« Il
y a ce texte, là, qui fut attribué à Origène au IIIe siècle et traduit
par Rufin, ce texte qui évoque un passage de la Hiérarchie céleste de
saint Denys l'Aréopagite. Cela est-il vrai ?
L'homme
et la femme seront inséparables, à la condition expresse qu'ils
ingèrent une préparation du grand marabout Cheikh Momo appelée « miel
d'amour ». C'est du moins ce qu'affirment certains prospectus distribués à
la sortie du métro Anvers. C'est un peu difficile à croire, mais comme
Barkis, le nihilique veut bien.
Au
dire du professeur Munteanu, le « négateur universel » Émile Cioran
disposait d'un plein sac de grenades aphoristiques qu'il destinait à
l'anéantissement de ses ennemis, au premier rang desquels Lucien
Goldmann. Hélas, par une fatale ironie du sort, ce dernier mourut avant
qu'une occasion se soit offerte de le pulvériser. Dans ses Cahiers, le
négateur dit que cette mort lui inspira des sentiments contradictoires
où se trouvait de tout, même du regret. Sa rancune était devenue sans
vigueur. Le négateur était victime d'un phénomène de dévitalisation !
En
société, le « négateur universel » Émile Cioran parlait trop, surtout
quand il était un peu pompette (c'est-à-dire presque toujours). Il se
donnait en spectacle, c'était plus fort que lui. Il cherchait à
persuader que « rien n'est » des gens qui s'en fichaient complètement. Le
lendemain, il avait mal aux cheveux, il était déprimé, il se lamentait
et disait à Simone Boué qu'il avait « encore fait l'hélicoptère ». Pauvre
Grandiloque !
À
certains égards, la situation du nihilique rappelle celle du jeune
Francinet, le héros d'Augustine Fouillée. Comme Francinet, il est seul
et sa tâche — en finir avec la notion d'être — est austère. Triste
est son cœur, lourd son effroi !
Il
y a longtemps que le nihilique n'est pas allé à la mer quand elle
baisse. Il a peur de se retrouver déchalé. Et puis il y a aussi les
crabes, ces crabes qui vous pincent les nougats quand vous avez le
malheur d'enlever vos sandalettes. Ce n'est pas très engageant. Quand il
a envie de voir la mer, il préfère regarder des tableaux de Boudin. Le
réel, ce n'est pas son truc.
Comme
on sait, David Hume niait le Moi, mais cela ne l'empêcha pas de poser
sa candidature à la chaire de morale et philosophie pneumatique de
l'Université d'Édimbourg en 1744. Pour la morale, ça allait, mais il
était un peu faible du côté pneumatique, c'est pourquoi sa candidature
fut repoussée. On lui préféra John Boyd Dunlop qui quant à lui « cochait
toutes les bonnes cases ».
Qu'est-ce
qu'il faudrait faire, pour reprendre goût à la vie ? Lire du Cioran ?
Ça paraît risqué. Peut-être du Péguy ? Le Porche du Mystère de la
deuxième vertu ? L'avantage du Péguy, c'est que ce n'est pas lassant.
Allez, va pour le Péguy.
Le
nihilique se croit revenu de tout, il se prétend blasé autant qu'on
peut l'être, et voilà qu'il tombe sur une femme nue dans un champ de
fleurs. Ça ne fait ni une ni deux, il est aussitôt fasciné par ces
sublimes rotoplots que le glaïeul auréole. Il serait prêt à demander sa
main à la péronnelle !
Le
pire, quand on est un raté, ce n'est pas de l'être, car la vie du raté
ne diffère pas fondamentalement de celle du non-raté. Non, mes amis. Le
pire, c'est de se dire à chaque instant qu'on l'est. On a beau savoir
que toute vie est un ratage, ça finit par taper sur le système. On perd
toute confiance en soi. On n'ose même plus aller acheter du pain à la
boulange de peur d'être regardé comme un minus par tous ces cracks de
l'existence et de la « boule de campagne ».
D'un
trou noir, rien ne s'échappe : ni matière, ni rayonnement. Un trou noir
peut se comparer à un « anu cosmique » qui serait, comme Martin
Heidegger, frappé de « constipation conceptuelle opiniâtre ».
Pas
plus que d'un trou noir, on ne peut échapper à l'attraction
gravitationnelle du Rien si l'on se trouve à l'intérieur de son « horizon
des événements » — si l'on est d'humeur mélancolique, c'est-à-dire.
Ce
qui, dans l'univers connu, se rapproche le plus du pachynihil, c'est le
trou noir supermassif appelé Powehi, mot qui en hawaïen signifie « source sombre embellie de création sans fin » ou encore — les avis
divergent — « insondable création noire parée ».
Ça
pourrait peut-être nous aider à nous orienter dans l'existence, de
savoir comment se pose la question du sens de l'être chez Paul Ricœur...
Oui, mais comment faire ? Ce qui rend la chose compliquée, c'est que
l'ontologie herméneutique ricœurienne se présente comme fragmentée,
disséminée dans des ouvrages épars sans jamais s'ériger en un système
clos et achevé. Va-t-on être obligé de demander à Alain Badiou ?
Les
écrivains nous font part de leurs réflexions sur la vie, la mort, les
personnes du sexe, etc. Mais qu'en avons-nous à faire de leurs
réflexions ? De quel droit ramènent-ils leur fraise ? Est-ce qu'ils s'y
connaissent mieux que nous en existence ? Il y a de quoi rire. La
plupart ne seraient même pas capables de distinguer un crache-sang d'une
volucelle zonée !
La
vie de Maurice Blanchot fut entièrement dévouée à la littérature « et au
silence qui lui est propre ». Comme René Char, il ne disait que des
choses extrêmement profondes, tellement profondes que c'en était
effrayant. Il était si profond qu'à la fin, plus personne ne voulait le
fréquenter. Et quand il devait se livrer à un acte trivial qui ne
nécessitait aucune profondeur, par exemple se laver les pieds, c'était
toute une affaire.
Que
fait le yogi, avant de dérouler son tapis de sol ? Il se gratte le cul.
Voilà ce qu'il fait. Il se gratte « el culo ». C'est la « sagesse
hindoue ».
Au
début, le Dasein est bénaise. Il trouve que la vie, ce n'est pas si mal
que ça. C'est seulement après être allé faire ses courses chez Trigano
49, vers la fin des années 70, qu'il commence à ressentir toute
l'horreur de l'absolue solitude.
De
tout l'œuvre d'un poëte, ne restent souvent que quelques vers, ou même
quelques mots. Lait noir de l'aube pour Celan, métaplaques métalliques
pour Ghérasim Luca... Toute une vie pour quelques mots, est-on tenté de
dire. Mais ça valait le coup. Ça valait le coup !
Le
sentiment d'avoir réussi quelque chose (hors homicide de soi-même) est
toujours illusoire et risible. Mais on ne peut qu'envier ceux qui
l'éprouvent. Se dire qu'on a réussi ne serait-ce qu'une petite chose
(comme de manger des choux-fleurs à la merde), oui, cela doit être
réconfortant.
Ami
Régis ! Oh ! Ami Régis ! Ta vie n'est plus qu'un amas de décombres de
Rebatet. Et dans cet amas de décombres de Rebatet règne une affreuse
solitude. Tu comptes faire quelque chose ?
Comme
on demandait au nihilique ce qu'il pensait de la chloromyie (il venait
de la rencontrer pour la première fois), il répondit qu'elle n'était « pas désagréable ».
On
se demande ce qu'il faut dire aux gens pour les dissuader d'exister. On
a beau leur répéter que vivre « pue du cul », ils continuent. Ils font « jore » qu'ils n'entendent pas. Ils ont une banane dans l'oreille ou quoi ?
De
son propre aveu, le cœur d'Inès Armand était « comme mort ». « Je suis un
cadavre vivant », répétait la malheureuse, qui pourtant n'avait lu ni
Tolstoï ni Kierkegaard.