« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
jeudi 26 juillet 2018
Espace lusinien
Un espace mesurable est dit lusinien ou standard s'il est isomorphe à une partie borélienne d'un espace polonais muni de la tribu induite par la tribu borélienne. Un théorème de Kuratowski assurerait dit-on que tous les espaces mesurables lusiniens non dénombrables sont isomorphes, mais quant au suicidé philosophique, il préfère s'en remettre à la merveilleuse précision de son colt Frontier au canon de dix centimètres pour se rendre isomorphe au Rien, une bonne fois pour toutes.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Sommeil noir
Boue, bourbe, barbon, boule, bouboule, bubon, Darie Boutboul, barbaque, borborygme... Bourboule ! — Un grand sommeil noir tombe sur ma vie, dormez tout espoir, dormez toute envie. — Paul Verlaine.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Toute-puissance de l'idée du Rien
« La pensée de l'homicide de soi-même s'impose à l'esprit du sujet pensant, non par un défaut de raisonnement, une paresse d'esprit, par une ignorance, par l'influence d'une passion, mais par la force tyrannique, invincible de l'idée du Rien, devant laquelle la générosité de la nature, les traditions de la religion, les enseignements de la morale, les conseils, les exemples expirent impuissants ou ne conservent tout au plus qu'une autorité dérisoire. » (Albert Lemoine, Le suicidé philosophique devant la morale et la société, Paris, 1862)
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Un parallèle osé
Le chien de garde du docteur J.W. Müller dans l'Île Noire est un féroce dogue allemand arlequin. Quand Milou se fait voler son os par ce molosse, il pleure à chaudes larmes : « wouhou ! houhou ! hou ! » Son affliction nous rappelle celle du constipé dont la vie incertaine et chancelante paraît devoir finir à chaque instant et qui, incapable d'extraire de lui-même la « matière vivante du réveil » possède à peine la force nécessaire pour exister, et pour annoncer par des gémissements dignes du prophète Jérémie les souffrances qu'il éprouve.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Plaisanterie de mauvais goût
« En présence de la réalité, je n'ai que des opinions, plus ou moins vraisemblables, plus ou moins probables. Cet objet fuselé que j'entrevois dans le corridor d'un hôtel, je le prends pour un serpent dans l'obscurité ; mais si j'affine mon expérience perceptive, je vois qu'il ne bouge pas, qu'il n'a pas la couleur d'un serpent, je l'examine dans tous ses détails et je parviens à une représentation plus probable, celle d'un "cigare japonais" qu'un malotru a déposé sur un plateau d'argenterie plein de tartines beurrées et de croissants. » (Ligaturo Mazop der Saj, Scepticisme et mondanité, J.-B. Baillière, Paris, 1844)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
mercredi 25 juillet 2018
Du divin et du sacré
Il est notoire que Heidegger a été élevé dans un milieu « authentiquement catholique ». Son père est certes tonnelier, mais il est aussi sacristain, et il ne « plaisante pas avec ces choses-là ». À onze ans, le jeune Martin est donc requis pour servir la messe à Meßkirch (son passage préféré est celui où il tend au prêtre les burettes, cependant que celui-ci dépose l'hostie sur le corporal).
Au début, tout se passe comme sur des roulettes, mais des tensions ne tardent pas à apparaître entre le garçon et le curé de Meßkirch, l'abbé Prellen, au sujet du sacré et du divin.
Pour Heidegger, le sacré n'est pas sacré parce que divin ; c'est plutôt parce que selon son ordre il est sacré, que le divin est divin — das Gôttliche ist göttlich, weil es in seiner Weise "heilig" ist —, idée qui exaspère le curé, car il y voit un sophisme. Mais ce qui met le comble au courroux du prêtre, c'est que Heidegger soutient que le divin ne peut être pensé qu'à partir de l'essence du sacré, elle-même saisie à partir de la vérité de l'être.
L'abbé Prellen informa le père de Heidegger des « mauvaises pensées » de son fils, et celui-ci se prit de sévères « roustes », mais rien ne put le faire changer d'avis. Heureusement pour lui, l'abbé Prellen fut remplacé peu de temps après par l'abbé Bühlhof, beaucoup plus « coulant » que son prédécesseur en matière de théologie.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Rien de parfait
L'homicide de soi-même semble à première vue un monument magnifique de la grandeur humaine. Mais lorsqu'on a payé à cet édifice ogival le tribut d'admiration qu'il mérite, on passe à la critique et l'on remarque avec tristesse que la tour n'est pas au milieu de la façade, que dans l'emploi des ornements, tout est capricieux et arbitraire, et que le portique est d'un style moderne qui forme un contraste choquant avec le caractère général de l'ouvrage...
Le suicidé est trop souvent un gâcheur et l'on ne peut que répéter tristement cette vérité universelle : Rien de parfait sur la terre.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Une nuit en ville (Charles Bukowski)
Il était minuit passé. Les verres arrivaient, sans que je sache vraiment d'où, de même que des cigarettes. Le juke-box gueulait. Des heures de fumées froides de cigarettes avaient donné une teinte gris-bleu à l'atmosphère. Les mouches et les cafards étaient abrutis, malades et soûls, et les clients aussi. C'était un endroit où nul être sensé n'aurait souhaité se trouver, mais n'étant pas un être sensé, je m'y trouvais. Le genre d'endroit où il est difficile de se représenter que l'espérance, chez Gabriel Marcel, est vue comme l'expérience d'un avenir qui n'a pas été encore vécu et qui se donne comme inobjectivable.
Les urinoirs étaient impossibles : en entrant, on recevait une bouffée mortelle d'odeur de pisse et de dégueulis accumulés depuis un siècle. Et personne n'utilisait les chiottes qui étaient sombres et recouvertes d'une croûte marron ; en plus, il n'y avait pas d'eau. Le couvercle avait depuis longtemps disparu, de même que celui de la chasse d'eau, et les araignées friandes de whisky et de bière régnaient sur les lieux, tissant leurs toiles et attendant que quelque chose vienne s'y prendre. Il fallait être un marcellien convaincu pour se risquer à caguer dans un tel endroit. Je baissai mon froc et me mis à l'ouvrage.
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Vilenie
« Vilenie, s.f. [Sordes, spurcitia.] — Ordure, Saleté. (Voilà de la vilenie, ôtez-la. Pot de chambre plein de vilenie. Le Moi est plein de vilenie, il faut le faire netteïer.) » (Pierre Richelet, Dictionnaire de la Langue Françoise, ancienne et moderne, t. 3, Lyon, Bruyset, 1728)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Réactivité intempestive
Le 13 octobre 1901, un train reliant Buenos-Aires à Pigüé prend un retard important à la suite d'une tentative de suicide sur la voie ferrée. Le journal El Independiente relate l'incident en ces termes : « La police de Saavedra a arrêté l'individu Edouard Smit qui, dans la journée du 13, a tenté de se suicider entre la gare de Goyena et celle de Saavedra, sur la voie ferrée, obligeant ainsi le train à s'arrêter pour éviter un malheur ».
Quelques décennies plus tard, l'acide Gragerfis, fervent prosélyte du suicide par écrasement du Moi, évoquera cet événement dans son journal et fera le commentaire suivant : « Triste époque où les conducteurs de locomotive pouvaient contrôler aussi fermement la vitesse de leur machine ! »
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Initiative citoyenne à Bar-le-Duc
« Récupérer les plats de cantine non consommés et les offrir aux plus démunis, une idée citoyenne qui fait son chemin dans la Meuse.
À Bar-le-Duc, le lycée Émile-Zola, plutôt que de les mettre à la poubelle, offre ces plats au Secours Populaire qui vient les collecter deux fois par semaine avant de les offrir à ceux qui en ont besoin.
Les plats sont triés, rangés, transportés et stockés en respectant scrupuleusement les normes sanitaires, notamment en ce qui concerne le respect de la proverbiale "chaîne du froid". Il ne reste alors plus au Secours Populaire qu'à les offrir aux bénéficiaires, chaque année plus nombreux.
"Puissent-ils s'étouffer avec", aurait sans doute dit le philosophe Schopenhauer dont la pensée transpire, comme on sait, la misanthropie et la négativité. Heureusement, plus personne ne lit ce vieux grincheux, auteur d'une œuvre assez indigeste où l'on chercherait en vain la moindre idée citoyenne ! » (France Info, 7 février 2015)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Un « fada »
Ostéologue de la base secrète de Sbrodj, dans Objectif Lune, le docteur Rotule fait une première apparition au moment où les détectives Dupond et Dupont embarquent menottes aux poignets un squelette qui ornait son cabinet, en accusant cet osseux « gaillard » de « faire le mort ». Le docteur Rotule, pourtant d'un naturel débonnaire, semble alors profondément courroucé.
On le retrouve quand il opère Tintin après que ce dernier a reçu une balle dans l'épaule. Plus tard, il étudie en compagnie d'un collègue l'état mental du professeur Tournesol devenu amnésique à force de « faire le zouave », et s'il refuse de se prononcer, il juge son cas « intéressant, de toute façon ».
Enfin, il est chargé de réanimer les membres de l'expédition à leur retour sur terre, notamment le capitaine Haddock dont il décrit le pouls comme « très irrégulier et très faible, hélas !... » — là encore, le docteur Rotule apparaît complètement dépassé par les événements.
Dans les Bijoux de la Castafiore, il envoie un télégramme de félicitations au capitaine Haddock à la suite de l'annonce fallacieuse — et bien peu crédible ! — de son mariage avec le « rossignol milanais », parue dans Paris-Flash.
Dans les Aventures de Tintin, le docteur Rotule tient donc, on le voit, le rôle de « ravi de la crèche ». Il lève les bras au ciel en signe d'émerveillement devant tout ce qu'il ne comprend pas (amnésie de Tournesol, coma des astronautes, mariage factice de Haddock) comme fait le véritable ravi devant le mystère de la nativité. Sa joie est démonstrative et communicative, il prête à rire avec ses bras en l'air, sa barbe rousse et sa tête d'étonné.
Autrefois, on disait que chaque village avait son « idiot », son « fada » — qui signifie littéralement « possédé par les fées ». Assurément, le docteur Rotule est le « fada » du Centre de Recherches Atomiques de Sbrodj. Il n'apporte rien sauf sa joie, il ouvre son cœur, et nous montre le chemin du bonheur dans la simplicité.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Dissymétrie nihilique
Comme l'œuf, l'idée du Rien n'est jamais absolument sphérique et présente toujours un gros bout et un petit bout.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Loi forte des grands nombres
La loi forte des grands nombres dit que la moyenne des n premiers termes d'une suite de variables aléatoires converge presque sûrement vers une constante (non aléatoire), lorsque n tend vers l'infini. Lorsque ces variables communient dans une même vertu théologale, à savoir l'espérance, et au même degré, cette limite constante est l'espérance commune à toutes les variables aléatoires de cette suite.
Un exemple célèbre concerne la proportion de résultats pile ou face lors des n premiers d'une série potentiellement infinie de suicides philosophiques par défenestration (cette proportion converge presque sûrement vers 0,5, mais l'évaluation est compliquée par le fait que, dans certains cas, le suicidé philosophique est tellement abîmé qu'on ne peut distinguer si l'amas pultacé résultant de la chute repose sur le trottoir du côté pile ou du côté face).
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Discontinuité
Sous les apparentes continuités de la pensée, sous les manifestations massives et fallacieusement homogènes de l'esprit, sous la course aveugle de ce tracteur-navette redoutable qu'on appelle la science, les « amis de la sagesse » cherchent désormais à détecter l'incidence des interruptions.
Pionnier en cet art, Gaston Bachelard — dont Gragerfis, dans son Journal, souligne à juste titre « l'effrayante pilosité » — a repéré des « seuils épistémologiques » qui rompent le cumul indéfini des connaissances ; le falot Martial Gueroult, dans une rare bouffée lyrique, a décrit des systèmes clos, des architectures conceptuelles fermées qui scandent l'espace du discours philosophique ; Georges Canguilhem, quant à lui, a analysé les mutations, les déplacements, les transformations dans le champ de la validité et les règles d'usage des concepts.
Mais le champion toute catégorie de la discontinuité, c'est indubitablement le suicidé philosophique qui, d'un coup bien ajusté de son colt Frontier, rompt la trame fastidieuse de ses jours, met fin aux irritantes facéties de son Moi, et brise la prison odieuse de l'haeccéité qui le tenait jusque-là étroitement serré. N'est-ce pas, d'ailleurs, le fatigant Michel Foucault qui notait que « la vie du suicidé philosophique est merveilleusement pleine de ces discontinuités qui foisonnent dans les récits de Jules Verne » ?
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Impedimenta
Pour affronter les horreurs de l'existence, l'homme doit se pourvoir : primo, d'une sellette en cuir munie de courroies afin d'y attacher son paquetage ; deuzio, d'une large gourde en peau ; tertio, d'un courage aussi héroïque que celui dont fit preuve Alexandre quand, après avoir reçu une blessure dans les flancs, il soutint les opérations de Critobule son chirurgien 1.
1. cf. Quinte-Curce, De la vie et des actions d'Alexandre le Grand, liv. IX, chap. 4.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
mardi 24 juillet 2018
Procédés infâmes
« Une réclusion sévère et le gilet de force ont arrêté le cours de ses projets suicides. » (Ph. Pinel, Traité de l'aliénation mentale, Paris, 1809, page 157)
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Immatérialisme
« Une femme, âgée de 48 ans, entra à l'hôpital de la Charité avec une intelligence tellement obtuse qu'on ne put tirer d'elle aucun renseignement sur les antécédents de sa maladie. Elle ne répondait aux questions qu'on lui adressait que d'une manière très vague ; à peine savait-elle où elle était, et elle ne se rappelait plus où elle habitait.
Mise en demeure de reconnaître une cerise, elle affirma que le fruit en question n'était qu'un ensemble de qualités perçues (mollesse, humidité, rougeur, acidité) ; que si nous supprimions ces qualités, nous ne pourrions plus rien dire de l'objet ; enfin qu'une cerise sans aucune caractéristique sensible serait du pur néant.
Tout ce que nous sûmes de ceux qui l'amenèrent, c'est qu'à une époque où elle avait encore son intelligence, elle avait eu à diverses reprises des accès de véritable folie, pour lesquels on l'avait admise deux fois à la Salpêtrière. Après avoir lu les Trois dialogues entre Hylas et Philonous de l'évêque Berkeley, elle était tombée dans une sorte d'idiotisme, et il fallait, nous dit-on, la soigner comme un enfant.
Dès l'époque de son entrée, cette femme offrait une prostration considérable. Les jours suivants, l'état adynamique se prononça de plus en plus, une abondante diarrhée survint, la respiration devint stertoreuse, et la malade ne tarda pas à succomber. » (Gabriel Andral, Clinique médicale, ou choix d'observations recueillies à l'hôpital de la Charité, Paris, De Deville Cavelin, 1834)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Naissance d'une vocation
Charles Bonnet, génial découvreur de la parthénogenèse du puceron et concepteur de la « palingénésie philosophique » décrit, dans ses Mémoires autobiographiques, la naissance de la terrible hantise qui devait le conduire, quelques années plus tard, à commettre l'homicide de soi-même : « J'étais dans ma seizième année, lorsque le premier volume du Spectacle de la nature me tomba par hasard entre les mains. Je l'ouvris au chapitre du Rien. Je sentis à l'instant une sensation que je ne puis comparer qu'à celle que Malebranche éprouva à la lecture de L'Homme de Descartes. Je ne lus pas le livre, je le dévorai. Il me semble que se développait en moi un nouveau sens ou de nouvelles facultés ; et j'aurais dit volontiers que je ne faisais que commencer à vivre. La débonnaireté admirable du Rien m'avait fortement frappé. Je brûlais de le voir en personne et de me donner à lui tout entier. »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Du traumatisme infantile à la psychose (variante)
Fait peu connu mais qui en dit long, l'enfant Emmanuel M. n'eut pas de jouets : son père lui faisait regarder des images religieuses montrant par exemple le Christ agonisant sur la croix, Abraham levant son couteau sur Isaac, ou le Père Dupanloup obtenant la rétractation de Talleyrand sur son lit de mort.
Comment s'étonner dès lors si le disciple de Ricœur fit ensuite de l'angoisse une catégorie essentielle de sa pensée et s'il dut se séparer d'Alexandre Bénalat juste après s'être fiancé à ce dernier, séparation qui fut son « écharde dans la chair » car elle attestait l'impossibilité où se trouvait le « penseur complexe » de rentrer dans les catégories humaines ordinaires, et notamment le mariage — si tant est qu'on puisse appeler le conjungo une « catégorie humaine ordinaire » ?
Le coup de lune (Georges Simenon)
Avait-il une seule raison grave de s'inquiéter ? Non. Il ne s'était rien passé d'anormal. Aucune menace ne pesait sur lui. C'était ridicule de perdre son sang-froid et il le savait si bien qu'ici encore, au milieu de la fête, il essayait de réagir.
D'ailleurs, ce n'était pas de l'inquiétude à proprement parler et il aurait été incapable de dire à quel moment l'avait pris cette angoisse, ce malaise fait d'un déséquilibre imperceptible.
Pas au moment de quitter l'Europe, en tout cas. Au contraire, Joseph Timar était parti bravement, rouge d'enthousiasme.
Lors du débarquement, à Libreville, du premier contact avec le Gabon ? Le navire s'était arrêté en rade, si loin qu'on ne voyait de la terre qu'une ligne blanche, le sable, surmontée de la ligne sombre de la forêt. Il y avait de grandes houles grises qui soulevaient la vedette et l'envoyaient heurter la coque du paquebot. Timar était seul au bas de la coupée, avec l'eau sous ses pieds, guettant le canot qui s'approchait une seconde pour repartir avec la lame. Un bras nu, le bras d'un nègre, l'avait happé. Et ils s'étaient éloignés, le nègre et lui, en bondissant par-dessus les crêtes. Plus tard, peut-être un quart d'heure, peut-être plus, alors que le navire sifflait déjà, on accostait une jetée en cubes de béton jetés pêle-mêle les uns sur les autres.
Là, il n'y avait même pas un nègre. Personne n'attendait personne. Rien que Timar au milieu de ses malles !
Mais ce n'est pas à ce moment que l'inquiétude était née. À bien y réfléchir, elle avait toujours été là. Selon Heidegger, en effet — et Joseph Timar ne pouvait qu'acquiescer —, l'angoisse est l'une des « dispositions » insignes du Dasein. Quant au « pour-quoi » le Dasein s'angoisse, c'est l'« être-au-monde » lui-même : le Dasein est confronté à la nudité de son être, et par contrecoup à cela seul qui lui appartient en propre c'est-à-dire à son être « authentique ». Timar décida de reprendre une coupe de champagne.
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Un facétieux énergumène
D'après Plutarque, le fameux Timon, dit « le misanthrope » ou encore « l'ours enragé », aurait un jour assemblé tout le peuple d'Athènes pour l'avertir qu'il allait faire abattre un arbre placé dans son jardin, où quelques personnes étaient déjà allées se pendre, et pour engager à se dépêcher ceux qui pourraient avoir envie de profiter de la même commodité.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Boursouflure
Le calystène, ce nouvel élément découvert par le professeur Calys dans l'Étoile mystérieuse, possède une propriété étrange : tout être vivant — sauf Tintin et Milou — grandit démesurément à son contact. Ainsi, l'araignée échappée de la boîte où Tintin conservait son en-cas devient-elle rapidement un monstre terrifiant de la taille d'un varan de Komodo.
Ce phénomène peut être rapproché de celui que les savants nomment hypertrophie du Moi, qui touche surtout les philosophes de profession. Philippe Hecquet, dans son ouvrage La médecine, la chirurgie, et la pharmacie des pauvres publié à Paris en 1749, indique un moyen simple de guérir les « amis de la sagesse » frappés de ce mal :
« S'il arrive que le Moi grandisse dans des proportions extravagantes, c'est une occasion à bien des philosophes de le couper, jusqu'à se faire de grandes douleurs. Mais un moyen plus facile, et qui réussit, c'est de ratisser doucement le Moi, et de faire dégoutter incontinent dessus du suif d'une chandelle allumée ; ensuite on l'enveloppe seulement d'un linge, qu'on assujettit avec un peu de fil. Il faut avoir un peu de patience ; et, après qu'on aura renouvelé ces applications de temps en temps, le Moi retrouvera sa taille normale. »
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
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