« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
lundi 1 octobre 2018
Sol phénoménologique de la mondanité
« Le flux ininterrompu de la temporalisation, en tant qu'il assure les toutes premières congruences synthétiques de l'activité intentionnelle, représente en effet le sol phénoménologique le plus profond de la mondanité. » (Raphaël Célis, La mondanité du jeu et de l'image selon Eugen Fink, Revue Philosophique de Louvain, 1978).
— Oh ! Oh ! Comme tu y vas, mon ami !
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Déception
On ne le sait que trop, vivre suppose d'être soumis à l'usure du temps, au tangage et au roulis de l'existence, à l'haeccéité, bref à tout ce qui fait la condition humaine. Mais on a beau le savoir, il n'empêche que l'on peut éprouver parfois le sentiment d'avoir été bafoué par l'existence, c'est-à-dire de n'être pas ce que l'on aurait souhaité être : une pierre dure rotacée.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Intégration vs. assimilation de l'idée du Rien
Dès son plus jeune âge, l'homme doit se préparer au broiement, assimiler déjà dans son cytoplasme ranci la suave idée du Rien.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Tribulations météorologiques
Lorsque, dans les rigueurs de l'hiver, les vents ont enlevé du haut des billons la neige qui les recouvrait, ou lorsque dans les moments les plus critiques du printemps, le soleil fond cette neige pendant le jour, et que l'eau contenue dans les rigoles régorge sur les billons et s'y gèle pendant la nuit, l'inanité de l'existence jaillit soudain, éclatante, et la pensée de l'homicide de soi-même envahit la pachyméninge d'une façon presque insoutenable.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Acte manqué
« Je possédais un fusil de chasse, dont la détente usée partait souvent au repos. Je chargeai ce fusil de trois balles, et je me rendis dans un endroit écarté du Grand-Mail. J'armai ce fusil, j'introduisis le bout du canon dans ma bouche, je frappai la crosse contre terre ; je réitérai plusieurs fois l'épreuve, le coup ne partit pas : l'apparition d'un garde suspendit ma résolution. Fataliste sans le vouloir et sans le savoir, je supposai que mon heure n'était pas arrivée, et je remis à un autre jour l'exécution de mon projet. » — Qui n'a frémi en lisant cette page des Mémoires d'Outre-Tombe ? Et qui ne s'est demandé, éberlué, pourquoi l'auteur avait eu l'incroyable folie de ne s'être pas muni d'un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe ?
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Règle numéro 7
Étouffer l'haeccéité sous l'édredon pellucide de l'inaction.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Théorie de l'argumentation
Dans leurs controverses philosophiques, les Anciens, au dire de Vitruve, se servaient de deux sortes de béliers, le bélier suspendu et le bélier à rouleaux. L'un et l'autre étaient composés d'une très forte poutre, armée, à son extrémité, d'une masse de fer qui avait ordinairement la forme d'une tête de bélier : on donnait à cette poutre un mouvement oscillatoire dans un plan horizontal, et on produisait par son moyen des chocs violents qui ébranlaient les concepts de l'adversaire.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Proprement stupéfiant
Comment, au nom d'une abstraction appelée pompeusement le progrès, et après tant d'efforts et de lutte des suicidés philosophiques dans les siècles passés, l'homme a-t-il pu sérieusement consentir à échanger contre la chimère froide de l'avenir l'idée consolante et poétique du Rien ?
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
dimanche 30 septembre 2018
Catalepsie conceptuelle
Mystagogue dévoyé, le philosophe tente de masquer la plus rugueuse vérité, le Rien, en se servant de l'outil le plus vil, le concept. Mais vainement : car il ne produit que de la « catalepsie conceptuelle ».
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Vent
Théophraste rapporte, au Livre III de son Histoire des plantes, que selon Anaxagore, la semence de toute chose est contenue dans le vent qui, par l'intermédiaire de l'eau des pluies, apporte les graines qui donnent naissance aux plantes, et notamment à la bourrache.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Pas mieux
« Je suis un état de fait. » Comme cela est bien dit, vraiment !
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Cubofuturisme et homicide de soi-même
Ivre de cézannisme géométrique, le cubofuturiste se donne pour programme de pulvériser, à travers son travail du mouvement et du dynamisme plastique, les « structures empaillées de l'étant subsistant ». Parfois, exténué et cédant à la facilité, il se précipite tout simplement dans un puits (cas de Vladimir Bourliouk).
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Maussaderie philosophique
On dit — mais cela est-il vrai ? — que le philosophe Anaxagore de Clazomènes ne riait ni ne souriait jamais, pas plus que son élève Euripide. Étaient-ils « excédés par tous », comme le satiriste roumain Émile Cioran ? Craignaient-ils d'être anéantis par le Noûs, cette énergie qui ordonne le monde en organisant et différenciant la matière et l'être ? Nous ne pouvons ici que poser la question.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Une créature vomitive
Suivant Dupasquier, l'exposition à un autre Moi que le sien propre peut amener des désordres dans les fonctions digestives du sujet pensant. Sans admettre qu'autrui exerce directement une action fâcheuse sur le tube digestif, il est certain que sa vue provoque le dégoût, et que partout on a reconnu la nécessité de s'y dérober.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Traitement de la fluxion conceptuelle
Les purgatifs sont toujours dangereux dans les attaques d'hégélianisme : Hoffman recommande (lorsque l'accès est imminent) une prise de poudre cornachine, propre selon lui à atténuer la douleur pulsatile qui accompagne ordinairement le « moment spéculatif » d'identification du réel avec le rationnel. Duhamel, quant à lui, a beaucoup conseillé, pour apaiser l'échauffement dialectique, l'application du bulbe de la renoncule des prés ou éclairette. On a toutefois observé qu'il produisait un ulcère qui donnait beaucoup de matière purulente, et séchait difficilement.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Recherche expérimentale
« Quand de longues méditations dans le silence de mon cabinet m'eurent fait naître l'idée d'un rapport intime entre la perte plus ou moins absolue de la parole et l'altération plus ou moins profonde des lobules antérieurs du cerveau, je résolus de mettre cette idée à l'épreuve des faits en m'enfonçant le crâne à la région frontale par une pierre lancée avec violence. » (Théasar du Jin, Recherches cliniques sur moi-même, Paris, J.-B. Baillière, 1825)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
samedi 29 septembre 2018
Accouplements monstrueux
Plutarque, au Livre II de ses Paradoxes, assure avoir appris d'Aristote que le fils de Démostrate, Aristonyme Éphésien, avait une si grande aversion pour les femmes qu'il s'accoupla avec une ânesse, qui mit plus tard au monde une fort belle fille qu'on nomma Onoscelis, c'est-à-dire « qui a des jambes d'âne ». Il rapporte aussi l'anecdote selon laquelle, pendant la guerre des Marses, une femme nommée Alcippe accoucha d'un éléphant. Jean Palfyn, dans son Traité des monstres publié à Leyde en 1708, exprime son incrédulité en ces termes : « Comment un si gros et si grand animal pourroit-il avoir à faire avec une femme ? et comment une femme oseroit-elle se soumettre à une telle bête ? et pourroit-elle ne pas étouffer sous le poids d'une si prodigieuse masse ? » Englobant dans sa critique le fameux Del Rio qui prétendait que les monstres qui furent pris dans les forêts de Saxe en l'an 1240 et qui avaient la face à moitié humaine étaient nés d'un accouplement illicite de l'homme avec les bêtes, il ajoute : « Encore moins luy accorderois-je qu'un lion engrossa une femme de Suisse, dont elle accoucha aussi d'un lion : avec quelle confiance une femme entreprendra-t-elle de se mettre sous un lion ? Il faut dire la même chose de cette femme de Pavie qu'on dit être accouchée d'un chat. Car comment est-ce qu'un chat aura pu glisser son membre qui est si menu dans la nature d'une femme ? » — Cela paraît invraisemblable, en effet, et pourtant, « il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n'en rêve votre philosophie ». L'homme du nihil lui-même, malgré son pessimisme renforcé, ne tomba-t-il pas sous la coupe d'« une mégère difforme au faciès d'hippopotame » 1 ?
1. Voir à ce sujet le témoignage de Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Erreur de calcul
Mais pendant que Doppelchor, armé, guettait, le Moi n'était pas du tout dans le métro. Il rentrait en bus.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Cri de joie
Les spéculations cosmogoniques auxquelles se livre le suicidé philosophique au moment de commettre son geste fatal 1 ne l'éloignent point du monde sublunaire où l'homme, grâce à son revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe, est en prise directe sur son destin. Les vertus allégoriques du suicide ne le séduisent jamais au point de lui faire oublier que l'homicide de soi-même est avant tout un cri de joie, de désir ou de douleur (un cri « habillé » dira Cocteau qui ne lui doit pas peu).
1. Avec une ardeur panique mais aussi une information peu ou prou scientifique qui, nous dit Gragerfis, recourt à l'aéromancie, à la pyromancie et à la chiromancie aussi bien qu'à l'oniromancie et aux classifications de l'astrologie naturelle.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Antidote à l'haeccéité
Selon Gragerfis, l'unique solution, pour supporter le cauchemar d'exister, est de dompter le Moi par le muscadet dès huit heures du matin.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Fatigue
Le vrai, l'évidence, les preuves... Tout cela me semble aujourd'hui d'une laborieuse futilité.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
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