« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
jeudi 6 décembre 2018
Chien enragé
26 juillet. — Dans les Mémoires de l'Académie Royale des Sciences de l'année 1723, je trouve le curieux passage suivant : « Quand on a été mordu d'un chien, que l'on croit enragé, il arrive ordinairement que le chien est tué avant que l'on se soit assuré de son état, et la personne mordue demeure dans une cruelle incertitude. M. Petit le chirurgien a un expédient pour la terminer. Il frotte la gueule, les dents, les gencives du chien mort avec un morceau de viande cuite, qu'il présente ensuite à un chien vivant. S'il la refuse en criant et en hurlant, le mort étoit enragé, pourvu cependant qu'il n'y eût point de sang à sa gueule. Si la viande a été bien reçue et mangée, il n'y a rien à craindre. »
— Ne devrais-je pas essayer ce procédé sur mon Moi ?
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Ressemblance trompeuse
La vie quasi végétative que mène le nihilique, l'habitude qu'il a de rester sans bouger dans son « cagibi rienesque », l'ont souvent fait prendre pour une plante — en général une betterave potagère, Beta vulgaris subsp. vulgaris. Le profane s'y trompe à coup sûr et n'est désabusé qu'avec peine.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Incipit sans suite
« Un matin, au sortir d'un rêve agité, Grégoire Samsa rencontra un sien labadens. »
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Expériences sur le vide
25 juillet. — Commencé mes expériences avec un morceau de bœuf (le moment n'est pas encore venu de raccorder ma machine à un véritable philosophe). J'ai partagé ce morceau de viande pesant trois livres en trois parties égales. J'ai placé ces trois morceaux de viande dans le récipient communiquant avec la pompe à vide. De six heures en six heures, je retirais un des morceaux de viande, en sorte que le premier retiré n'avait eu que six heures de vide, le second en avait eu douze, et le troisième dix-huit. Les périodes de la dessication étaient nécessairement plus avancées, à raison du temps que chaque morceau avait été maintenu dans le récipient. Le premier morceau de viande n'avait perdu que deux onces (61 grammes) de son poids, le second en avait perdu trois et demie (106 grammes), et le troisième en avait perdu six (183 grammes). — Ces premiers résultats sont fort encourageants !
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
mercredi 5 décembre 2018
Vigueur du pachynihil
Jamais plante ne fut plus vivace que l'idée du Rien : même le linceul de glace infusible de la raison pure ne peut en arrêter la croissance svelte.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Page de journal
22 juillet. — Ne serait-il pas possible, moyennant un dispositif combinant les principes du scepticisme grec et ceux de la physique du vide, de parvenir sans effort à l'acatalepsie, c'est-à-dire à l'état d'incompréhension complète ?
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Convexité salvatrice
Quand le vulgum pecus accepte sans discuter l'existence de la « réalité empirique », l'homme du nihil, plus puissamment bombé, oppose un bouclier efficace à l'invisible mais redoutable pression qu'exercent conjointement l'ontologie fichtéenne et ses propres organes sensoriels.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Règle numéro 11
Par l'homicide de soi-même, échapper au mécanicisme des états mentaux.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Melon
30 septembre. — Ai retrouvé dans ma bibliothèque l'opuscule d'un sieur Dupuits de Maconex intitulé Traité de la culture du melon en pleine terre, particulièrement aux environs de Lyon. L'auteur commence par indiquer que « le melon est monoïque, c'est-à-dire qu'il a les organes sexuels sur des fleurs séparées, mais réunies sur le même individu. La feuille a de grandes dimensions, et varie facilement de forme : tantôt elle est plus longue que large, et profondément lobée ; tantôt elle est presque ronde avec de légères dentelures. ». M. Dupuits de Maconex évoque ensuite les multiples attraits de la culture du melon. « Il est impossible, dit-il, de contester que, parmi la foule de plantes qui méritent d'entrer dans la composition des jardins, le melon se place au premier rang. La nature lui a prodigué tout ce qui peut flatter à la fois la vue, l'odorat et le goût. Sa culture exerce l'intelligence par la taille raisonnée et les soins qu'elle exige. Enfin, il se distingue entre les plantes qui récompensent le mieux les peines du cultivateur. »
— Oui, tout cela est vrai. Oh, Grand Tout, combien j'ai peu avancé dans tes voies, en cinquante années !
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
mardi 4 décembre 2018
Page de journal
27 janvier. — Promenade dans la campagne environnante. Au détour d'un chemin, j'avise un édicule fait de planches mal jointes. Ayant poussé sa porte branlante, je me retrouve dans des cabinets à l'ancienne mode, où règne une odeur agréable de vieux papier journal et d'excrément ranci. Dans un tel lieu, on éprouve un sentiment d'harmonie et de sainteté qu'aucune église, d'après mon expérience, n'est jamais parvenue à inspirer. On sent que le « Grand Œuvre » y est possible.
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Une hypothèse suffocante
L'ignominie de cette conjecture — l'être — m'étourdit comme feraient les effluves morbifiques des jardins de La Canée.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Amulette inefficace
Contrairement à la pierre Corybas du Mont Mycène, l'idée du Rien ne préserve pas celui qui la porte des visions monstrueuses : le pachynihil se montre en effet impuissant à effacer tout à fait le « monstre bipède » — le fameux « autrui » du philosophe Levinas.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Yponomeute toujours
L'yponomeute est un insecte lépidoptère qui attaque les arbres fruitiers (cerisiers, pommiers, pruniers). À la différence de l'homme du nihil — qui « exulte dans sa solitude circulaire » —, les chenilles des yponomeutes vivent en groupe dans des nids qu'elles tissent sur les branches.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Page de journal
28 septembre. — Lettre de von Trobben, qui visite actuellement les Ardennes. Il me dit avoir découvert, aux environs de La-Ferté-sur-Chiers, les restes d'une colonne ayant servi de perchoir à un ascète du VI e siècle, Saint Walfroy. Ce nom de La-Ferté-sur-Chiers rappelle à ma mémoire un autre nom insolite, celui de Messire Michel Saligot, « Seigneur de Monceaulx et de Montretout en Brye », que l'on trouve mentionné dans l'Histoire de l'Église de Meaux, par Michel Toussaint Du Plessis : « À cette cause le dit Saligot, qui est Seigneur du dit lieu de Monceaulx, à cette fin que ces pauvres Subjets et Habitans de sa dite terre puissent oyr Messe et prier Dieu à tout le moins le Dimenche... » — Et cetera, et cetera.
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
lundi 3 décembre 2018
Tragédie lyrique
Étang de Soustons, deux heures de l'après-midi. On entend au lointain un son funèbre de trompettes mêlé de cris de douleur. Tout le monde est saisi d'un terrible pressentiment.
Alamire. Pleurez tous : je vous apporte une terrible nouvelle.
Irène. Eh bien ? Parle vite !
Antonine. Comme mon cœur bat !
Alamire. Voilà : rien n'a de sens. Dois-je le répéter ? Rien n'a de sens. — Pis encore : rien ne sert à rien.
Irène. Hélas !
Antonine. Quel coup !
Justinien. Si j'étais seul, je me jetterais instantanément à l'eau. Jamais je n'ai ressenti avec une telle violence le besoin de mettre un terme à tout ça.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Une idée vorace
L'idée du Rien est carnivore. Les êtres dont la pachyméninge s'ouvrent à cette idée sarcophage sont dévorés par elle en quarante jours, les dents exceptées. Elle boulotte aussi les miroirs, les brosses, les vêtements et les chaussures de l'infortuné. C'est Thrasylle le Mendésien qui l'affirme.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Solipsisme (en manchettes)
Encellulé dans l'icosaèdre du Moi, où toute « réalité empirique » se dilue.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Tournis du mouton
23 décembre. — M. Davaine, dans son Traité des entozoaires et des maladies vermineuses de l'homme et des animaux domestiques parle en ces termes du tournis du mouton : « À mesure que la maladie fait des progrès, le tournoiement devient plus fréquent et de plus longue durée, jusqu'à ce que la paralysie des membres vienne y mettre un terme. De temps en temps l'animal éprouve des attaques convulsives pendant lesquelles la respiration est très difficile, stertoreuse, et la sensibilité généralement abolie. Enfin la vue se perd totalement, la pupille reste largement dilatée ; la mastication est lente et incomplète ; la marche, la station même deviennent difficiles et impossibles ; l'amaigrissement, qui s'est prononcé dès le début, fait des progrès rapides, et la bête succombe dans le marasme. »
— La lecture de ce passage me plonge moi-même dans un marasme épais.
Et je crains que mon sommeil ne soit visité par des moutons tournoyants, à la mastication lente et incomplète...
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Ornement de la vie
L'idée du Rien se dresse sur les escarpements de la montagne Ling-nan, élégante et belle, bien qu'elle n'ait pas subi l'action du ciseau ou de la doloire. On l'emploie comme ornement et comme remède aux innombrables horreurs de l'existence. C'est une panacée. Elle guérit les ulcères malins, les fistules ; elle chasse les fantômes, les mauvais esprits. Elle éloigne les miasmes. Cette idée est chose merveilleuse.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Phatique
Tout discours parlant d'autre chose que du Rien relève de la fonction phatique du langage.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Yponomeute du fusain
20 décembre. — L'idée me vient qu'à certains égards, la pensée de l'homicide de soi-même est analogue à l'yponomeute du fusain. On trouve d'ailleurs confirmation de cette ressemblance dans le passage que M. Émile Blanchard, de l'Académie des Sciences, consacre à ce coléoptère dans sa Zoologie agricole.
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
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