains et l'aborde.
Marcel Jutique : Monsieur, pardonnez-moi de troubler votre méditation. Ne seriez-vous pas l'écrivain Peter Handke ?
Peter Handke : Jawohl.
Marcel Jutique : Puis-je vous demander ce que vous faites ici, à l'étang de Soustons ? Un pélerinage à la mémoire d'Emil Cioran, peut-être ?
Peter Handke : J'ai tout dit.
Marcel Jutique : Vous étoudiez ?
Peter Handke : Non. J'ai tout dit.
Marcel Jutique : Je ne m'en mêle plus.
Il prend son chapeau et sort.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Acédie
En désespoir de découvrir un remède autre que le suicide à cette typhose existentielle, je m'installe dans une indifférence douloureusement phrastique, placée sous le vocable du Rien.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Page de journal
15 octobre. — « L'acarus marginatus, dit M. Raspail, abandonne la peau des pigeons et des oiseaux quand les premiers froids se font sentir, et va s'abriter sous les tas d'ordures et de fumier en fermentation accumulés pendant la belle saison, parce que là il trouve la température qu'il recherche : lorsque la faim le presse, et que son corps est échauffé, il se jette sur le premier oiseau qui fouille ce fumier, ou sur le quadrupède qui le foule aux pieds. L'homme n'en est pas épargné quand il aventure la main ou le pied nu dans ce foyer pullulant de la contagion et du parasitisme ».
— Le « foyer pulullant de la contagion et du parasitisme » ! Comme cela est beau et nous émeut au suprême !
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
samedi 29 décembre 2018
Unité du monde
Certains excréments fossiles découverts en Sibérie recèlent, sécrétées par une sorte de glaire indécise, déjà non les ébauches, mais les strictes constructions polyédriques que le génie humain devait se montrer longtemps après capable de déduire par sa seule capacité de raisonner. Cette continuité singulièrement précise entre le monde mental et le monde matériel illustre, selon Gragerfis, le caractère unitaire du cosmos, l'existence d'une syntaxe générale, ce que l'auteur du Journal d'un cénobite mondain exprime métaphoriquement par le terme reginglette.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Mots
Rutilant ou obscène, le vocable charrie un limon obsédant. Il déambule sous l'os, où il répand les germes vireux d'une parodie de désespoir.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Noir animal
11 août. — Dans la commune de Vouzon, canton de la Motte-Beuvron, il existe une vaste lande de 500 hectares d'étendue appelée lande de Misabran, dans laquelle on a appliqué, il y a quelques années, un nouveau genre de culture qui a donné d'excellents résultats. On a commencé par défricher à bras un certain nombre d'hectares de bruyères, et, après avoir passé la herse, on a répandu sur la terre du noir animal, à raison de 4 hectolitres 1/2 par hectare, puis on a semé du seigle. La récolte a donné 25 hectolitres par hectare. La seconde année, labour à la charrue avec addition de noir animal et semis de seigle ou d'avoine avec trèfle ; les résultats ont été moins satisfaisants.
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Musée intérieur
Monstre bipède ! Ne te fie pas à l'apparence austère de l'homme du nihil ! Il enveloppe sous son écorce maussade et râpeuse une pinacothèque infinie, où il a réparti par manières et par sujets les innombrables tableaux de cette horreur qui tout à la fois le fascine et le repousse : le « réel ».
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
The Crack-Up
Il y a dans mon âme comme une crevasse, un intervalle entre les pieux jointifs et le batardeau, un espace rempli de fascines chargées de pierres, un genre de risberme.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Page de journal
17 août. — « Un Malabare, qui trouve une couleuvre dans sa maison, la supplie d'abord de sortir. Si les prières sont sans effet, il s'efforce de l'attirer dehors, en lui présentant du lait, ou quelque autre aliment. S'obstine-t-elle à demeurer ?, on appelle les Bramines, qui lui représentent éloquemment les motifs dont elle doit être touchée, tels que le respect du Malabare, et les adorations qu'il a rendues à toute l'espèce. » (Abbé Prévost, Histoire générale des voyages, Didot, Paris, 1746-1761)
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
vendredi 28 décembre 2018
Tentative désespérée
À l'approche imminente du trépas, il n'est pas rare que le Dasein s'écrie : « C'est un malentendu ! Il y a maldonne ! Je suis le créateur John Galliano ! » — mais c'est en vain : bon gré mal gré, il doit bientôt se faire à sa nouvelle condition de de cujus. Il est, comme on dit, « décédé ».
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Rien de nouveau sous le soleil
Comme l'a remarqué Démocrite, « les porcs se vautrent dans le fumier ».
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Du sacrifice de rouquins
26 octobre. — Plutarque rapporte (d'après Manéthon, dit-il) qu'en Égypte, à certains jours, à Eléthya en Thébaïde, on brûlait vifs des hommes qu'on appelait typhoniens, et qu'on jetait leurs cendres au vent. Diodore de Sicile rapporte aussi qu'anciennement, les rois d'Égypte sacrifiaient sur le tombeau d'Osiris des hommes de la couleur de Typhon, c'est-à-dire des « rouquemoutes ».
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Un ours
L'homme du nihil ne supporte aucune compromission avec le « fétide et rébarbatif réel ». Il doit parfois en absorber un élément fortuit, imprévisible, une écharde, mais il n'est jamais altéré que par violence. En outre, il cherche subito presto à expulser l'intrus de sa pachyméninge. Il ne l'accepte jamais que comme une brimade qu'il doit passagèrement tolérer. Comme il préfère l'intégrité géométrique du nihil au radotage et à la belote, il n'a pas d'amis et passe pour un être profondément asocial.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Pêche à la foëne
20 novembre. — La foëne est très utilisée pour la pêche des anguilles, dans les flaques d'eau laissées par la marée descendante, ou encore dans les herbiers ; en effet, comportant de nombreuses dents (sept, par exemple, voire neuf), la foëne permet de capturer aisément ce poisson, difficile à saisir autrement.
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
jeudi 27 décembre 2018
Couleur optique
Sur les ailes de certains papillons, par exemple le Mars changeant — mais on pourrait également citer le morpho —, le gris poussière du Grand Tout bascule d'un coup dans le bleu électrique du Rien suivant l'incidence de la lumière. De telles métamorphoses n'ont rien pour étonner l'homme du nihil : que la morosité le prenne, qu'il soit exposé à l'idéalisme fichtéen, et un banal flacon de taupicide lui paraît soudain un chatoyant paradis.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Déroute existentielle
Les vertus laxatives de l'heure font du suicide une orge pressante, trop pressante.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Présent de l'hyène
18 novembre. — Une hyène apporta un jour son petit, qui était aveugle, à Saint Paphnuce, qui le guérit ; le lendemain l'hyène apporta au saint une grande peau de brebis, qu'on appela le présent de l'hyène ; Paphnuce la donna à Sainte Mélanie l'aïeule. (Pallade, Hist. Lausiaque, l. VIII, c. 20).
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
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